Par Michel Lebreton
Bitcoins acceptés !
Il y a quelques années, avant que le vocabulaire venu d’outre-Atlantique ne se soit imposé, on préférait évoquer la chaîne pyramidale pour l’escroquerie qu’on appelle aujourd’hui système de Ponzi. L’astuce consiste pour les initiateurs de la chaîne à utiliser les fonds apportés par les nouveaux adhérents pour fournir une rémunération attractive à ceux qui leur ont confié leur capital pour les rassurer pendant qu’ils s’approprient le dit capital. Tout l’art est de disparaître avec la caisse au moment où les nouvelles adhésions vont cesser de suffire à maintenir le versement des intérêts et où les souscripteurs vont demander le remboursement de leur capital évanoui.
Certains affirment que le bitcoin serait un tel système de chaîne pyramidale, généralement au prétexte que les premiers bitcoins n’ont guère coûté aux fondateurs du système qui en possèdent de gros montants, et que les acheteurs actuels du bitcoin paient très cher pour une valeur en réalité arbitraire. Pourtant, le bitcoin ne possède pas les attributs caractéristiques d’une chaîne pyramidale :
- Il n’y a pas d’utilisation de l’apport des nouveaux entrants pour maintenir les anciens dans l’illusion de l’intégrité de leur capital. Les vétérans de la cryptomonnaie semblent pour la plupart garder leurs bitcoins sous leur matelas — fin 2012, 78% des bitcoins étaient dans des comptes dont rien n’était jamais ressorti — mais s’ils les échangent, c’est dans des transactions loyales dans lesquelles ils se dessaisissent de leur bien à sa valeur de marché. D’ailleurs, rien ne distingue le bitcoin « de fondateur » d’un bitcoin miné la minute précédente.
- Charles Ponzi utilisait un argument de bon sens, dont le principe était vérifiable par chacun mais l’application se révélait en pratique irréalisable, pour convaincre les épargnants de lui confier leur argent : il aurait acheté en Italie des coupons postaux internationaux de réponse payée, valides partout, au cinquième de leur prix de remboursement aux USA. Il aurait suffit à l’une de ses victimes d’essayer de se faire rembourser un coupon aux USA pour constater que les choses n’étaient pas si simples… Le bitcoin est à l’exact inverse un système dont seuls quelques spécialistes bac+X parviennent à maîtriser les principes, mais dont tout un chacun peut expérimenter sans grande dépense la pratique dans les bars branchés de Californie ou à Union Square le lundi après-midi.
- Bernard Madoff disposait d’une fausse salle de marchés, qu’il montrait à ses clients pour les convaincre. Toute escroquerie, et les chaînes pyramidales n’échappent pas à la règle, est ainsi basée sur la dissimulation au pigeon de la véritable nature du système. Or par construction, un tel secret est parfaitement impossible dans le cas du bitcoin où la totalité des spécifications et de l’implémentation est dans le domaine public. Avant d’acheter ses bitcoins, chacun peut vérifier qu’il n’y a pas le moindre vice caché à son désavantage, et s’il n’en était pas convaincu, personne ne l’obligera à utiliser le bitcoin comme moyen de paiement.
On notera que les monnaies fiat ne passent pas, elles, le filtre de ces critères avec la même aisance.
Imaginons qu’en 1967, Berny Wagner, entraineur d’athlétisme à l’Université de l’Orégon, se soit rendu chez un bookmaker pour parier un gros montant que son poulain, 5e à la hauteur aux championnats universitaires US avec une technique peu orthodoxe, serait l’année suivante champion olympique compte-tenu des avantages techniques qu’il voyait dans la dite technique. La cote aurait été énorme. Mais au fur et à mesure que Dick Fosbury devenait en 1968 champion indoor des USA, puis se qualifiait pour les JO, puis pour la finale, sa cote aurait baissé considérablement. Quand à Mexico, Fosbury remporta le titre olympique, Berny Wagner aurait touché le jackpot, et ce sont tous les parieurs ultérieurs qui le lui auraient versé, ceux qui avaient parié contre Fosbury, certes, mais ceux qui avaient parié pour lui auraient pu se sentir frustrés, ou même entraînés dans un système à la Ponzi où avec la même mise, Wagner touchait cent ou mille fois plus qu’eux. Mais quand on parie, on prend ses responsabilités, on connaît les cotes, les athlètes, et on est libre de ses choix.
Supposons maintenant que de manière analogue, un entraîneur basque soit allé parier en 1955 sur un champion de barra vasca de 40 ans, inconnu en athlétisme, pour l’épreuve de javelot des jeux de Melbourne. Au début de 1956, Félix Erausquin lança, avec la méthode « barra vasca », le javelot au delà du record du monde de l’époque. La cote baissait. Puis la Fédération alertée changea le règlement, prohibant de fait le « lancer à l’espagnole ». Aux jeux de Melbourne, le pari n’aurait plus rien valu.
Nul ne sait si l’avenir du bitcoin sera un flop à la manière Fosbury ou un lancement à la manière Erausquin. En revanche il est certain que parce qu’il laisse les individus libres de leurs choix tout en leur donnant toutes les informations pour les faire, sa « blockchain » n’est pas une chaîne à la Ponzi.