Depuis un fameux tube on savait déjà que Dieu était un DJ… mais que les parfumeurs le soient aussi, c’est nouveau ! Le fondateur de Parfumerie Générale vient en tout cas de "re-mixer" trois de ses créations historiques dans un fascinant exercice de DJ-ing olfactif.
Lorsque les parfumeurs réinterprètent des parfums, c’est souvent contraints et forcés, soit par l’obligation de remplacer une matière première trop chère ou à cause des fourches caudines de l’Union Européenne… Mais si Pierre Guillaume a décidé de réorchestrer certaines de ses partitions, ce n’est pas par obligation mais par envie, comme un musicien d’électro retravaillerait un morceau jusqu’à ce que celui-ci devienne méconnaissable. Une idée absolument moderne, visualisée jusque dans la numérotation « 2.0 » des parfums.
En 2012, pour fêter les 10 ans de sa Maison, Pierre Guillaume décida de revisiter deux de ses premiers parfums sur la base des mêmes matières premières principales mais en les combinant et en les dosant différemment. Ces nouvelles fragrances furent présentées au Pitti de Florence et restèrent à l’état de prototypes… jusqu’à aujourd’hui, puisque ces deux jus mystérieux – augmentés d’un troisième pour l’occasion – viennent d’apparaître sous le nom de « Collection Signature » sur le site de la Marque. J’ai eu la chance de pouvoir comparer côte à côte les parfums originaux et leur réinterprétation. Une tâche ardue mais passionnante.
PG O2 "Cozé", créé en 2002, est un des best-sellers de la Marque. Il faut lire son nom « C’est osé » et c’est en effet un oriental culotté et frontal. On entre directement dans un univers presque mystique d’épices poivrées et de notes cacaotées, avec un patchouli travaillé audacieusement en note de tête. Puis viennent des notes de tabac, de vanille bourbon et de bois précieux qui laissent sur la peau une impression caressante et douce qui étonne après l’attaque franche du départ.
PG 2.1 "Cozé Verde", comme son nom l’indique, met cette fois-ci en évidence la facette verte du tabac. Il s’ouvre sur une figue lactée en contrepoint d’une facette citronnée, puis joue le poivre avec plus de modération que le Cozé initial. Le patchouli répond toujours au café et au cacao, mais sur un mode plus civilisé… La vanille a fait place à des bois secs et à la réglisse, on a quitté l’Inde coloniale pour l’Amérique du Sud dans une revisitation qui ferait presque oublier la troublante séduction de l’original.
PG O3 "Cuir Venenum", créé en 2003, était selon Pïerre Guillaume inspiré par la troublante senteur d’une jupe de cuir sur la hanche d’un mannequin noir pendant un défilé. C’est en fait une combinaison de délicate fleur d’oranger confite et miellée (hydromel ?) que sous-tend un accord en réalité à peine cuiré qui se fond dans un souvenir de noix de coco et de musc.
PG 3.1 "Arabian Horse" est quant à lui un pur-sang du désert qui lorgne vers les verts pâturages. Il faut avoir flâné dans un hippodrome pour comprendre la justesse de cet accord qui fait presque ressentir le choc des sabots sur la piste tandis que les massifs de fleurs exhalent leur parfum. On perçoit une herbe grasse et humide associée à un narcisse opulent, juste avant que ne se déploie l’accord chypré. Un cuir rugueux arrive alors au galop, poursuivi par les muscs, les bois et finalement l’ambre.
PG O6 "L’Eau Rare Matale" trouve ses racines du côté d’un thé noir du Sri Lanka, réputé être l’un des meilleurs du monde. Il s’ouvre sur une inspiration fraîche et aromatique d’eau de Cologne dominée par la bergamote, jusqu’à ce qu’apparaisse la facette fumée et boisée du thé alliée à des fleurs blanches. L’ensemble laisse un souvenir en douces oppositions.
PG 6.1 "Vetiver Matale" rejoint l’inspiration des deux autres « remixes » en mettant en majeur un thé qui n’est plus noir, mais vert. La colonne vertébrale de ce parfum est un accord entre un vétiver terreux mais joliment adouci par le cashemeran d’un côté, et de l’autre côté le tabac blond. L’ensemble est boisé et subtilement agreste, avec des évocations d’humus. Comme son prédécesseur, c’est un parfum en équilibre entre douceur et puissance.
LE BILAN :
Ces trois nouvelles fragrances de Parfumerie Générale sont bien plus que des réinterprétations : ce sont de véritables re-créations qui, en prenant une totale liberté par rapport aux versions initiales, font preuve d’une belle audace conceptuelle. Une initiative originale et passionnante qui met en pleine lumière le cheminement de l’inspiration et qui représente aujourd’hui ce que la parfumerie d’auteur a de plus intéressant.
(Parfums « Collection Signature » : 180 euros les 100 ml, 120 euros les 50 ml)
Hervé Mathieu – Fragrance Forward