Parce que j'aime ça
Parce que ça bouge
Parce que ça vit
Parce que ça pleure
Parce que ça rit
Parce qu'au ciné
On est dans le noir
On est au chaud
Entre un mec qui vous fait du genou
Et une nana qui enlève le sien
Devant un con qui parle trop fort
Derrière un génie aux cheveux ébouriffés
Qui vous empêche de lire les sous-titres
Parce que ça danse
Parce que ça chante
Alors je plane
Parce que c'est beau
Parce que filmer c'est comme une femme
C'est comme un homme
Ça peut faire mal
Ça vous écorche
C'est parfois moche
Mais c'est bien quand même
Parce que ça zoom
Parce que ça travelling
Parce que ça silence et moteur et on tourne
Parce qu'on rêve
A vingt-quatre images seconde
Et que par conséquent ça fonce dans la nuit
A quatre-vingt six mille quatre cents images a l'heure
Et que le Tgv en crêve de jalousie
Parce que c'est blanc
Parce que c'est noir et pleins d'autres choses encore
Parce que j'aime ça.
Et parce que je ne sais rien faire d'autre.
Jacques Demy
Dimanche dernier il passait Les Hommes préfèrent les Blondes dans un petit cinéma du quartier Latin. Le bonheur. D'abord de revoir ce film, mais aussi de partager les rires du public, de voir un film sur une vieille pellicule qui saute un peu avec des sous-titres "vintages" (la traduction de Little rock par Caillou-sur-mer). Je suis trop subjective sur ce film pour vous en parler. C'est le genre d'instant que j'adore, être au chaud dans un petit cinéma, entourée d'amis à regarder un vieux film. J'aime Paris pour ça.
C'est une question qui revient souvent, Paris et le fait de l'aimer. Comme quelque chose d'incroyable.
Ce que j'aime en ma ville, c'est ces promesses d'aventures. Combien de fois j'ai vécu un film? C'était un film d'action, parfois une comédie romantique, un portrait de société, un drame et même un musical. Paris a cette essence cinématographique qui fait rêver ceux qui y croient. Hier, par exemple, j'étais triste. Un vague à l'âme, rien de plus. J'ai quitté la soirée où j'étais. Personne ne trouvant une quelconque grâce à mes yeux. Quand je suis d'une humeur de merde, je suis d'une humeur de merde et autant que j'aille me coucher. Je me casse, je rentre à pied, plus de métro et puis l'envie de marcher. La balade, un anxiolytique à ma mesure. Tout Paris s'offre à moi. J'évite d'habitude les coins touristiques, mais à 3 heure du matin, je me tente Montmartre. Paris à mes pieds, seule dans mon gros manteau, khôl noir se faisant la malle sous mes yeux brillants, je suis l'héroïne de mon propre film. C'est sûrement un film un peu chiant, Une fille un peu trop fière, inapte aux règles sociales, qui cumulerai les boulots comme on rentre en guerre pour sa propre survie. Le film serait morcelé, à chaque défi viendrait s'ajouter un phrase tiré d'une pièce de théâtre. Comme autant de rôles qu'une meuf doit revêtir pour être indépendante. Hier soir j'étais triste. Une histoire à la con de cœur, mais trop orgueilleuse pour me l'avouer. La réplique aurait été, sûrement, celle d'Aricie dans Phèdre de Racine:
"Phèdre en vain s'honorait des soupirs de Thésée.
Pour moi, je suis plus fière, et fuis la gloire aisée
D'arracher un hommage à mille autres offert,
Et d'entrer dans un cœur de toutes parts ouvert.
Mais de faire fléchir un courage inflexible,
De porter la douleur dans une âme insensible,
D'enchaîner un captif de ses fers étonné
Contre un joug qui lui plaît vainement mutiné;
C'est là ce que je veux, c'est là ce qui m'irrite."
Aricie, Phèdre de Racine, Acte 2 scène I