Suite de nos interviews éditeurs consacrées aux bilans 2013 et perspectives 2014 de chacun. Après Kazé Manga au début du mois, enchaînons avec Kurokawa. Après une première entrevue en 2012 qui nous a permis de poser les bases du catalogue, le directeur éditorial Grégoire Hellot a accepter de répondre à nouveau aux questions de votre serviteur, en décembre dernier.
Juste derrière le trio éditorial Glénat, Pika et Kana, Kurokawa est le 4e acteur du marché du manga avec 7,5 à 8 % de part de marché en volume de ventes en 2012, soit environ 1 million de mangas vendus. Et pourtant, l’éditeur se démarque de ses concurrents par un faible volume de parution : avec 79 nouveautés en 2013 il est situé à l’écart de ses concurrents, en 11e position. Une stratégie centrée sur quelques titres qui confère à chacun une bonne visibilité avec des licences triés sur le volet. On retrouve aussi des envies d’innover et de tenter des choses dans des domaines comme le jeu vidéo ou le kodomo depuis quelques années avec Pokémon, Inzuma Eleven ou Resident Evil ou encore dans l’humour avec Yotsuba&, Les vacances de Jésus & Bouddha ou Nobles Paysans.
Un éditeur et un catalogue qui méritent donc qu’on s’y intéresse de plus près, pour connaître les stratégies, les succès et les déceptions… En route pour l’interview, bonne lecture !
Préambule : Arakawa, entre humour et campagne…
On commence avec Hiromu Arakawa et son tordant Nobles Paysans. Cette auteure n’est pas ce qu’on peut appeler une mangaka classique : elle est à la fois une femme qui écrit des shônens et une Japonaise qui n’arrête pas de hurler ses opinions. Comme tu es son éditeur français, tu l’as déjà rencontrée… Est-ce que tu pourrais nous en dire plus sur elle ?
Grégoire Hellot : Effectivement, j’ai eu l’occasion de la rencontrer lorsqu’elle est venue en France pour visiter un lycée agricole et j’ai également eu la chance de dîner avec elle lors d’un voyage au Japon. C’est quelqu’un qui a des opinions assez tranchées, qui sait ce qu’elle veut. Elle mène très bien la barque de sa carrière… Je ne sais pas si on peut parler de « plan de carrière » mais elle a beaucoup d’assise professionnelle. Elle possède un bon sens « terrien » on va dire.
Nobles Paysans est dans la lignée des mangas bourrés d’humour que vous publiez, comme Yotsuba& ou Les vacances de Jésus & Bouddha. Et pourtant l’humour à la japonaise n’est pas forcément un ticket gagnant en terme de ventes, comment se fait-il que ça marche plutôt bien chez vous ?
Quand on a lancé Kurokawa en 2005, le but était de faire ce que les autres éditeurs de mangas déjà sur le marché ne faisaient pas. Les mangas d’humour étaient assez peu représentés en France, parce que pour repérer un bon manga d’humour, il faut parler japonais, et que pour une publication de qualité, il faut aussi de bons traducteurs.
On s’est donc lancé sur ce segment et ça marche plutôt pas mal même si en 2006 nous avons constaté une chute générale des ventes de ce type de manga comme les comédies romantiques qui ont connu un fort déclin en 2006-2007 en France.
Est-ce que tu penses que ces genres sont enterrés définitivement ou qu’ils peuvent quand même revenir ?
Ça va revenir mais pas sous la forme qu’on avait jusqu’à présent. Ceux qui achetaient des mangas d’humour en 2006 étaient plutôt des adolescents mais aujourd’hui les acheteurs – sur l’offre Kurokawa en tout cas – sont plutôt des adultes, c’est un public plus vieillissant. Ceux qui lisaient des mangas à la fin des années 90 – début des années 2000 sont adultes aujourd’hui et demandent parfois des titres moins contraignants à suivre comme la série Les vacances de Jésus & Bouddha, qui a une publication semestrielle. Ce n’est pas comme s’il fallait acheter un tome tous les deux mois d’une série de shônens qui dépasse les quarante volumes.
Est-ce que le manga d’humour tel qu’on le faisait il y a une dizaine d’années (et qui se fait toujours au Japon) peut encore séduire le jeune public actuel ?
