jeudi 23 janvier 2014 source démocratie et socialisme
Tribune de LIÊM HOANG-NGOC Eurodéputé, rapporteur sur l’action de la troïka et PHILIPPE MARLIERE Politologue, professeur à l’University College of London parue dans le Libération du 16.01.14
Alors que les uns et les autres s’agitent autour de questions de société, François Hollande continue de développer son projet économique. Il vient de confirmer l’orientation social-libérale mise en œuvre depuis son élection. Il a foi dans le virage à 180 degrés qu’il entend faire assumer au grand jour à la gauche française. Le nouvel horizon, défini lors de la conférence de presse du 13 novembre 2012 et réaffirmé lors celle du 14 janvier, est lesocialisme de l’offre, traduction française de la Troisième voie dans laquelle Tony Blair et Gerhard Schröder engagèrent, il y a dix ans, le Labour britannique et le SPD allemand.
Par définition, le socialisme de l’offre, version sociale-libérale de la politique de l’offre, tourne le dos aux politiques de demande, réputées caduques dans un univers où règne la compétition mondialisée. Les politiques d’inspiration keynésienne ont certes contribué au succès des Trente Glorieuses, admet-on, mais c’était dans un monde où les marchés nationaux étaient peu ouverts et où nouveaux dragons et autres nouveaux entrants sur le marché européen n’avaient pas encore émergé. Désormais, la dépense publique, présumée inefficace par principe, engendrerait une pression fiscale insupportable pesant sur les coûts de production et, par conséquent, la compétitivité des entreprises. Celles-ci souffriraient, au demeurant, d’un coût du travail excessif, dû à l’existence d’un salaire minimum, d’une législation protectrice de l’emploi et d’un système de protection sociale financièrement insoutenable. Il faut donc réduire la dépense publique, afin de réduire la dette qui pèse sur les générations futures d’entrepreneurs. Il faut réformer le marché du travail pour le rendre plus flexible tout en adaptant les qualifications aux emplois de demain. Il faut éviter que le modèle social ne représente un fardeau pour les entreprises, dont le taux de marge doit être à tout prix rétabli. Tel est, en substance, ce que représente aux yeux de l’idéologie dominante le « courage politique ». A cette aune, François Hollande n’est pas dénué de courage politique : pactes de compétitivité et de responsabilité organisant une baisse du coût du travail, financés par une réduction drastique des dépenses et une hausse de la TVA, accord national avec les syndicats pour promouvoir la « flexisécurité », modération du salaire minimum. Le chef de l’Etat n’est pas moins dépourvu de courage que ses homologues socialistes et sociaux-démocrates européens qui ont expérimenté à leurs dépens les mêmes thérapies libérales.
Prenons Tony Blair au mot, lorsqu’il déclarait que le critère de démarcation n’est pas qu’une politique soit de droite ou de gauche, mais réside dans le choix d’une bonne ou d’une mauvaise politique, force est de constater que les politiques de l’offre sont aussi inefficaces qu’impopulaires. Les politiques de l’offre devaient réduire la dette publique, grâce à la consolidation budgétaire, et relancer la croissance, grâce aux réformes structurelles. Elles ont creusé la dette publique et tué dans l’œuf la croissance. Personne ne s’étonne plus, dans ces conditions, que la courbe du chômage ne puisse être inversée, même à coups d’emplois aidés, aussi coûteux que précaires.
Le « sérieux budgétaire » n’est pas sérieux dès lors qu’il néglige l’existence de ce que les économistes nomment le « multiplicateur budgétaire ». Le FMI lui-même reconnaît que le multiplicateur budgétaire a, au cours de la période écoulée, été sous-estimé. Concrètement, si le multiplicateur est de 1,5 dans la zone euro, une contraction de 10 milliards des flux consacrés à la dépense publique engendre un effet récessif de 15 milliards, soit, pour la France, l’équivalent des 0,75 points de croissance qui feront précisément défaut pour inverser la courbe du chômage en 2014. La Commission européenne a fini par admettre la pertinence du multiplicateur et a accordé à la plupart des pays de la zone euro un délai pour réduire à 3% leurs déficits. Pour autant, elle reste muette devant le phénomène de courbe en ciseau qui est en train de contaminer tous les pays de la zone euro : les déficits se réduisent, comme conséquence de la consolidation budgétaire, mais le taux d’endettement (le ratio dette/PIB) continue à s’accroître car la croissance est insuffisante pour engendrer les recettes fiscales qui permettraient de réduire la dette.
Dès lors, les efforts demandés, qu’ils transitent par une hausse des impôts ou une baisse des dépenses, ne peuvent être qu’impopulaires parce qu’ils donnent l’impression de verser de l’eau dans le sable : les économies réalisées sont intégralement affectées aux charges d’une dette qui ne cesse de s’accroître, malgré les efforts fournis. Les efforts demandés sont mêmes de plus en plus pénibles année après année, parce que la dette fait boule de neige dès lors que le taux de croissance de l’économie demeure inférieur au taux d’intérêt de la dette – pourtant à son plus bas historique en France.
A l’origine de cet effet boule de neige, il y a l’atonie de la croissance, due à une insuffisance de demande généralisée. Celle-ci ne peut plus être mise sur le compte d’une panne de liquidité, comme au lendemain de la crise bancaire de 2008. La Banque centrale est, depuis, massivement intervenue pour maintenir les taux les plus bas possibles en maniant son taux directeur, en injectant des liquidités dans le système bancaire et en rachetant de la dette souveraine. Malgré cela, l’Europe est au bord de la déflation. L’atonie de la croissance est due, d’une part, à l’impact récessif des politiques d’austérité budgétaire menées de concert dans tous les pays européens, d’autre part aux réformes structurelles ayant pour effet de réduire le pouvoir d’achat des ménages. Si tous les pays réduisent leurs dépenses et salaires en même temps, s’installe alors un jeu à somme négative où la demande intra-européenne finit par décliner. Dès lors, à effectifs constants à court terme, la chute des ventes accroît mécaniquement la part des salaires dans la valeur ajoutée, malgré la baisse des salaires. Faute de débouchés, les entreprises sous-utilisent leurs capacités de production, qu’elles finissent par détruire pour ne pas avoir à amortir le stock de machines inutilisées. Autrement dit, alors que le coût du travail baisse partout, les entreprises n’ont aucun intérêt à investir. Telle est la véritable raison de la baisse conjointe du taux de marge des entreprises et du potentiel de production de l’économie. L’échec des politiques de l’offre devrait conduire les progressistes de tous les pays du Vieux Continent à admettre la brûlante actualité de politiques de demande coordonnées à l’échelle européenne. C’est le sens de l’appel que nous leur lançons.