Chaque année, depuis maintenant 5 ans, je décampe vers le Sud dès que les cadeaux sont déballés, pour ne revenir que vers la mi-avril. Soi-disant au printemps, car nous avons pourtant la chance de goûter aux dernières tempêtes de neige, les attardées, les décalées, celles qui nous confortent, si nous en avions encore besoin, dans notre opinion à l’effet que la saison froide est trop longue. C’est beau l’hiver, c’est parfois grandiose, quand tout est blanc, ou rutilant de glace… si on n’a pas à prendre la route, à pelleter, à déglacer. La première neige qui peinture en blanc la grisaille de l’automne, n’est-ce pas éblouissant? La centième…
Donc chaque année, Maurice et moi déboulons vers le perpétuel été. Même quand toute l’Amérique du Nord est blanche sur les photos satellites, il lui reste un petit appendice toujours vert où il fait meilleur vivre. Du point de vue climatique, je veux dire.
Car la Floride est paradoxale, souvent une chose et son contraire. On y vient d’abord pour la mer, démesurée, turquoise et verte et bleue. Celle que je contemple tous les jours, striée par les raies blanches des motomarines et des yachts luxueux, quadrillée par des voiliers, des bateaux de pêche et au loin, par les paquebots géants en partance pour les îles du Sud. Adjacent à cet infini, grouille la ville — passage incessant des milliers d’automobiles sur la Collins, hurlement occasionnel des sirènes ou des voitures de sport poussées à fond. Un petit avion à hélices passe en vombrissant au-dessus de la plage en remorquant une immense affiche publicitaire d’une vodka ayant pour nom AVION. Plus hauts et moins audibles, les appareils de ligne sillonnent le ciel entre deux aéroports. Une rumeur perpétuelle. Presque couverte par le puissant bruissement des vagues, certains jours de grand vent.
Sur la Collins, les tours sortent de terre comme des champignons. Des tours énormes. Ces immeubles forment une haie si dense que le soleil disparaît de la plage vers 14 heures. On voit alors
les gens traîner leurs chaises tous les quarts d’heure pour suivre les rares faisceaux lumineux qui s’immiscent entre les hauts murs. Tout un paradoxe que ces condos qu’on érige sur le bord de mer pour permettre aux fortunés de ce monde de profiter d’un soleil auquel ces mêmes condos font ombrage.
La Floride, c’est encore la culture du commerce, les magasins partout, les surfaces démesurées, les boutiques de luxe, les outlets, les revendeurs de surplus et de fins de ligne. Les spéciaux, les megas soldes, les super deals! Bye more, save more! Comme un perpétuel chant de sirène.
Qu’est-ce que nous foutons là, vous direz-vous. C’est que rien n’est parfait. Et que nous aimons vivre dehors, prendre nos trois repas au grand air, flâner sur le balcon jusqu’à la nuit, les bras nus. C’est que, lorsque je lis sous mon parasol et que le bruit des vagues couvre les conversations des autres allongés, la mer anéantit son envers bourdonnant. C’est que le soleil nous fait du bien, à la peau et aux os, à l’être même. C’est que l’eau salée est une géniale invention. C’est qu’il n’y a qu’au bord de la mer qu’on trouve ce flux et reflux qui redonne la cadence au cœur, à la respiration, à l’âme.