[Réfléchit] Je ne pense pas. Si le manga d’humour attire moins les lecteurs, c’est parce que les shônens d’action ont automatiquement intégré de l’humour. A part Dragon Ball qui est assez drôle, les shônens d’action étaient plus sérieux avant. Mais maintenant, comme on peut le voir dans les succès de One Piece et de Fullmetal Alchemist, les grandes aventures shônen sont aussi bourrées de gags. L’humour est désormais devenue une composante de ces titres, donc pourquoi acheter un manga d’humour quand on peut avoir tout en un !
En plus de cette tendance, l’humour japonais n’est pas toujours le plus facile à comprendre et, même si c’est une opinion plus personnelle, l’humour à la mode en France est surtout le cynisme. Le second degré et l’humour noir n’existent quasiment pas au Japon. Donc c’est aussi pour ça que les lecteurs ne se retrouvent pas forcément dans certains gags japonais, en dehors des gags référentiels qu’on retrouve maintenant dans les shônens.
Le nom du traducteur apparaît sur tous nos communiqués de presse. Fabien Vautrin n’est donc pas particulièrement mis en avant malgré les qualités incontestables de ses traductions. En effet, sur Nobles Paysans et Silver Spoon, il a fait énormément de recherches sur l’agro-alimentaire, sur tout ce qui était plantation, clonage, des recherches de documentation sur les appareils agricoles, etc. Déjà que je ne suis pas sûr qu’il y ait grand monde qui sache comment on dit « vitre électrique » dans une voiture en japonais, pour les équipements de machines agricoles c’est encore pire !
Tout ceci a permis à Silver Spoon d’avoir une traduction excellente, et on a voulu montrer qu’il y a une cohérence entre les univers de Silver Spoon et Nobles Paysans, pour que les lecteurs se sentent un peu « comme à la maison » quand ils passent d’une série à l’autre.
2013 : les bonnes et les mauvaises nouvelles…
Quel premier bilan pour 2013 ?
Dans un marché en net recul le CA (Chifres d’Affaires, ndlr) de Kurokawa est quasiment stable, une belle performance qui nous encourage sur les choix de politique éditoriale qu’on s’est fixés.
Pour l’Europe, on parle du second semestre 2013 comme un début de sortie de récession, est-ce que ça a un impact visible sur le manga ou pas du tout ?
Grégoire Hellot au TGS 2012 (photo Stéphane Bouley)
En fait dans le monde du livre nous sommes moins touchés par la crise. Je ne parle pas du manga mais du livre en général car si le manga baisse ce n’est pas à cause de la crise. Dans le milieu du livre nous sommes moins touchés que les autres car nous sommes moins chers, par rapport à un DVD ou un jeu vidéo qui arrive tout-de-suite avec des prix à deux chiffres. Que ce soit un manga ou un livre de poche, on peut passer un bon moment pour 6-7 euros. C’est vrai qu’en temps de crise le premier poste de dépense sacrifié est le divertissement, mais le livre est celui qui est le moins touché. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas faire des efforts mais nous avons plus de chance que les autres acteurs de l’industrie du divertissement.
C’est à cause du vieillissement de la population d’une part : les gens qui étaient adolescents à l’époque de l’explosion du manga deviennent adultes, ils ont un boulot, des enfants et ils ont moins l’opportunité d’en acheter. Ils deviennent aussi plus exigeants et n’achètent pas tout comme ils pouvaient le faire avant.
De l’autre côté, et ça c’est une de mes conclusions, la génération des 20 ans d’aujourd’hui achète moins que leurs aînés car ils ont pris l’habitude du tout gratuit avec internet. Je ne dis pas ça parce qu’ils piratent des mangas, ça rentre en compte mais c’est surtout qu’ils se disent « pourquoi sortir acheter des trucs alors que je peux écouter de la musique gratuitement, regarder des séries US… ». On s’amuse gratuitement plus facilement qu’avant avec internet qui permet la mise à disposition d’une multitude de divertissements. Il n’y a même pas besoin de pirater, sur Facebook on peut trouver pléthore de jeux gratuits par exemple.
Le loisir gratuit a pris énormément de place vis-à-vis du loisir payant…
Voilà il y a ça, et le téléchargement fait partie du décor. Mon combat est plus sur l’impunité du pirate que contre les pirates eux-mêmes, car jusqu’à présent il était extrêmement inconfortable de lire un manga sur un pc donc leur impact restait assez limité. Mais avec la démocratisation des tablettes je pense que, à terme, le téléchargement illégal va devenir un vrai danger pour les mangas.
