
La reine et ses suivantes entrant dans la Cité des dames,
miniature sur parchemin tirée d'un manuscrit de La Cité des dames
de Christine de Pizan (1365-c.1430), réalisé à Paris vers 1410-1414,
manuscrit Harley 4431, fol.323, Londres, British Library
La place de la femme dans la société médiévale est décidément un sujet inépuisable qui, du savant volume de l'Histoire des femmes dirigé par Christian Klapisch-Zuber au controversé et partial La femme au temps des cathédrales de Régine Pernoud, de Chambre des dames en Lit d'Aliénor,excite autant de réflexions que de rêveries. Les évocations musicales ne font pas exception, qu'il s'agisse des très beaux Ave Eva de Brigitte Lesne (Opus 111, 1995), Rose tres belle de Diabolus in Musica (Alpha, 2010), Insula Feminarum de La Reverdie (Arcana, 1997) ou, un peu à part, le très émouvant Lux Feminæ (Alia Vox, 2006) qui fut le dernier projet personnel enregistré par la tant regrettée Montserrat Figueras.
La Capella de Ministrers, ensemble fondé en 1987 autour du chef et gambiste Carles Magraner, n'est pas, à proprement parler et
même s'il tend à s'y intéresser de plus en plus, spécialisé dans la musique médiévale, puisque son répertoire s'étend jusqu'aux zarzuelas de Martín y Soler, soit le dernier quart du
XVIIIe siècle.
La seconde partie de cette galerie des dames explore le versant profane de leur inspiration, et il y est naturellement
beaucoup question d'amour. On y est en bonne compagnie, de Blanche de Castille (1188-1252), peut-être auteur du chant marial Amours u trop tard tout pétri de lyrique courtoise, à Anne
Boleyn (c.1507-1536) dont on dit que
Présentée avec beaucoup de soin en un livre-disque joliment illustré (le texte d'accompagnement est en anglais et en espagnol
uniquement), cette Cité des dames laisse néanmoins une impression mitigée, qui dépend largement de ce que l'on attend de ce type de projet. Le choix des pièces est intelligent,
proposant suffisamment d'ambiances différentes pour que jamais la moindre trace d'ennui ne s'installe, et il faut également souligner les qualités plastiques de la réalisation : les voix
sont belles et justes, les interventions instrumentales toujours maîtrisées, le tout étant parfaitement mis en valeur par une prise de son aussi chaleureuse que l'approche des musiques, misant
sur une sensualité et une harmonie qui ne manqueront pas de lui rallier bien des suffrages.
La Cité des dames n'en demeure pas moins un bon disque, qui s'écoute avec beaucoup de plaisir et apportera, je crois, beaucoup de satisfactions à ceux qui apprécient les enregistrements de musique médiévale de Jordi Savall, dont les propositions de la Capella de Ministrers se rapprochent beaucoup, tant au niveau des couleurs vocales et instrumentales que de la primauté accordée à l'esthétisme sur un plus strict souci de vraisemblance historique. Si ce parti-pris ne représente pas un frein pour vous, il ne fait alors guère de doute que vous reviendrez souvent rêver en compagnie de ces femmes d'autrefois au visage incertain mais à la poésie toujours touchante.
Capella de Ministrers
Carles Magraner, vièle, viole, rabel & direction
2 CD [50'39" et 52'49"] Licanus 1333. Ce livre-disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Cassienne de Constantinople (c.805/10-c.867/90) : Seigneur, la femme tombée dans de nombreux péchés
2. Traditionnel, Alicante : Mareta (« Petite mère »)
Illustrations complémentaires :
Diane présidant à une assemblée de lectrices, miniature sur parchemin tirée d'un manuscrit de L'Epistre Othea de Christine de Pizan (1365-c.1430) réalisé à Paris vers 1410-1414, manuscrit Harley 4431, fol.107, Londres, British Library
Une femme en litière, miniature sur parchemin tirée d'un manuscrit de Le Livre du duc des vrais amans de Christine de Pizan (1365-c.1430) réalisé à Paris vers 1410-1414, manuscrit Harley 4431, fol.153, Londres, British Library