Magazine Côté Femmes

Et puis il ne resta que moi

Publié le 28 janvier 2014 par Juval @valerieCG

Cela faisait longtemps que j'attendais ces manifestations des extrêmes-droites ; je me dis depuis bientôt 5 ans qu'il n'est pas possible que ce que je lis, ce que je vois, n'ait aucune conséquence sinon dans les urnes du moins dans la rue.

J'en vois certains, étonnés qu'on hurle "Juif la France n'est pas à toi" comme je les ai vus étonnés des bananes jetées à Taubira (malaise national ; serions nous racistes ? ah non pas nous c'est eux les tondus là bas dans le coin"). Je note en revanche que nous ne sommes pas plus émus que cela quand une musulmane a perdu son fœtus suite à une agression islamophobe.

En France et sans doute ailleurs, on sait fort bien jouer à la mise en concurrence des souffrances et surtout on sait opposer des minorités.

Notez que je ne dis pas que les dites minorités n'ont aucune responsabilité là dedans ; l'instrumentalisation a ses limites. On a opposé féminisme et islam ; les unes ont du passer leur temps à prouver qu'elles n’étaient pas islamophobes pendant que les autres devaient prouver qu'ils n'était pas sexistes pendant ce temps ni les unes ni les autres ne se préoccupaient de leurs droits. Il faut dire que les musulmans en sont encore à devoir justifier qu'ils peuvent être victimes de racisme, c'est dire que le chemin sera long.
Là on oppose juifs à versus le reste du monde ; pendant ce temps certaines extrêmes-droites se font leur beurre sur ces haines avec leur discours habituel "les arabes font rien qu'à piquer le pain des français, pain qu'en  plus les juifs détiennent".

Si on fait le compte des ces 30 dernières années, les droites et extrêmes-droites manifestent peu ; d'un cela n'est pas dans leur culture politique et surtout elles ont beau brailler qu'on est gouverné par les rouges depuis 30 ans (ah ce monde où Chirac est vu comme de gauche), il faut bien dire que toute satisfaction leur a été donnée par les gouvernement successifs.  Or depuis quasi un an, on les voit sortir quasi tous les mois au fameux prétexte du mariage pour tous qui cache à mon sens bien d'autres choses.

Il est certain que l'élection d'un président qu'ils pensent socialiste  leur a fichu un sacré coup ; pour moi, mais mon opinion est biaisée par mon job, on s'acheminait vers un second tour Sarkozy- Le Pen avec une forte abstention au second tour, un Sarkozy qui passe de justesse bref la Géhenne.
Il est également certain que la nomination d'une femme noire en a traumatisés plus d'un et que le mariage pour tous les a achevés.

