Le chambray, un tissu d’origine française
Question : qu’est-ce que le chambray ? Réponse : une batiste née à Cambray, vraisemblablement au XVIe siècle (à une époque, « batiste » et « chambray » furent même considérés comme synonymes). Si le chambray évoque surtout pour nous un coton, il faut savoir que ce nom désignait à l’origine une batiste de lin. De couleur écru, le chambray était d’abord blanchi, teint puis calandré, autrement dit passé au laminoir pour lui donner un aspect glacé ou lustré. Le chambray de coton daterait, lui, du début du XIXe siècle. Il apparaît à cette époque en Amérique du Nord, où il désigne un tissu à armure toile dont les fils de chaîne sont de couleur indigo et les fils de trame de couleur écru.
Chemise en chambray, chemise en jean : des différences subtiles à déchiffrer
Chemise en chambray, chemise en denim (jean), les deux se ressemblent en ceci que leurs fils de chaîne sont de couleur indigo et leurs fils de trame de couleur écru. Cependant, alors que le chambray est un tissu à armure toile (les fils pairs et impairs de la chaîne sont soulevés alternativement pour laisser passer le fil de trame), le denim est un tissu à armure sergé (ou serge : le fil de trame passe sous un, puis sur trois autres fils de chaîne en décalant d’un fil à chaque passage). Pour s’en souvenir, c’est très simple : comme tous les tissus à armure toile, le chambray n’a ni envers ni endroit, tandis que sur l’endroit, le denim présente un effet d’oblique. Autres différences : le chambray est plus léger et généralement plus clair que le denim. Utilisé dans la confection de chemises casual (mot fourre-tout qui ne vous autorise pas à vous habiller n’importe comment), il se prête parfaitement aux températures estivales.
Bien que je me refuse à le croire, il semblerait que certaines personnes soient tentées de confondre chambray et Oxford, dont le seul point commun est d’être des tissus à armure toile, certes parfois proches en termes de couleurs, mais dont l’aspect (irrégulier et « brouillé » pour l’un, régulier et net pour l’autre) et la texture (rêche et pelucheuse dans un cas, tout à fait lisse dans l’autre, laissent peu de place à la confusion (au passage, j’en profite pour signaler un excellent article sur le sujet sur le site Dieworkwear).
Saurez-vous faire la différence entre denim et chambray dans les photos suivantes ?
Fortunes de la chemise en chambray
Comme on s’en doute, le chambray servant à la confection des chemises des travailleurs manuels américains au XIXe siècle n’avait absolument plus rien de français. Mieux, le chambray, symbole de richesse du temps de la batiste de lin, était devenu un tissu populaire cependant que progressaient les importations de cotonnades indiennes. Au début du XXe siècle, l’U.S. Navy va faire de la chemise en chambray un nouveau symbole en l’incluant à ses uniformes. Même chose pour celui des prisonniers américains. Ensuite, les cinéastes de Hollywood n’auront de cesse de s’en souvenir, et nous de nous souvenir de Steve McQueen dans La Canonnière du Yang-Tse (The Sand Pebbles, 1966), de Paul Newman dans Luke la main froide (Cool Hand Luke, 1967), ou encore de Tony Curtis dans La Chaîne (The Defiant Ones, 1958 – photo empruntée à Voxsartoria).
Paul Newman dans Luke la main froide
Considérée depuis quelques années comme une pièce phare du vestiaire masculin, la chemise en chambray a inspiré de nombreux chemisiers, de nombreuses marques. Les Japonais notamment en sont de grands consommateurs, de grands pourvoyeurs aussi. Leur démarche consiste à s’approcher au plus près de l’esprit workwear. Ci-dessous, une chemise en chambray Momotaro : col boutonné, poches plaquées, couture triple, chambray tissé sur des métiers d’époque – on peut difficilement faire plus brut. La coupe, elle, a été modernisée ; elle est donc beaucoup plus près du corps que celle de l’original (photo, source BlueOwl Workshop).
En Italie aussi, on aime le chambray, même si on ne le traite pas tout à fait de la même manière. L’esprit est moins roots, forcément (la sartorialità est passée par là), plus conforme à la tradition du fatto a mano. Aussi ne faut-il pas s’étonner qu’au-delà de marques grand public (comme Glanshirt, qui appartient à Slowear, voir photo ci-dessous), de petits génies de la chemise (Angelo Inglese, Salvatore Piccolo, entre autres) en donnent leur propre interprétation. Ne nous étonnons pas non plus que ces pièces artisanales coûtent le double ou le triple d’une chemise « normale » : finitions, tissu, main d’œuvre, tout a un prix, il serait opportun de l’admettre.
Photos ci-dessous, sources : Frans Boone et Inglese Abbigliamento.