Pour rebondir sur ce futur du manga… Cette année vous vous êtes associés avec 12.21, l’éditeur numérique du groupe Univers Poche. Pour l’instant vous avez uniquement testé Blood Lad sur cette plate-forme, que donnent les premiers retours ?
Les premiers retours sont assez exceptionnels. Sur les ventes de Blood Lad on a un ratio de 1 pour 10 par rapport à la version numérique de notre best-seller (Demain j’arrête de Gilles Legardinier). Arriver avec un manga et une vente au chapitre à vendre un peu plus de 10% des ventes de notre best-seller c’est assez honorable.
Après, évidemment, lorsqu’on remet en perspective, ce ne sont pas des chiffres très élevés. C’est normal car en France le marché de l’édition numérique est tellement peu développé que 10 000 exemplaires équivalent à un best-seller là où le moindre roman de Marc Levy fait 500 000 exemplaires. Donc tout est à relativiser. En France on n’est aussi moins avancé qu’aux États-Unis dans ce domaine. Mais donc, à l’échelle du marché, c’est une réussite.
Pour continuer sur ce sujet… La plate-forme numérique de Square Enix, l’un de vos principaux partenaires nippons, a fermé début décembre. Est-ce qu’ils vont décider de céder les droits numériques aux éditeurs français ou garder la main dessus et tenter autre chose ?
Square-Enix souhaitant approfondir son analyse du marché numérique français, ils se donnent un délai de réflexion supplémentaire avant d’ouvrir leur catalogue à une exploitation autre que papier pour notre pays.
Tout d’abord Silver Spoon a été très bien reçu, c’est un succès critique et commercial. Nous avons réussi à toucher un public qui habituellement ne s’intéresse pas forcément au manga. Bien-sûr ce ne sont pas des ventes à la hauteur de Fullmetal Alchemist mais pour une comédie romantique qui se déroule dans un lycée agricole, les ventes sont plus que honorables, on est proche des 20 000 exemplaires sur le tome 1. On est très contents car même si le manga est de très bonne qualité il faut quand même aller jusqu’à l’ouvrir et le lire pour s’en rendre compte.
Cela signifie donc que les gens nous ont suivis et que notre promotion assez inhabituelle a fonctionné : en plus d’un lancement presse et marketing d’envergure, nous étions en partenariat avec le Ministère de l’Agriculture. En France, je le rappelle, c’est ce ministère qui gère l’enseignement agricole et non pas celui de l’éducation Nationale. Autant le Ministère de l’Éducation Nationale est sollicité pour n’importe quoi dès que ça concerne les jeunes, autant ça constitue une super aubaine pour le Ministère de l’Agriculture de pouvoir toucher un jeune public. Du coup ça nous a permis d’avoir le premier manga de l’histoire de France cité dans un papier officiel de la République Française.
Une façon de voir, aussi, que la perception autour du manga évolue. On aurait difficilement imaginé ça dans les années 90.
Exactement.
Sur les autres lancements, est-ce que d’autres se sont démarqués ?
Je n’ai pas encore les chiffres définitifs mais notre lancement de septembre, Pure Blood Boyfriend, connaît un démarrage plutôt bon avec un très bon bouche à oreille. Ensuite, sans qu’il s’agisse d’une nouvelle série, il y a aussi le nouveau manga tiré du film Pokémon qui a bien fonctionné (13 000 exemplaires vendus). Mais de toute façon Pokémon ça fonctionne à chaque fois et cette saga reste une de nos plus belles réussites.
Ça ne s’essouffle pas avec le temps ?
Écoute pour l’instant, non. Nous avons réussi à toucher le double public des enfants et celui des fans de la saga qui sont plus adultes.
Ensuite y-a-t-il eu des déceptions en termes de ventes cette année ?
En shôjo, il y a Je t’aime Suzuki !! par l’auteur de Prince Eleven qui a moins bien décollé que ce que je pensais car Prince Eleven avait plutôt bien marché. Comme la France a déjà énormément de shôjo nous essayons de sortir des titres un peu différents, plus humoristiques et un peu moins dramatiques que ce que fait la concurrence. Je t’aime Suzuki !! a donc démarré moins fort mais quand on tente des choses ça ne peut pas marcher à chaque fois…
Catalogue et stratégie éditoriale
Oui, j’ai envie de dire beaucoup ! Tous les mangas issus de notre nouvelle stratégie d’aller vers un public plus jeune, que ce soit Pokémon ou Inazuma Eleven, fonctionnent très bien. Inazuma Eleven a explosé en 2012 et 2013 a encore confirmé que ça allait tenir un certain temps (une moyenne de 25 000 ex par volume) car c’est la nouvelle licence qui cartonne chez les enfants. Il n’y a pas de hasard, les enfants se passent le mot et ça continue très bien.
