Il existe toujours de mauvaises raisons de se brouiller, surtout au sein de ce microcosme littéraire où être raccordé au « tout à l’ego » fait fréquemment partie du jeu. Trahison, vanité, quiproquo, jalousie, calomnie, intervention maladroite ou préméditée d’un tiers suffisent à éroder les amitiés les plus solides. C’est le constat que dressera le lecteur en refermant le dernier livre de Serge Koster, Mes Brouilles (Léo Scheer, 214 pages, 18 €). Dans le style impeccable qui le caractérise, l’auteur, qui n’est pas fortuitement admirateur de Léautaud, propose un florilège des fâcheries et autres bisbilles, provisoires ou définitives, dont il fut l’un des protagonistes ou qui marquèrent l’histoire des Lettres. Cette alternance d’exemples anciens et contemporains offre une belle promenade au pays des rancoeurs ; on y croise, au fil des chapitres, Francis Ponge, Daniel Oster, Voltaire, Roland Jaccard, Michel Tournier, Marcel Proust, Jean-Jacques Rousseau, Alain Finkielkraut, Josyane Savigneau, Jean-Paul Sartre, François Bayrou et quelques autres.
La mise en contexte des brouilles célèbres, d’une érudition impeccable, passionnera les amateurs d’histoire et de petite histoire de la littérature. Celle, notamment, de Mme de Sévigné et de son cousin Roger de Bussy-Rabutin se savoure avec délice. Quant aux querelles qui opposèrent l’auteur à ses pairs, elles définissent (tout comme le choix des précédentes, finalement) un autoportrait en creux tout à fait singulier. Car, contrairement à beaucoup d’écrivains qui, à l’occasion d’un livre, règlent leurs comptes avec aigreur, mais en prenant soin de se réserver la meilleure part dans un acrobatique exercice d’autopromotion, Serge Koster n’a cure de se ménager. Parfois ombrageux, il n’hésite pas à assumer sa part de responsabilité - « Je ne suis pas quelqu’un qui se pardonne », avoue-t-il - et sa sincérité désarme, même si elle le conduit parfois à manquer d’élégance, comme lorsqu’il évoque Elisabeth Roudinesco. En revanche, on appréciera le profils qu’il dessine de certains de ses (ex) amis, notamment Maurice Nadaud qui lui ouvrit les portes de la carrière. De nombreux passages nous renseignent aussi sur les sujets qui semblent plus particulièrement préoccuper l’auteur, comme l’orgueil, l’humiliation, la judéité, l’amitié, l’ingratitude, le moment précis où, entre deux êtres, se joue la rupture et, bien sûr, le rapport à soi qui tient, lui aussi, du conflit.
Il y a une part d’Alceste chez Serge Koster, qui, d’ailleurs, la revendique, même s’il regrette souvent ses expériences, comme l’attestent ces deux extraits : « Beaucoup de mes brouilles ont eu pour origine cette volonté d’indépendance et ce désir de rester mon propre sujet » et « L’homme qui se brouille laisse trop de décombres derrière lui. Il faut sans cesse balayer. Quelle fatigue. » A plusieurs reprises, l'auteur cite La Rochefoucauld et Chamfort, deux moralistes non moralisateurs qu'il est toujours plaisant de relire (avec La Bruyère). Chamfort, d'ailleurs, avait donné une recette infaillible pour éviter les brouilles qui ne sont souvent que des cimetières d'illusions : « Prendre les gens pour ce qu'ils sont et les laisser pour ce qu'ils ne sont pas.»