Hier, nous vous avons commencé à vous raconter la longue histoire du Palazzo Cavalli Franchetti Gussoni, sur le Grand Canal, à l’angle du rio dell’Orso, près de l’église San Vidal, au pied du ponte de l’Accademia.
Résumé de la partie évoquée hier dans notre article.
En avril 1365 les frères Pietro et Nicolò Boninsegna enregistrent une provision pour l’achat de la propriété.
En 1473 un accord est conclu entre Andrea Marcello dit Alvise et ses frères (Gerolamo, Zuanne, Bernardo et Francesco, surnomé il Barbaro) d’une part et Andrea Mocenigo, d’autre part à propos du mur mitoyen entre leurs deux palais.
Entre 1514 et 1531, le second étage du palais revient à l’antique famille Gussoni.
En 1569, tout le premier étage du palais est acheté, 14.000 ducats, par le grand diplomate Marino Cavalli, il kavalier,
Sous Napoléon, la partie du bâtiment occupée par la famille Gussoni appartenait, pour deux tiers aux frères Girolamo et Giovanni Minio Gussoni et pour un tiers à Giovanni Labia.
A cette époque, la propriété est un véritable mille-feuilles :
Le primo piano nobile est utilisé par les Cavalli, le second et la partie haute par les Gussoni. Le piano terra n’a pas réellement été coupé en deux, pour permettre l’accès aux deux escaliers et à la rue, vers San Vidal. Certains inventaires du XVIIIème siècle sont et nous donnent même un témoignage fugace sur les différents usages, la construction et la décoration du bâtiment. On sait que les Cavalli possédaient quelques œuvres d’art, comme, par exemple, un tableau de Dario Varotari, dit il Padovanino, qui représentait un portrait d’un membre de la famille
Après la disparition de familles d’origine : les Marcello, les Gussoni, les Cavalli et leurs héritiers directs, le palais, qui conserve son nom devient un "cas" architectural aussi bien que linguistique.
En 1847, les Cavalli ont vendu au jeune archiduc Frédéric d’Autriche, commandant en chef de la marine de guerre impériale. Frédéric surmonte les divisions entre les familles et entreprends des travaux de réaménagent interne de l’immeuble. On ne peut manquer que les travaux qu’il avait entrepris, et qui seront interrompus par sa mort prématurée à l’âge de 27 ans, étaient tous, au nom de la modernisation, dans le goût typique de l’époque : éclairage au gaz, eau courante, rideaux, canapés, jardinières et mobilier de jardin font une entrée triomphale dans la vieille demeure gotique. Un observateur français écrit "on a métamorphosé l’intérieur pour l’adapter aux exigences modernes".
Trois mois après la mort de l’archiduc, c’est Henri-Charles-Ferdinand-Marie-Dieudonné d’Artois, le comte de Chambord qui achète le bâtiment.
Ce bref roi de France, sous le nom de Charles X va entreprendre la transformation moderne du bâtiment. Pour cela, il fait appel à l’architecte Giambattista Meduna. C’est un travail qui va revister le palais dans son ensemble, pour en faire un monument emblématique du XIXème siècle. Un XIXème siècle longtemps incompris, controversé et calomnié, mais qui a su allier la rencontre entre histoire et modernité.
A l’époque, seul un génie eût la clarté d’y voir la métaphore pour un destin mémorable de toute une civilisation. C’était le plus original des enquêteurs de la Venise médiévale et le témoin désenchanté des contradictions de la ville moderne, John Ruskin.
La présence française dans la palais à été assez longue et laborieuse pour marquer, dans le bon sens l’évolution du bâtiment. Exactement le contraire de la destinée du palazzo Loredan Vendramin Calergi, alors détenu par la mère de Chambord, la célèbre Du Berry, qui, accablée par les dettes laissa crouler la propriété en ruine.
Pour réaliser le jardin, Chambord achète, en 1860, un chantier naval (que l’on peut voir sur les anciennes gravures), mais paye beaucoup plus cher que prévu. Mais il ne peut le créer aussi grand qu’il l’aurait souhaité, car on construit le pont métallique au dessus du grand canal, et il est contraint de céder de l’espace. Un mur sera alors le rempart qui lui évitera toute fâcheuse promiscuité avec l’agitation populaire de cette nouvelle et importante voie de communication avec Dorsoduro.
Avec l’annexion de la Vénétie en Italie en 1866 à la fin de la troisième guerre d’Indépendance, Chambord part de Venise et vends le palais avec ses meubles et tous les autres biens immobiliers qu’il possédait dans la ville.
Le nouveau propriétaire était un des membres les plus éminents d’une nouvelle caste de possédants, celle de la richesse et de la finance. Le couple qui achète est le baron Raimondo Franchetti et sa jeune épouse Sarha Luisa de Rothschild.
C’était Janvier de 1878, les négociations avaient traîné une décennie et Raimondo Franchetti du débourser 200 millions de lires italiennes.
Le palais est resté l’entière propriété de la famille jusqu’en septembre 1922. Cette situation inédite va permettre les travaux qui donneront à l’ensemble son aspect actuel.
Dans cette situation nouvelle et sans précédent, tout semble changer de grandeur : la taille des investissements, le dynamisme du donneur d’ordre, l’efficacité des entreprises ; trois cents travailleurs s’activeront sur la chantier pour conclure au plus vite cette colossale rénovation.
On travaille en même temps sur le rez-de-chaussée, la mezzanine, le jardin, une partie de l’étage principal. On reconstruit entièrement le célèbre escalier. Le vieux palais du gotique tardif des Cavalli et Gussoni est méconnaissable. Ornements peints, marbres, sculptures, fers forgés, balustres et pierres polies, lampes… tous confère une modernité résolue à l’ensemble. Derrière cette métamorphose, Camillo Boito et l’ingénieur Manetti.
En 1922 le palais est racheté par l’Istituto Federale di Credito per il Risorgimento delle Venezie.
Des réaménagements sont réalisés à l’intérieur du bâtiment qui est désormais meublé avec du mobilier Fortuny. Les galeries sont adaptées à leur fonction de bureaux.
Dans cette phase de travaux la plus impressionnante et la importante intervention est, au deuxième étage, la création de l’immense Casellario Centrale toute en lambris. Il s’agit d’un rayonnage de bibliothèque magistrale dans un étonnant style néo-gothique.
Sources bibliographiques :
Giandomenico Romanelli Dai Cavalli ai Franchetti. Un edificio «squisitamente elegante»