Ensuite il y a deux titres qui ont bien fonctionné grâce au bouche à oreille et qui se rapprochent maintenant du statut de « culte » : Blood Lad, tout d’abord, qui continue de marcher très fort. On a dépassé 20 000 exemplaires sur le tome 1 (et on a une moyenne de 15 000 exemplaires vendus par volume). Ensuite il y a aussi Secret Service, lancé la même année, qui marche très bien aussi.
Ce sont des mangas que je suis très content de voir fonctionner car, quand nous les avons lancés il n’y avait rien en fait. C’était ce qu’on peut appeler des mangas orphelins : pas d’anime, pas de jeu vidéo, … Depuis, ça c’est développé, mais même sans ça le démarrage a été puissant. Aujourd’hui, le bouche à oreille continue de fonctionner et la bonne santé des deux titres s’est confirmée car on continue à recruter de nouveaux lecteurs. Ce sont des mangas très importants dans notre catalogue car s’ils continuent sur cette lancée, ça pourrait permettre aux gens de se dire qu’il n’y a pas que les titres tirés de dessin animé dans la vie d’un lecteur, pour que des mangas comme ça aient leurs chances.
Blood Lad comme Secret Service paraissent maintenant tous les 4-5 mois. J’évoquais avec Kazé Manga ce rythme de parution (avec Blue Exorcist chez eux). Selon eux ce rythme plus lent que d’habitude constitue un frein à la croissance du titre pour qu’il arrive au premier plan en termes de vente. Ton avis là-dessus ?
En fait je pense que ça dépend des titres. Secret Service est un shôjo gothique aussi lu par des garçons et Blood Lad est un seinen, et on remarque que ces deux populations de lecteurs sont un peu moins impatients que sur du shônen où les lecteurs demandent, sauf si on a rattrapé le Japon, une parution plus rapide.
C’est vrai que Blood Lad a un côté shônen et a aussi un public adolescent, mais je n’ai pas l’impression que c’est un frein pour autant : il n’était pas connu au départ, et si les gens s’y intéressent maintenant, ils ont déjà 7 volumes à rattraper.
Quelque part ce n’est pas plus mal qu’il n’y en ait pas plus non plus, trop de volumes pourraient refroidir des lecteurs à se lancer dedans…
Oui, et je pense aussi qu’il faut étaler les succès. Si tu as 20 tomes d’avance au Japon ça ne sert à rien de se précipiter… Aux États-Unis c’est malheureusement ce qu’ils ont fait : ils voulaient rattraper le retard japonais et sortir le papier en même temps que le format numérique, car ce dernier fonctionne bien là-bas. Ils se sont retrouvés à sortir 6 Fairy Tail en 5 mois par exemple, du grand n’importe quoi. Ils ont autant noyé les libraires que les lecteurs qui ne savaient plus du tout où ils en étaient.
Si tu les sors tous d’un coup, les gens ne vont plus en librairie régulièrement chercher leur bouquin. Or multiplier ce passage en librairie crée aussi des impulsions d’achats, c’est bon pour le manga en général.
Après, lorsque tu suis le rythme japonais, c’est là qu’il faut travailler pour réduire le décalage entre la France et le Japon. On essaie tous de développer l’édition numérique donc, même si on reste raisonnables sur les sorties au format papier, il va falloir réfléchir à des fonctionnements beaucoup plus rapides en ce qui concerne le manga numérique. Moi, mon rêve, c’est de pouvoir lancer en français et en numérique les mangas le lendemain de leur sortie japonaise.
Quand on peut on le fait : c’est le cas pour Pokémon, qu’on sort avant le Japon en exclusivité mondiale ou Resident Evil qui sort la même semaine qu’au Japon.
Ce qu’on a fait sur Ippo est assez expérimental : un manga pas cher qui est une saga en plusieurs saisons que l’on sort tous les mois qui est devenu un rendez-vous avec le lecteur, quelque chose de l’ordre du feuilleton. C’est un modèle qui ne marcherait pas forcément avec un autre titre.
