Ce matin, je me suis levée à l’aube, de fort bonne humeur… Déjà, il y avait du soleil, et pour une petite hirondelle cancéreuse, c’est sans doute, le meilleur remède…
Je me suis activée comme une fourmi laborieuse, et à 10 h, trop fière de moi, la maison était digne d’une revue de déco… Ménage fait, coussins du canapé alignés au millimètre (je suis tendance oiseau manique…), gros bouquet d’iris et de mimosa sur la table du salon, et tarte aux poires/amande sortie du four…
J’en suis bien certaine, un producteur serait passé par là, il se serait cru devant Bree van de Kamp dans une scène de Desperate housewives…
J’allais me poser, tranquillement devant un thé, lorsque la cloche a retenti… Devant ma porte, une apparition plutôt déplaisante… Une femme, avec un bonnet carrément moche, et de grosses bottes de neige, l‘air passablement revêche… Déjà, première surprise, je ne m’étais même pas rendue compte, qu’il commençait à neiger… Et puis, franchement, sortir les bottes de neige aux 1ers flocons, je trouve cela carrément anti glamour…
Retenant avec peine ma boule de poils qui lui aboyait dessus avec vigueur, d’un ton sec, elle se présente comme ma voisine, me désignant de la main sa maison. Je lui demande 2 minutes, pour aller enfermer le molosse, qui montre les crocs… Je reviens à ma porte, et, parce que je suis un oiseau poli, et qu’il neige, la prie d’entrer… Je vois bien qu’elle me dévisage avec un air bizarre… En passant devant le grand miroir de mon entrée, je m’aperçois que je n’ai pas mis mes faux cheveux, mais l’un de mes foulards préférés, rose, avec de petites libellules… Oups, tant pis, je suis une cancéreuse qui s’assume ! (enfin, parfois…)
Pas de chance, la créature aux allures de Madame Noël au rabais, se plante, sans bouger, sur mon beau tapis d’amour…
Petite parenthèse concernant ce tapis, je l’avoue humblement, c’est une erreur… Une grosse erreur même… Lorsque je l’ai vu, j’ai eu un soupir d’envie irrésistible… Ce tapis, avec ses textures différentes, et ses mèches en cuir, serait parfait pour notre entrée… Et, esthétiquement, il est réellement parfait… Douillet, cosy, et tout doux… Sauf que, et ma moitié d’oiseau n’avait cessé de me le répéter, avec un chien joueur, ce n’était peut être pas l’achat idéal… Plutôt mourir que de le reconnaitre devant lui, mais il avait raison… 3 jours après sa mise en place, je retrouvais déjà, de petits bouts de cuir déchiquetés…
Donc, ma voisine en question commence à dégouliner au beau milieu de mon œuvre d’art couvre-sol… Je vois avec angoisse, les flocons fondre doucement, et se répandre un peu partout… Le contraste est plutôt saisissant, entre mes petites ballerines chaussons à cœurs, et ses gros machins, qui font office de chaussures…
Pour ménager mes nerfs, je la fais avancer dans le salon, et là, elle commence à m’expliquer que sa visite, qui n’a rien d’une visite de courtoisie entre voisins, concerne son beau, son extraordinaire gazon, pourri, détruit, par mes herbes folles… J’avoue qu’au début, j’ai un peu de mal à comprendre… Déjà parce que mon jardin n‘est pas limitrophe du sien, et que je ne vois pas vraiment comment les pissenlits pourraient s’amuser à saute mouton… Elle insiste, encore et encore, avec un air hautain, me faisant comprendre sans ménagement, que si, moi aussi, j’avais la chance d’avoir un gazon comme le sien, je serai également mécontente…
Une idée me passe par la tête, en l’écoutant… Tout à coup, mon esprit divague… Je suis à Las Vegas, je suis la reine du poker, et c’est le plus gros coup de ma vie… Je l’entraine vers ma baie vitrée, soulève rapidement le voilage, et lui susurre : "Mais moi aussi, j’ai du gazon…"
La pauvre femme en devient presque verte… Je vois bien qu’elle menace de s’étrangler… Parce que devant ses yeux, entre deux parties de terrasse, s’étend une étendue de gazon, d’un vert sublime, d’un vert de ciboulette fraiche, de pâturages sous la pluie, entretenu, tondu, bref, un gazon 5*, recouvert d’une très fine couche de neige poudreuse…
Elle commence alors à balbutier quelques excuses inaudibles, du genre : "oh, pardon, de loin je ne voyais pas…"
Je lui assène le coup de grâce : " Mais quels soins apportez vous, à votre gazon ??? "
