Voilà dix ans, Mina et Jonathan Martin ont quitté – fui - la capitale pour gagner les bords du canal du Berry. Loin de la frénésie des métropoles, loin de la fièvre consommatrice et désireux de retourner à des choses essentielles où la simplicité fait loi, ils se sont isolés dans une petite maison où ils ont eu un enfant, Romain. Mina travaille comme guide touristique au château médiéval du coin, Jonathan fait du miel, cultive, confectionne des meubles... dix ans se sont donc ainsi écoulés dans une certaine quiétude jusqu'à ce que vienne se présenter à eux un nouveau voisin, Vladimir. Coïncidence, ils portent le même nom de famille. Mais est-ce vraiment une coïncidence ? Car Vladimir ne va pas tarder à dévoiler une personnalité complexe, inquiétante. Au point qu'en l'espace de trois mois, tous vont partager bien plus qu'un simple nom : le poids d'une folie ravageuse et contagieuse.
Après la couverture noire de La France Tranquille, celle de Dernier désir se pare d'une blancheur éthérée. Pas de Yin et de Yang ici mais plutôt le revers d'une même médaille, peu reluisante, reflètant les pires défauts de notre époque. A travers cette histoire qui voit une famille voler en éclats, quand bien même elle aspirait à la tranquillité, c'est la société de Consommation qu'Olivier Bordaçarre a dans sa ligne de mire : la course à la possession, l'incitation à vouloir toujours plus pour la simple et mauvaise raison que votre voisin a plus, tout est là jusque dans la perversion d'un système dont le potentiel destructeur se mesure à la vacuité des existences, des laissés pour compte, de ceux qui ont y ont cru et qui se sont ramassés.
Cette perversion c'est le personnage de Vladimir qui la porte en lui, qui s'en fait le chantre. Il personnifie cette société de consommation, ne serait-ce que par ses largesses financières et ses capacités de séduction presque extraordinaires et teintées de fantastique– la séance de coiffure de Vladimir en est une illustration parfaite. La métaphore du Mal, si elle est assez évidente – la référence à Vlad Dracul est parfaitement assumée -, n'en est pas moins amenée de façon habile et efficace. Peut-être parce que la montée en puissance de la tension, cette tension toujours palpable, dérangeante dès les premières lignes, s'effectue par petites touches, par de menus détails dont la somme ébranle. Peut-être aussi, surtout, parce qu'Olivier Bordaçarre, avec une écriture toujours aussi précise sans oublier d'être poétique, ne s 'écarte jamais de ses personnages. Il va au cœur de leurs préoccupations, dissèque et laisse voir l'impact du travail de sape mené par Vladimir, jusqu'à la transformation viscérale et inquiétante de certaines de ses victimes...
Le constat est là, en tout cas, jusque dans le rapport de temps. Dix ans de tranquillité. Trois mois pour tout foutre en l'air. Les sirènes de la consommation ont ce pouvoir, leur chant porte même jusque dans les coins les plus reculés... et nul n'est à l'abri.
Dernier désir, de Olivier Bordaçarre, Fayard, 2014, 288 p.