L’économie verte vue par Leonardo Boff, théologien de la libération
« L’économie verte : l’assaut final contre la nature ? », s’interroge Leonardo Boff dans le dernier numéro de la revue internationale de théologie Concilium (1).
D’une économie brune à une économie verte
Le terme d’économie verte, rappelle le théologien brésilien, l’un des chefs de file de la théologie de la libération, a fait son apparition dans la réponse au rapport 2006 des Nations unies sur l’impact économique du changement climatique. L’idée était d’organiser la transition d’une économie dite ‘brune’, dépendante à l’excès des combustibles fossiles, à une économie mobilisant davantage les énergies renouvelables et les technologies à faible taux d’émission de carbone.
En 2011, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) entérinait l’idée en publiant un rapport intitulé Vers une économie verte pour un développement durable et une éradication de la pauvreté dans lequel l’économie verte est caractérisée comme « une économie qui entraîne une amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie de ressources ».
Les aspects positifs d’un verdissement de l’économie
Le théologien reconnaît des aspects positifs dans la dynamique en faveur d’une économie plus verte :
- une économie verte est effectivement désirable – et c’est même urgent – pour réparer les dégâts causés à l’environnement et lui éviter de nouveaux dommages ;
- l’économie verte conduit à attribuer une valeur économique à des biens comme l’eau, le sol, les nutriments, les paysages… et donc à intégrer le coût de leur utilisation dans le prix de production, alors qu’ils étaient jusqu’ici considérés comme gratuits ;
- l’économie verte se donne pour objectif de favoriser le bien-être humain et l’équité sociale en maintenant une certaine harmonie avec la nature, ce qui suppose d’agir « pour rétablir la santé et l’intégrité de l’écosystème terrestre », selon les mots du document officiel de la Conférence de Rio sur le développement durable (Rio+20) qui s’est tenue à Rio de Janeiro du 20 au 22 juin 2012 (L’avenir que nous voulons). Comment ne pourrait-on pas être d’accord avec un si noble objectif ?
Une coquille vide ?
Encore faudrait-il aller plus avant dans la formulation d’un nouveau modèle de relation avec la Terre qui passe par des changements importants dans la façon de produire. « On définit des objectifs. Mais on ne dit des moyens et des transformations macro-économiques et sociales requises pour atteindre de si nobles buts« , observe Leonardo Boff après avoir lu le rapport 2011 du PNUE. Même chose pour le document L’avenir que nous voulons. C’est « un ensemble désorganisé de bonnes intentions (‘nous approuvons’, ‘nous soutenons’, ‘nous prenons acte’, ‘nous réitérons’), mais sans usage pratique dans la mesure où il ne propose ni étapes pratiques, ni technologie, ni fonds pour mettre en pratique ces bonnes intentions ».
L’économie verte est-elle autre chose qu’une coquille vide ? N’est-ce pas une des nouvelles productions du système capitaliste qui est doté d’une formidable capacité à créer sans cesse de nouvelles initiatives et à s’adapter pour poursuivre ses finalités cupides ? Est-elle autre chose qu’un « label pour le nouveau discours hégémonique adopté par les Nations unies, les gouvernements et les hommes d’affaires » ?, s’interroge en substance L. Boff.
Problèmes et risques de l’économie verte
Le théologien termine son article par deux critiques frontales de la configuration que semble prendre le développement de l’économie verte :
a/ l’économie verte ne résout pas le problème de l’inégalité. « L’égalité n’est pas compatible avec le maintien du niveau de consommation des peuples les plus riches de notre monde », écrit-il. Il poursuit : « L’Américain moyen consomme six fois plus que l’Indien moyen. L’égalité requiert l’imposition de limites, quelque chose qui est rejeté par notre système actuel, basé sur une accumulation et une consommation illimitée. » Pour L. Boff, il n’y a pas d’autre issue que la réduction de la consommation et un changement vers un monde plus de « sobriété partagée ».
b/ l’économie verte n’est sans danger : elle peut accélérer le mouvement d’une économie de marché à une « société de marché » où toit est bon pour faire du profit. L’économie verte peut être un prétexte pour faire de l’argent « à partir de ce qui est le sacré dans la nature, à partir des biens communs de la Terre et de l’humanité qui doivent être possédés collectivement », comme les semences, les sols, les parc naturels, l’information génétique, Internet, la santé, l’éducation… D’une part, ces biens sont intimement liés à la vie qui est « sacrée et intouchable. En conséquence de quoi, « ils ne peuvent être transformés en marchandises et être intégrés dans le cycle d’achats et de ventes. »D’autre part, on ne peut mettre un prix sur des biens et des services que la nature met gratuitement à notre disposition, pour ensuite en tirer un profit. Pourtant, constate le théologien brésilien, « il y a déjà des tentatives de faire du profit non seulement sur la forêt d’Amazonie, mais aussi en vendant sa capacité à créer de la biodiversité et de l’humidité. Il y a des tentatives pour faire du profit en commerçant non seulement le miel, mais la capacité des abeilles de polliniser ».
En jeu, l’avenir de l’humanité
Les dernières phrases de son article sonnent comme un avertissement : « Si cette tendance de l’économie verte devait prévaloir, ceci voudra dire que le temps serait venu du grand assaut final sur la nature et la Terre par une humanité vorace et biocide ; que nous sommes au-dessus du précipice. Alors il n’y aura plus d’enfants et de petits-enfants pour pleurer notre destin tragique. Eux non plus n’existeront plus. »
Ce n’est donc rien de moins que l’avenir de l’humanité qui est en jeu, selon L. Boff. C’est pourquoi, à ses yeux, il est plus qu’urgent de travailler à un changement de modèle de société.
(1) Leonardo Boff, « The Green Economy : The Final Assault on Nature ? », Concilium, 2013(4), 120-126.
http://doctrine-sociale.blogs.la-croix.com/economie-verte-boff/2014/01/24/