Nous étions bouleversés, médusés par le spectacle qui s'offrait à nos yeux. La longue barque chargée d'âmes qui ressemblait à celle de Charon l'instant d'avant nous avait emmené dans les entrailles de la terre. Cours d'eau souterrain noir et obscur, on avançait dans une atmosphère pesante, si pleine d'inquiétude, où allions-nous ? Le nocher funeste ne disait rien, sa main lourde pesait sur l'aviron, il était droit sur l'arrière, gouvernait en silence, vigilant, inquiétant même de part son attitude, personne du reste dans la barque ne pipait mot, nous étions condamnés à notre sort qui semblait sans espoir de retour vers le monde des vivants.
C'est alors que la barque des morts se transforma instantanément en une embarcation légère qui volait en Égée vers une Nouvelle-Cythère. Le cours d'eau souterrain avait cédé sa place à un immense lac aux reflets d'or, la barque avançait en son centre et des cris de joie, des chants bouleversés sortirent spontanément de nos poitrines. Le ciel souterrain de cette vaste grotte dans laquelle nous étions entrés était illuminé par les éclats de millions d'étoiles diamanteuses fixées en son acmé.
Incroyable, c'était véritablement incroyable, nous ne savions pas où donner des yeux. Les coeurs, plus que les yeux, étaient éblouis. Le ciel était à notre portée dans toute sa splendeur. Le nocher soudainement transformé en un disert marin grec nous expliqua alors que c'était des millions de vers luisants fixés sur la roche qui étaient responsables de cette féerie. C'est le plus beau spectacle qu'il m'ait été donné de voir dans ma vie. Grotte de Waitomo, Nouvelle-Zélande...
Je parle de cet épisode de ma vie car je sais à présent avec certitude qu'il convient de descendre dans les entrailles de sa propre terre pour donner un sens à sa vie, pour trouver le trésor. En vivant et restant à la surface de notre sol on passe à côté de son existence, de nos désirs vrais. Qui sommes-nous ? Que faisons-nous ? Où allons-nous ? Devons-nous nous contenter des miettes que la vie nous donne, des faibles moyens que l'on se donne aussi pour vivre ? Consommer à outrance, gavage garanti ? S'épuiser à vivre et mourir ?
Alors, alpiniste ou spéléologue ? Les sirènes des cimes nous tentent... La vie, la résolution de son mystère, sa préhension du moins, passe à mon sens obligatoirement par le travail de descente en ses entrailles. Il faut descendre pour explorer la part cachée, la part secrète, la part mystérieuse, la presque part des anges qui nous constitue aussi. Nous n'utilisons que dix pour cent de notre capacité cérébrale, mais quid de notre coeur, de notre animus & anima ?
Savoir ce que l'on veut pour être véritablement maître de sa vie, vouloir exploiter cette part belle et vraie mais cachée de l'homme, la porter au grand jour... un jour, en union symbolique avec la soeur, le frère, si c'est possible. Vouloir réellement vivre de mille feux, de mille étoiles. Vivre vrai : coeur enlavé, enflammé. Passer alors par l'épreuve de la terre, de son ventre, de son creuset, de ses entrailles pour remonter un jour, neuf, au grand jour. Faire sienne la formule alchimique rénovée : dépouillée d'apparences & appartenances sectaires ésotérico machin chose aliénantes, vierge de dieux & diables & maîtres ou de pseudos gourous, exempte de systèmes religieux (ceux du "Livre" en particulier) qui ne sont que pourvoyeurs en nourriture prémâchée et régurgitée pour carences affectives et autres déficits psy.
Neufs, sans peurs et libres, consentants et libres, oui, passer son coeur au V.I.T.R.I.O.L. (Visita Interiora Terrae Rectificando Occultum Lapidem : visite l'intérieur de la Terre et en te rectifiant tu trouveras la pierre cachée) La vie est à ce prix...