Des informations sur une prochaine saison d’Ippo d’ailleurs ?
En fait il faut attendre que la saison 3 se termine pour voir le nombre de retours, évaluer les ventes et faire une moyenne pour savoir s’il y aura une saison 4 ou pas. Pour l’instant ça se passe plutôt bien, il y a un cœur de 5 – 6 000 personnes qui ont tout acheté depuis le début et au gré des saisons, ça va ça vient. Tant que ça reste rentable on continuera de le publier bien entendu. Il faut aussi que l’éditeur nous le vende à un prix raisonnable mais, heureusement de ce point de vue là, l’auteur est quelqu’un de très intelligent donc on espère bien qu’on trouvera un terrain d’entente pour équilibrer les comptes et faire une saison 4 en France.
A l’extrême inverse d’Ippo en termes de périodicité il y a Vinland Saga. Comment se porte cette série dont il ne sort qu’un tome chaque année ?
Je ne peux pas te parler du dernier tome qui vient justement de sortir. Mais jusqu’ici on avait la chance, à la sortie d’un nouveau tome, d’avoir des achats de volume 1. Donc à chaque nouveauté on parvenait à recruter de nouveaux lecteurs, ce qui est extrêmement sain pour une série.
Maintenant c’est embêtant quand même d’avoir une périodicité aussi longue, parce qu’on a peur que les gens nous oublient. Mais Vinland Saga possède un public plutôt adulte donc …
Donc on revient sur le fait que ce public plus âgé est aussi plus patient …
Voilà. J’ose espérer que des gens qui peuvent attendre cinq ans pour un tome de Thorgal attendront dix mois pour un tome de Vinland Saga.
C’est dommage parce qu’il va se terminer l’an prochain, mais pendant longtemps Soul Eater avait remplacé Bleach par exemple (en ventes cumulées, avec plus de 1 million d’exemplaires).
Après, l’omniprésence de One Piece et de Naruto à la télévision fait qu’il est difficile de prendre leur place ou même d’exister. Tant que Game One continuera de mettre cinq épisodes de Naruto ou d’autres chaînes feront pareil pour One Piece plutôt que de multiplier les séries c’est plus difficile d’exister face à eux.
Il y a une sorte de concentration sur quelques séries…
Une concentration et une surreprésentation en fait. C’en est même ridicule car quand tu regardes ton programme télé, il y a cinq ou six chaînes qui diffusent de l’animation japonaise mais ça se résume à trois séries. On ne laisse pas la chance aux autres. Heureusement il y a eu l’arrivée du simulcast sur J-one et sur la chaîne Manga qui ont permis aux nouveautés d’avoir une place. Si je prêche pour ma paroisse je dirais par exemple que Magi et Silver Spoon ont pu exister aussi grâce à ça. Ça fait deux séries que l’on n’aurait jamais pu voir entre deux après-midis complètes de best-of Naruto.
Est-ce que les simulcasts diffusés sur internet apportent eux aussi un soutien notable ? Je pense à Magi par exemple…
Ça permet de stabiliser les ventes sur la durée. Après ça dépend des cas, car Magi était diffusé sur une plate-forme payante. Mais sur une plate-forme gratuite, on peut voir que l’Attaque des titans a été porté par la diffusion de l’anime. Ça aide donc, d’autant plus que comme c’est gratuit les gens regardent, comme on l’évoquait plus haut. Comme beaucoup regardent, beaucoup en parlent et ça crée une expérience que les gens partagent. C’est comme sur les séries américaines où beaucoup de gens les regardent parce que tout le monde les regarde. T’as envie de faire partie de la bande : « c’est quoi ce truc dont tout le monde parle ? Si je veux pas passer pour un con faut que je regarde moi aussi ».
Tu évoquais plus haut la fin de Soul Eater. Qu’avez-vous prévu pour l’année prochaine : une réédition en volume double ou d’autres choses ?
On va déjà finir la série, et après on verra. Nous avons déjà commencé à y réfléchir mais on va d’abord attendre que la série se termine. Tout dépend aussi du retour des gens. En plus, il y a un effet collection : les lecteurs attendent la fin d’une série pour acheter tous les volumes qui leur manquent d’un coup. Sur des séries à grand succès comme Fullmetal Alchemist il y a eu ce phénomène de rattrapage avec des gens arrêtés au volume 15 par exemple et qui ont acheté tous les tomes qui leur manquaient en une fois.
