Le 7 mai 2013, le Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie commandait au Muséum National d’Histoire Naturelle une mission d'expertise collective scientifique sur “L’Ours brun dans les Pyrénées.
Extrait de la 5 ème partie : Stratégie de conservation d’une population viable d’ours bruns dans les Pyrénées
Scenarii de conservation d’une population viable avec translocation
Tout scenario de conservation faisant intervenir des translocations doit se placer dans le cadre des recommandations UICN sur ces pratiques qui ont été réactualisées récemment (IUCN & SSC 2013).
Incluant une réflexion sur l’évaluation des stratégies alternatives, l’association d’analyses de faisabilité et d’analyses des risques, et la gestion adaptative des populations transloquées par un suivi performant, elles proposent un cadre conceptuel robuste pour ces translocations. Elles constituent le cœur des nouvelles recommandations (No. 158, novembre 2012) du Conseil de l’Europe pour le Standing Committee de la Convention de Berne sur les translocations de conservation en conditions de changements climatiques.
Dans ce contexte, la dynamique des populations transloquées est susceptible de montrer
- une phase d’installation,
- une phase de croissance
- et une phase de régulation.
Le succès de ces translocations ne peut s’appréhender qu’en tenant compte de ces trois phases. Si les deux premières sont bien sûr indispensables à court et moyen terme, la viabilité à long terme de la population n’est assurée qu’en fonction du niveau atteint lors de la phase de régulation en réponse à la disponibilité des habitats.
Un pilotage à courte vue qui ne tiendrait compte que de la phase d’installation présente de fort risque d’échecs. Avant de présenter les différentes stratégies possibles, il est important de rappeler ici que la probabilité d’intervention future décroîtra avec le nombre initial d’individu réintroduit.
i. Canevas des stratégies possibles
La translocation d’Ours bruns dans les Pyrénées peut s’envisager selon différents scenarii. Le premier se focalise sur un renforcement entre noyaux pyrénéens tandis que le second se concentre sur une translocation d’individus issus d’une population non pyrénéenne.
Ces scenarii peuvent se décliner en différentes stratégies. Nous allons donc présenter les avantages, désavantages et recommandations pour l’ensemble de ces scenarii et des stratégies associées.
Renforcement entre noyaux pyrénéens (franco espagnols).
Pour ce scenario, la translocation peut se faire du noyau central vers le noyau occidental ou du noyau occidental vers le noyau central.
Transfert d’une ou deux femelles du noyau central vers le noyau occidental
Avantages Désavantages
- Conservation des 2 noyaux.
- Fragilisation du noyau central sans assurer la viabilité du noyau occidental,
- effet potentiel de homing (=retour à la zone de capture)
- pertes possibles à la capture.
Recommandation : Scenario trop risqué pour la conservation de l’Ours brun
Transfert des 2 mâles du noyau occidental vers central
Avantages Désavantages
- Augmentation du nombre d’Ours bruns mâles reproducteurs dans le noyau central avec un effet potentiellement positif sur la consanguinité.
- Valeur démographique du mâle inférieure à celui de la femelle,
- potentialité d’infanticide (Wielgus et al. 2001),
- perte d’un noyau et de l’effet rescousse,
- effet potentiel de homing,
- pertes possibles à la capture,
- pertes supplémentaires dues à une possible augmentation du braconnage.
Recommandation : Scenario trop risqué pour la conservation de l’Ours brun
Renforcement avec translocation d’individus issus d’une population non pyrénéenne.
Pour ce scenario, il est possible de jouer sur l’espace, avec les deux noyaux, le nombre d’individu et leur qualité (âge, sexe) ainsi que le rythme des lâchers.
Différentes stratégies sont là aussi envisageables :
Renforcement du noyau central uniquement
Avantages Désavantages
- Diminution des risques démographiques et de la consanguinité
- Effectif à transloquer ≥ 4-5 individus pour obtenir un effet significatif
- extinction du noyau occidental,
- perte de l’effet rescousse pour le noyau central,
- incertitude sur le sexe ratio au lâcher,
- pertes supplémentaires dues à une possible augmentation du braconnage.
Recommandation : Scenario induisant un risque élevé de perte du noyau occidental sans gain très significatif sur la viabilité globale de la population
Renforcement du noyau occidental uniquement
Avantages Désavantages
- Création d’une vraie population,
- effet rescousse entre les deux noyaux.
- Noyau principal sans renfort,
- problème de consanguinité à moyen terme,
- création d’un noyau avec statut précaire (même situation que le noyau central il y a 10 ans).
Recommandation : Scenario possible mais avec risque(s) non maitrisé(s) pour la conservation de l’Ours brun dans le noyau central.
Renforcement des deux noyaux
Avantages Désavantages
- Création d’une métapopulation,
- effet rescousse entre les deux noyaux,
- dilution des risques
- Nécessite un plus grand nombre d’individus lâchés (nombre total et nombre annuel)
Recommandation : De loin le meilleur plan en ce qui concerne la viabilité de l’Ours brun dans les Pyrénées.
Création d’un troisième noyau
Avantages Désavantages
- Création d’une métapopulation.
- Nombre de lâchers le plus important,
- nécessité impérative de relâcher mâles et femelles,
- augmentation éventuelle de braconnage,
- éventuelle difficulté de fixation des individus supérieure par rapport aux autres scenarii.
