Olivier Bordaçarre fait partie de ces auteurs dont on aime suivre
l'actualité littéraire. De ceux, aussi, dont on apprécie l'acuité
et la pertinence des propos lorsqu'on a la chance de les écouter dans
les conférences où ils interviennent, ici ou là, lors de salons.
Après une France Tranquille paru en 2011 dans lequel il avait
démontré le côté affligeant de la haine ordinaire et des dérives
sécuritaires, Olivier Bordaçarre revient aujourd'hui avec Dernier Désir un livre
qui, là encore, fait preuve d'une glaciale subtilité, à la fois
dénonciatrice et expiatoire.
Voilà dix ans, Mina et Jonathan Martin ont quitté – fui - la
capitale pour gagner les bords du canal du Berry. Loin de la frénésie
des métropoles, loin de la fièvre consommatrice et désireux de
retourner à des choses essentielles où la simplicité fait loi, ils
se sont isolés dans une petite maison où ils ont eu un enfant,
Romain. Mina travaille comme guide touristique au château médiéval
du coin, Jonathan fait du miel, cultive, confectionne des meubles...
dix ans se sont donc ainsi écoulés dans une certaine quiétude
jusqu'à ce que vienne se présenter à eux un nouveau voisin,
Vladimir. Coïncidence, ils portent le même nom de famille. Mais
est-ce vraiment une coïncidence ? Car Vladimir ne va pas tarder
à dévoiler une personnalité complexe, inquiétante. Au point qu'en
l'espace de trois mois, tous vont partager bien plus qu'un simple
nom : le poids d'une folie ravageuse et contagieuse.
Après la couverture noire de La France Tranquille, celle de Dernier
désir se pare d'une blancheur éthérée. Pas de Yin et de Yang ici
mais plutôt le revers d'une même médaille, peu reluisante, reflètant les pires défauts de notre époque. A travers cette
histoire qui voit une famille voler en éclats, quand bien même elle
aspirait à la tranquillité, c'est la société de
Consommation qu'Olivier Bordaçarre a dans sa ligne de mire : la
course à la possession, l'incitation à vouloir toujours plus pour
la simple et mauvaise raison que votre voisin a plus, tout est là
jusque dans la perversion d'un système dont le potentiel destructeur
se mesure à la vacuité des existences, des laissés pour compte, de
ceux qui ont y ont cru et qui se sont ramassés.
Cette perversion c'est le personnage de Vladimir qui la porte en lui,
qui s'en fait le chantre. Il personnifie cette société de consommation,
ne serait-ce que par ses largesses financières et ses capacités de
séduction presque extraordinaires et teintées de fantastique– la
séance de coiffure de Vladimir en est une illustration
parfaite. La métaphore du Mal, si elle est assez évidente – la
référence à Vlad Dracul est parfaitement assumée -, n'en est pas
moins amenée de façon habile et efficace. Peut-être parce que la
montée en puissance de la tension, cette tension toujours palpable,
dérangeante dès les premières lignes, s'effectue par petites
touches, par de menus détails dont la somme ébranle. Peut-être
aussi, surtout, parce qu'Olivier Bordaçarre, avec une écriture
toujours aussi précise sans oublier d'être poétique, ne
s 'écarte jamais de ses personnages. Il va au cœur de leurs
préoccupations, dissèque et laisse voir l'impact du travail de sape
mené par Vladimir, jusqu'à la transformation viscérale et
inquiétante de certaines de ses victimes...
Le constat est là, en tout cas, jusque dans le rapport de temps. Dix
ans de tranquillité. Trois mois pour tout foutre en l'air. Les
sirènes de la consommation ont ce pouvoir, leur chant porte même
jusque dans les coins les plus reculés... et nul n'est à l'abri.
Dernier désir, de Olivier Bordaçarre, Fayard, 2014, 288 p.