Fullmetal Alchemist a eu le droit, lui, à des rééditions en volume double. Quel bilan pour l’instant sur cette tentative ?
Ce n’est pas mauvais (ventes cumulées à 47 000 exemplaires). Ce n’est pas autant que ce que l’on pensait mais nous nous sommes rendus compte que ça permet à un public qui n’aurait pas eu les moyens de les acheter en édition simple de tenter l’aventure.
Et voir qu’on peut toucher un public plus modeste … par conviction éditoriale ça me fait vraiment plaisir.
Un regard sur 2014…
Oui. On n’exclut pas cependant de dépasser un peu ça s’il y a des opportunités en cours d’année. Si en janvier un japonais nous dit « on a tel titre qu’on va sortir mondialement en juin », on ne va pas leur dire non sur la seule raison qu’on va arriver à 81 mangas au lieu de 80, mais notre politique a toujours été de faire de bonnes ventes en moyenne avec nettement moins de séries que la concurrence !
Ce titre de dernière minute, c’est ce qui s’est passé sur Resident Evil en fait ?
Oui, ça c’est fait très vite avec les interlocuteurs japonais.
Mais ces sorties mondiales se font-elles uniquement sur les licences de jeux vidéo, ou est-ce que les éditeurs japonais s’y mettent aussi ?
Oui c’est spécifique aux jeux vidéo et aux produits dérivés en général. Quand on prend un manga pur, celui qui décide c’est le directeur éditorial de la revue. Lui a un canard à faire tourner et il n’a pas envie de s’embêter avec des étrangers qui viennent lui casser sa chaîne de production parce qu’il faut remettre les fichiers en fonction du planning d’un éditeur étranger… Il est déjà sur le fil du rasoir donc il n’a pas le temps pour ça.
Mais quand le manga appartient à un éditeur de jeu vidéo, à un producteur d’anime ou autre, là celui-ci peut exiger dans sa chaîne de production de sortir le titre à l’international. Donc là, comme l’éditeur japonais n’a pas envie de rater un Resident Evil par exemple, il va se bouger et préparer les fichiers et tout ce qu’il faut pour que ça sorte partout dans le monde.
Et au final, même si on se doute que tu ne peux pas annoncer de nouveauté tout-de-suite, on part sur quoi, 4- 5 nouveautés sur l’année comme d’habitude ?
Alors on en aura un petit peu plus, car il y a pas mal de séries qui s’achèvent chez nous en 2014 : Soul Eater, Civilization Blaster, Resident Evil, la saison 3 d’Ippo. Donc on devra renouveler un peu le catalogue.
La première nouveauté arrivera en ?
La première nouveauté arrivera en mars. Le titre sera bientôt annoncé. Mais je peux te parler de notre nouveauté prévue en avril : Crimson Wolf, le nouveau shônen de Seishi Kishimoto ! L’intrigue, inspirée du conte populaire Le Petit Chaperon Rouge vous saisira par son originalité et ne vous lâchera plus ! (Plus d’infos ici, ndlr)
Le message de la fin : le marché connait une nouvelle année de baisse consécutive, que faire pour renverser la tendance ou endiguer cette baisse ?
C’est vrai que c’est un casse-tête. Le cœur du public manga vieillit, donc ça on n’y peut rien. En conséquence il se lasse et s’ouvre à d’autres horizons, il n’y a pas que les mangas : une explosion des comics, les gens retournent au cinéma, il y a toujours plus de séries télés, etc., ce qui fait que les gens ont moins de temps pour lire.
Et puis, après, il y a la jeune génération qui achète moins malheureusement. Pour contre j’ai toujours dit qu’il fallait s’élargir à un nouveau public, d’où Jésus & Bouddha, Resident Evil et Pokémon.
Après c’est à chaque éditeur de trouver une solution. Ce n’est pas à nous de changer le public, c’est à nous de nous adapter au public. Notre métier c’est de proposer des livres et si les gens n’en veulent pas, c’est à nous de réfléchir à des alternatives !
C’est sur ce message que l’interview se termine. Merci Grégoire Hellot et bonne année 2014 à Kurokawa !
Retrouvez Kurokawa sur leur site ou leur blog, ou encore sur Facebook et Twitter. Vous pouvez aussi suivre Grégoire Hellot sur son Twitter, ici.
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