Une photo. Une carte postale coloniale représentant une femme-objet costumée selon les standards aguicheurs du début du 20ème siècle. La photo date de 1924. En 2011, Isabelle découvre cette carte postale dans les affaires de son grand-père. Il l’a envoyée à son ami Alexandre en 1954. En 2011 toujours, l’artiste Miloudi Nouiga balafre cette même photo de peinture, dans un geste venu non du bras mais de l’estomac, chaque projection de couleur trempant « dans la bile du dedans. » Un geste provoquant, plein de révolte. On suit le parcours de cette carte à travers ceux qui, à moment ou l’autre, vont l’avoir en main. Miloudi, Isabelle, son grand-père Maurice, soldat français fréquentant dans les années 50 le Bousbir, ce quartier clos de Casablanca entièrement réservé à la prostitution mais aussi celui qui a pris le cliché en 1924 ou encore la prostitué qui a eu Maurice pour client. Une carte postale comme un symbole, tant du colonialisme d’hier et de son érotisme exotique que du changement profond connu par le Maroc depuis son indépendance.
Soyons franc, je n’ai pas été autant secoué par ce texte que par Kinderzimmer, mais en même temps, comment aurait-il pu en être autrement ? J’ai par contre retrouvé avec le même plaisir la « patte » de Valentine Goby. Une écriture sensuelle, précise, ultra descriptive, où le corps occupe une place fondamentale. Après tout je n’y peux rien si la petite musique de cette auteure me parle et me touche autant.
Dans une mini postface, elle explique sa réflexion autour des « multiples mensonges de l’image. » La photo saccagée par le peintre que l’on voit en couverture du livre, elle l’a croisée dans une galerie de Rabat. « Qu’est-ce qu’on voit vraiment ? De quoi, de qui est-ce qu’on parle ? Je dessine, restitue, invente le hors-champ, le hors-temps de l’image, du moment : cela fait des romans. » Position de l’écrivain par rapport à l’artiste dont elle cherche à comprendre la démarche. « Je suis à la fille qui se trompe, […] voit dans le tableau un geste de censure où il a y en fait un appel, une terreur de l’oubli. Je suis la fille qui rencontre le peintre, comprend qu’elle s’est trompée d’interprétation, et cherche à rendre compte de son erreur, du véritable geste du peintre, des multiples mensonges de l’image depuis sa construction il y a presque cent ans, et des vérités qu’elle révèle, rappelle, fixe définitivement. »
Au final cela fait un roman. Un excellent roman.
La fille surexposée de Valentine Goby. Alma, 2013. 128 pages. 17 euros.
Une lecture commune que j’ai une fois de plus le plaisir de partager avec Leiloona et Noukette.
Un billet qui signe ma seconde participation au challenge de Valérie