La lecture que j’ai faite du roman Lambeaux de Charles Juliet, il y a quatre semaines, m’a donné très envie de découvrir la poésie de ce grand auteur. Je me suis donc procuré le recueil Moisson, paru aux éditions POL, et qui a obtenu le Prix Goncourt de la Poésie.
Vous aurez sans doute remarqué qu’en général la lecture de poésie contemporaine demande un certain effort de concentration, que son accès n’est pas aisé. Eh bien, ici, ce n’est pas le cas : l’entrée dans ces poèmes se fait d’une manière naturelle et immédiate. Mais cela ne veut pas dire pour autant que cette poésie est "facile" – bien au contraire – car elle parle souvent de notre part d’ombre et de la difficulté d’être. Mais elle parle aussi de l’amour et de la lumière.
J’ai choisi quelques poèmes à vous faire découvrir aujourd’hui :
tragique est la vie
pour moi que rien
ne délivre
du tourment d’exister
parle-moi
parle-moi
arrache
de ma gorge
ces mots
qui m’étouffent
extirpe
cette fatigue
qui stagne
dans les profondeurs
de mon sang
comme tant d’autres
je dérive au sein
d’une humanité
en détresse
***
aide-moi
à traverser
ce gâchis
fais éclater
ce qui me mure
donne des mots
à ce qui en moi
se débat
dans la nuit
***
Quand j’ai faim tout me nourrit
racontait cette chanteuse
dont le nom m’est inconnu
Un visage la pluie l’aboiement
d’un chien moi aussi
quand j’ai grande faim
musardant par les rues populeuses
dérivant au gré de mon humeur
je m’emplis de tout ce qui s’offre
Des visages des regards un arbre un nuage
la lumière du jour le sourire d’un enfant
tout est absorbé tout me nourrit
***
Ce vent qui heurte
l’olivier
couche ses hautes
branches dans le ciel
qu’il s’engouffre
en toi
emporte
tes brumes
chasse le vieux
savoir
***
février
déjà ici
le printemps
triomphe
jamais
l’élan
ne fléchit
la faim
ne s’apaise
jamais
ne vient
le repos
et comment
vivre
comment aller
du labour aux moissons
comment ne rien détruire
et consentir à la soif
*
être un jour cet amandier
ne plus avoir
à s’inventer un chemin
***