Pourquoi tant d’acteurs de cinéma font-ils aussi du théâtre ? Certains passent d’une discipline à l’autre, plusieurs ne lâchent jamais la scène, beaucoup y retournent. Pourquoi presque tous les artistes musiciens nous disent préférer le concert en direct à l’enregistrement d’un disque ? Pourquoi – et je vous prie d’excuser l’utilisation de ma propre expérience – après tant d’années d’écriture, de radio, de télévision, ai-je un tel bonheur à me présenter sur une scène ?
C’est que le livre, le studio, le disque, le cinéma n’ont pas ou peu de contact direct avec la personne qu’on souhaite atteindre : lecteur, auditeur, téléspectateur. Bien sûr nous pouvons être naturels d’une certaine manière (et c’est même tout un art au cinéma), recréer le réel, lui donner une autre forme, une apparence, mais nous ne sommes jamais totalement vrais. Et si nous le sommes, un filtre est placé entre notre parole, nos gestes, nos pensées et l’être qui doit les recevoir. On essaie pourtant de réduire cet écart, de tenter de le faire oublier : au cinéma on a été jusqu’à une vision circulaire totale et aux mouvements des sièges, voire à l’injection de parfums dans la salle ; tout cela censé nous plonger dans la réalité. C’est le talent du réalisateur et des acteurs de donner l’illusion.
A la télévision, on a beau nous proposer de la « téléréalité », on y est aux antipodes puisqu’on sait ces émissions scénarisées, ses acteurs dirigés, leurs réactions faussées.
En radio et dans la littérature, les choses sont un peu plus nuancées. L’imagination supplée aux images trop crues. Néanmoins si l’écriture et la voix se rapprochent de la vérité, c’est grâce à une habitude culturelle et à l’effort de notre esprit. Louis Scutenaire écrit : « Le théâtre c’est de l’imagination pour ceux qui n’en ont pas » et l’écrivain satirique et journaliste anglais Saki note : "L’imagination a été donnée à l’homme pour compenser ce qu’il n’est pas. L’humour pour le consoler de ce qu’il est !"
Nous sommes dans le domaine de l’apparence ; et chacun donne à voir, caché derrière le média, ce qu’il peut ou veut bien présenter au public. C’est fragmentaire, incomplet, parfois tronqué. Comme on (à vous de détailler ce « on » !) n’a pas beaucoup donné de mode d’emploi quant à l’utilisation généralisée des moyens de communication, il est difficile de croire que tel acteur puisse aussi être un bon peintre, que tel journaliste puisse être aussi un scientifique, que tel animateur puisse aussi être un poète. On catalogue, on classifie, on enferme.
On s’aperçoit bien de la lourdeur, de l’aliénation de cette prison publique lorsqu’un Coluche, par exemple, après des années d’histoires belges, de « L’aile ou la cuisse » et de « L’inspecteur la Bavure » veut à tout prix se métamorphoser dans « Tchao Pantin », sans parler de son action dans les Restos du Coeur !
Un des moyens utilisés pour être en accord avec soi-même c’est donc le contact direct. On ne convainc une « foule » (c’est bien le public des grands médias) qu’avec des idées simples, simplificatrices, avec des slogans, des images toutes faites ; on convainc plus facilement quelqu’un, qui ne fait plus partie d’une foule anonyme mais identifiée. Je dirais presque un par un.
Je pense que les politiques qui continuent, en plus des rassemblements, des écrits, des déclarations radio-télévisuelles, à faire le tour des marchés, à tenir des permanences, à discuter dans la rue, ont compris cette force de conviction du contact humain.
Il est donc naturel, à un moment donné de son parcours terrestre, qu’un homme qui crée ait envie de partager vraiment et mieux, c’est à dire sans ambiguïté, de cœur à cœur, à fleur d’âme. Lorsqu’on se trouve – avec de la musique, des acteurs, des musiciens, etc. "La Boîte de Jazz" – sur une scène devant un vrai public (mais je remplacerai ici la vieille expression « en chair et en os » par « corps et âme »), le partage de l’émotion est réel et magnifique. On ne triche pas. On se sent fraternel. Et tout ce qu’on demande c’est un échange d’amour. Aimer et être aimer.
« Frères humains, qui après nous vivez, / N’ayez les coeurs contre nous endurcis, / Car, si pitié de nous pauvres avez, / Dieu en aura plus tôt de vous merci. » (François Villon, « Ballade des pendus » XVe siècle)
Qui aurait pu imaginer qu’un jour, je danserai ainsi avec Mercedes, notre chanteuse anglaise…