Pour autant il me semble qu'on se tromperait à s'arrêter à ces éléments. Il est vrai qu'il ne fait pas bon, dans ce pays, à remuer "les vieilles histoires" et parler shoah, colonisation ou esclavage dans ce qui constitue les actuels DOM vous vaut en général un regard exaspéré. Ne parlons même pas de l'islamophobie d'état dans les colonies.
Il est gravissime qu'on n'arrive toujours pas à contextualiser un acte antisémite, un acte raciste, un acte homophobe, un acte sexiste.
Les propos racistes autour de Taubira ont été isolés, attribués à une minorité de tarés absolument pas représentatifs de la société française. Les propos antisémites sont tantôt attribués aux "jeunes arabes de banlieue" soit à Dieudonné (interrogeons nous 5 mn sur le fait que Soral n'ai jamais été inquiété ces dernières semaines) ; on met un grand voile sur notre glorieuse histoire antisémite et les quelques dizaines d'intellectuels français, qui ont produit les textes antisémites les plus ignobles.
Ainsi nous n'arrivons pas à comprendre et admettre qu'il y a un continuum entre la discrimination à l'embauche et ce dont est victime Taubira. Ainsi nous refusons de comprendre que les petits actes du quotidien rapportés par les uns et les autres et dont nous nous sommes tous rendus coupables à un moment ou à un autre, entretiennent les discriminations. Comment mais qu'ai je à voir avec une banane ? Qu'ai je à voir avec quelqu'un qui hurle "juif le pays n'est pas à toi". Il est beaucoup plus facile pour moi de penser que c'est un salaud d'extrême-droite avec qui je n'ai evidemment rien à voir que de penser que le problème est plus complexe. Il est plus simple de se dire que l'extrême-droite est née ex nihilo, que la pensée antisémite ou la pensée raciste sont de vagues concepts dont on a vaguement entendu parler mais sur lesquels il ne faut surtout pas revenir.
Pire nous continuons à dire et prétendre que le racisme et l'antisémitisme ne peuvent être ni de gauche, ni républicains.
Il importe de comprendre, urgemment, rapidement, comment on est en arrivé là, et pas en pointant les extrêmes-droites qui ne surfent que ce qui est déjà installé dans la société française.  Pour arriver à ce qu'une banane soit tendue à Taubira, il faut un climat social qui le permettre, climat qui ne date ni d'hier, ni d'il y a dix ans, ni même d'il y a 30 ans.
Pour arriver à ce qu'on scande des slogans antisémites dans la rue, il faut également un climat ; contrairement à ce que beaucoup pensent, on ne parle pas trop de la Shoah. On en parle mal. Parler Shoah, nous évite de parler de Vichy ; "c'est pas nous c'est les nazis, on n'avait pas le choix".
Pour arriver à ce que des gens pensent très sincèrement que le mariage pour tous va détruire la civilisation, il faut également un climat qu'on gagnerait à comprendre; qu'est ce qui fait que l'homophobie est tolérée, comprise ?
Et encore je me dis que sur ces sujets là on accepte, de temps à autres, d'écouter celles et ceux qui nous alertent ; sur le racisme anti rom ou sur l'islamophobie, on reste d'une surdité exemplaire.

Je travaille depuis dix ans dans une société chargée de la modération de sites Internet ; cela ne me permet pas une vision représentative de la société française mais cela m'a permis de constater plusieurs choses :
- le travail remarquable des extrêmes-droites qui ont compris il y a 10 ou 12 ans ce que pouvait leur apporter Internet en termes de militantisme, de travail de sape et de contagion.
Comment est ce qu'on en arrive à de ce que des dizaines de gens totalement normaux, sans doute sympathiques, qui adorent leur voisin Mohamed,  postent par paquets de 500 qu'il faut passer un camp rom au Zyklon B ? Et croyez moi que j'ai lu cela des milliers de fois. C'est l'effarante banalité du mal.
- les cabinets en communication des politiques de tout bord qui ont bien compris qu'exprimer publiquement ce qui se dit sur les réseaux sociaux est a minimum un moyen de rester présent sur l'échiquier politique quitte à attiser le racisme.
- qu'à partir du moment où on est persuadé d'être dans "le camp du bien", on s'autorise à peu près tout face aux adversaires politiques ; en témoignent les réactions ultra sexistes autour de Boutin par exemple ou celles et ceux qui passent leu temps à dire que les homophobes sont des homosexuels refoulés.
- le racisme - au sens le plus large - est payant politiquement parce qu'il sera toujours beaucoup plus facile de résumer une situation donnée par un "c'est la faute des ..."  que par une explication complexe.

Nous pouvons continuer à nous dire que ces manifestations répétées des extrêmes-droites ne sont le fait que de quelques agités, nous pouvons continuer à nous dire qu'il n'y a aucun risque (et oui le risque en tant que femme blanche athée est peu élevé pour moi) et on peut continuer à le dire jusqu'à ce qu'on soit les derniers. Là il sera un peu trop tard.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Juval 59548 partages Voir son profil
Voir son blog

Dossiers Paperblog

Magazine