Par Vincent Le Coq.
Alors que la Commission européenne souhaitait intégrer le notariat dans la directive « équivalence des diplômes », le CSN (Conseil Supérieur du Notariat, pour les nantis) est parvenu à obtenir successivement du Sénat qu’il émette un avis défavorable le 31 août 2012 sur cette réforme puis dernièrement de la Chancellerie qu’elle fasse obstacle à la volonté d’unification des institutions européennes.
Cette actualité, qui souligne une nouvelle fois la capacité du notariat à faire échouer une réforme, nous incite à poursuivre l’examen de cette profession singulière et à nous intéresser au fonctionnement réel du contrôle que l’État affirme exercer sur les notaires et que ces derniers revendiquent.
L’attribution à un citoyen extérieur à l’administration du pouvoir exorbitant d’authentifier, c’est-à-dire de disposer du droit de rédiger des actes ayant la même valeur juridique que celle d’un arrêt rendu en dernier ressort par la Cour de cassation, ne peut évidemment se concevoir qu’en raison d’un contrôle très strict opéré directement par l’État sur les détenteurs de ce pouvoir.
Alors que le pouvoir d’authentifier devrait n’être accordé par l’État que parce que l’acte présente de très sérieuses garanties résultant d’un étroit contrôle des autorités publiques, la réalité est qu’à l’abri d’un acte authentique, les notaires peuvent presque tout faire, c’est-à-dire à peu près n’importe quoi.
« Selon une étude de 2003 citée par les mêmes, un notaire est mis en cause une fois tous les deux ans, alors qu’un avocat ne sollicite son assurance qu’à deux reprises dans sa carrière, autrement dit tous les vingt ans. »
Le contrôle de l’État revendiqué tant par la profession que par la Chancellerie n’est en effet qu’un argument publicitaire.
L’affirmation d’un contrôle étatique
L’article 45 de la loi du 20 avril 1810, toujours en vigueur, confère expressément un “droit de surveillance”, comprendre, un devoir, aux trente-cinq procureurs généraux sur les notaires du ressort de leur cour d’appel.
Maître Gilles Rouzet, notaire, reconnaît que “si l’initiative de l’inspection appartient aux chefs de parquet et aux responsables des organismes professionnels, elle est menée dans le seul cadre de la Chambre départementale, du Conseil régional ou du Conseil supérieur du notariat”.
Il faut prendre conscience que cette situation répond très exactement aux exigences exprimées par la profession elle-même. En effet, pour le Conseil supérieur du notariat, “il est essentiel que le contrôle soit effectué (…) par la profession elle-même qui apparaît techniquement mieux placée pour apprécier la qualité du service rendu.”
En pratique, le contrôle est minutieusement organisé pour le vider de tout contenu.
Au 31 décembre 2000, les effectifs des contrôleurs ne s’élevaient qu’à “37 inspecteurs salariés outre 4 inspecteurs libéraux pour une population de 4 472 (offices notariaux)”. Soit un peu moins d’un contrôleur pour cent contrôlés.
Mieux, ce contrôleur est le salarié du contrôlé. Or, s’interroge Maître Fabienne Barbier, “de quelle liberté jouit-on et d’indépendance bénéficie-t-on quand on a le statut d’inspecteur comptable ? (et de répondre) “Fort peu si l’on réalise qu’on est salarié du Conseil Régional du Notariat”.
La double auto-censure au sein de l’auto-contrôle
L’auto-contrôle semble d’autant moins avoir pour objet la sanction de comportements déviants au sein de la profession que les inspections “participent de l’obligation d’entraide mutuelle”.
Ainsi que l’indique Maître Fabienne Barbier, notaire, “le rapport part en premier à la Chambre des Notaires. Le Président, connaissance préalable prise du rapport, peut traiter une demande pour atténuer certains termes peut-être un peu trop rigoureux à l’égard d’un confrère qu’il “connaît bien” et qui ne le “mérite pas” comme faisant partie de sa paroisse.
Et le rapport amendé, retourné au Conseil régional se voit appliquer toutes les signatures avant départ au Parquet. Voilà revenu le mauvais usage de la proximité. Alors que celle-ci, utilisée à bon escient, constitue une chance pour le notariat.
On l’a bien compris, le président de Chambre départementale essaie à son niveau de jouer les avocats de la défense face à ce jugement qui entachera de façon unilatérale le dossier de son Confrère.
Laissons à Monsieur Patrick Beau, président de la conférence des procureurs le soin de décrire le résultat pratique de cette cascade de délégations et sub-délégations, réserves et auto-censures : « Il y a certainement des tas de choses dont je ne suis pas informé ».
On ne saurait mieux dire que l’appareil d’État possède une parfaite connaissance du peu d’efficacité du contrôle opéré sur cette profession. Pourtant, la Chancellerie ne semble pas disposée à remédier à cette insuffisance avérée.
Bien mieux, la Chancellerie se refuse à informer les justiciables de l’importance des illégalités commises par les notaires en refusant de tenir la moindre statistique (ou si celle-ci existe, en refusant de la rendre publique).
Étonnant, non ?