Recommandation : Scenario recommandable uniquement en cas d’impossibilité des deux scenarii
précédents.
Deux scenarii se détachent de manière claire :
- le renforcement du noyau occidental
- le renforcement des deux noyaux
Nous allons examiner dans les parties suivantes les effectifs, le sexe ratio et le rythme de lâcher en fonction de ces deux scenarii.
ii. Effectifs lâchés, sexe ratio, rythme
Des études permettant d’estimer le nombre d’individus à relâcher dans les Pyrénées ont déjà été menées en 2009 et en 2010 (Chapron et al. 2009 ; Quenette et al. 2010). Le nombre de reproducteurs actifs actuels et les probabilités d’extinction étant inchangés depuis, ce qui traduit une forte inertie, nous suggérons de conserver ces modèles et les effectifs préconisés.
Ainsi ces études préconisaient de
- renforcer le noyau occidental de 3 mâles et 10 femelles afin que la population soit viable d’un point de vue génétique et démographique. Toujours d’après ces études, ce renforcement se limite à un mâle et huit femelles si nous ne nous focalisons que sur la viabilité démographique de la population.
- Concernant le noyau central, ces études estiment qu’il faut le renforcer d’un mâle et de trois femelles pour assurer la viabilité génétique et démographique de la population.
Pour rappel, l’état actuel des populations (cf. §3.a) et les effectifs envisagés de translocation doivent être comparés avec les objectifs ultimes de viabilité de ces populations tels que définis dans le paragraphe 5.b. Ainsi, la Liste rouge nationale de l’UICN classe l’Ours brun en ‘danger critique d’extinction’.
Afin que la population pyrénéenne ne soit plus considérée comme en danger, elle doit être composée de 250 individus matures selon les critères UICN. Par ailleurs, si nous considérons l’étude concernant la disponibilité de l’habitat (Martin et al. 2012b), l’habitat type source permet d’accueillir 110 individus, soit 94 individus matures pour l’habitat le plus favorable à 258 individus, soit 220 matures, si les habitats favorables de moindre qualité sont inclus.
A partir de ces connaissances, nous pouvons apporter quelques précisions concernant les deux scenarii de renforcement précédemment choisi.
Renforcement du noyau occidental uniquement
Idéalement, un renforcement de 3 mâles et 10 femelles est préconisé pour régler les futurs problèmes démographiques et génétiques. Si nous nous basons sur les renforcements précédents, il apparait qu’un minimum de 4 femelles permettrait de conserver ce noyau d’un point de vue démographique sans assurer la composante génétique de la viabilité. Tout accroissement de ce nombre serait très souhaitable pour se rapprocher des projections de viabilité optimales pour ce noyau.
Nous recommandons que ces renforcements soient effectués très rapidement et de manière la plus synchrone possible. Ainsi, dans le cas du renforcement de 13 individus, nous recommandons une réintroduction de 3 à 4 individus tous les ans, soit un renforcement échelonné sur 3-4 ans. Dans le cas du renforcement de 4 individus, ces 4 individus doivent être réintroduits la même année.
L’urgence est ici basée sur l’incertitude maximum du devenir à court terme de cette population où il n’y a que deux mâles.
Renforcement des deux noyaux
Idéalement, en plus du renforcement de 3 mâles et 10 femelles dans le noyau occidental, un renforcement de 1 mâle et 3 femelles est conseillé dans le noyau central pour réduire les risques futurs en terme démographique et génétique. Le nombre minimum de renforcement pour le noyau occidental serait toujours de 4 femelles et pour le noyau central de 2 femelles pleines (ce qui rend moins nécessaire le lâcher d’un mâle).
Nous recommandons ici les mêmes stratégies que le scenario précédent concernant le noyau occidental, l’urgence étant en priorité pour ce noyau.
Pour le noyau central, l’effet de la consanguinité, important à terme mais n’ayant pas un effet aussi immédiat que le risque démographique encouru dans le noyau occidental, nous recommandons de réintroduire dans un horizon de 4 ans, soit un mâle et 3 femelles, soit deux femelles pleines. Dans ce dernier cas, nous recommandons une réintroduction simultanée pour diminuer le risque d’infanticide.
Au-delà de l’urgence d’agir sur le noyau occidental, tout retard sur le renforcement du noyau central entraînerait la perte des effets bénéfiques de la synergie des opérations menées sur les deux noyaux. En d’autres termes, tout retard nécessitera une probabilité d’intervention ultérieure beaucoup plus importante.
L’évolution de la viabilité en fonction des différentes stratégies est résumée dans le tableau 5.
iii. Capture et relâcher suivant l’expérience acquise et validée lors des précédents transferts.
Le succès technique des opérations précédentes permet de recommander de reprendre les éléments techniques de ces renforcements.
La population source pour le renforcement peut provenir de Slovénie ou des Monts Cantabriques (ONCFS 2010). Néanmoins, l’urgence de la situation pyrénéenne impose d’obtenir des autorisations dans un laps de temps très réduit. Le choix de la population source ne doit en aucun cas retarder l’exécution des renforcements.
Nous recommandons toutefois d’éviter de prendre un mâle dominant et des femelles pleines dans la même population pour diminuer le risque de reproduction consanguine après les lâchers.
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