Elle me regarde inquiète… " des soins ??? " Et là, je lui sors ma science infuse en la matière, lui vantant pendant de longues minutes, les bienfaits du scarificateur… Mon harpie de voisine se fait toute humble… Elle me regarde comme une pro, qui distille ses bons conseils, avec une âme généreuse d’hirondelle partageuse… Elle bredouille : "oui, oui, je vais m’acheter un scarificateur…"
Pour l’achever, je lui dit qu’elle a bien raison, mais que "moi, voyez vous, avec mon cancer, je n’ai plus trop le temps"… C’est le coup fatal… J’ai répondu, d’un seul trait, à ses interrogations silencieuses concernant mon foulard sur la tête… Elle semble tout honteuse, et moi, je jubile un peu, intérieurement…
Et puis, lors de la discussion, elle pivote, de l’autre côté du salon, et aperçois ma cuisine…
"Oh mon dieu, quelle cuisine ! " Je bois du petit lait, comme mon chat, les yeux mi clos… Je glousse et reglousse en silence… Ma cuisine, c’est ma fierté, la réflexion de près d’un an. Dessinée par mon chéri, selon mes envies et mes besoins, et réalisée par un archi, ma cuisine, c’est mon 7ème ciel à moi… Alors, tout gentiment, je lui propose un café…
Elle est désormais plus avenante, ma voisine… Elle sourit même… Je lui sors mes tasses préférées, deux anciennes tasses anglaises, dénichées par mes parents, dans une vente aux enchères, pour justement fêter la nouvelle cuisine… Deux tasses avec des hirondelles… Je la vois qui lorgne du côté de ma tarte aux poires… Elle accepte une petite part… Elle est encore plus gentille, surement à cause de la saveur délicate des poires fondantes tout justes tièdes… "C’est vous qui l’avez faite ???" "Oui, j’ai donné congé à ma cuisinière, pour cause de neige"…
Je vois bien qu’elle médite sur ce que je viens de lui répondre… Ma voisine n’a pas le sens du répondant, c’est embêtant… Elle n’a pas non plus le sens de l’humour, c’est dit… et c’est cruellement un point négatif, à mes yeux…
Mon chien s’est échappé du cellier. Une fois de plus, il a réussi à ouvrir la porte… Un vrai singe malin, celui là… Il tourne et retourne autour des jambes de la voisine, lui faisant mille amabilités… Flattée à mort, ladite voisine, surtout lorsque je lui dit que « chouchou les grandes pattes » a ses têtes, et n’aime pas grand monde… C’est faux, mais elle le croit… Chouchou se fait plus câlin, et entame une vraie opération séduction… Elle lui grattouille les oreilles, il exulte… Moi, je connais par cœur ma boule de poils… Son cinéma, la patte droite tendue, puis la gauche, sa façon de regarder en coin, de faire le beau, tout cela, c’est juste pour récupérer un bout de tarte… La voisine est conquise, à genoux, devant tant d’amour désintéressé…
Nous continuons à papoter, et, en partant, elle m’assure que la prochaine fois, le café, c’est chez elle…
Une fois partie, je téléphone à mon homme, et lui raconte cette épisode hallucinant, en hurlant de rire…
"Et maintenant, on fait quoi ? " ajoute t-il… Heu, je ne sais pas…
Non, parce qu’il ne faudrait pas non plus que je devienne trop copine avec ma voisine… Un café par ci, un thé par là, et cela va nous mener irrémédiablement à l’été… Et l’été prochain, la voisine, il faudra bien que je l’invite à prendre une petite douceur dans le jardin… Et là, elle risque fort d’avoir une attaque…
Parce qu’en fait, mon beau gazon, c’est toute une histoire…
Mon chien a probablement été terrassier, ou creuseur de piscine, dans une vie antérieure… Le jardin en a donc largement pâti, surtout devant la baie vitrée du salon… Ne supportant plus cette vision d’horreur, nous avons décidé de lui interdire cette partie, en installant un grillage provisoire… Du coup, mon courageux mari a bêché toute cette partie, et planté du gazon…
C’ est ce qu’a vu ma voisine…
Si son regard s’était porté à droite ou à gauche des pans de la terrasse, elle aurait très probablement distingué des mauvaises herbes, du joli trèfle, et des petites fleurs de pissenlit, et j’aurais eu droit à une leçon de morale parfaitement inadaptée, à ma bonne humeur du jour…
Je n’ai pas suivi le cursus universitaire "ray grass and cie…" et franchement, je n’y connais pas grand-chose en pelouse… Sauf que, sauf que, mes parents, eux, ont un gazon exceptionnel, entretenu avec amour et des millions de cubes d’eau, grâce à la rivière qui traverse la propriété… Une pelouse digne d’un green, qui fait pâlir d’envie tout le comté…
Grâce à cette expérience familiale, j’ai, heureusement, assuré devant ma voisine…
Et si je m’inscrivais à un tournoi de poker ??????????????