Le site franceinfo.fr revient ce matin sur cette affaire révélée en 2013 : pendant trente ans, un homme aurait exercé en tant qu’architecte alors qu’il n’avait jamais passé le diplôme. Le procès s’ouvrira au cours du mois de janvier. Si ce genre d’affaires est rare, des procès de ce type se tiennent régulièrement. Quelques éclairages pour comprendre cette affaire.
Sous quelles conditions exerce-t-on le métier d’architecte?
En France, la loi exige, pour exercer en tant qu’architecte, seul à son compte, quatre conditions :
- Avoir validé un master en architecture – sanctionnant cinq années d’études post-bac – délivré par les seules écoles d’architecture, donnant le degré d’architecte diplômé d’état (DE)
- Avoir suivi une formation complémentaire dite « Habilitation à la Maîtrise d’œuvre en son Nom Propre ». Cette étape comporte des cours et un mémoire portant sur six mois minimum d’exercice de la profession. Le grade HMONP a la réputation d’être assez difficile à obtenir. Il correspond à l’ancienne mention « DPLG ».
- Être inscrit à l’ordre des architectes : Eh oui, l’architecture est une profession règlementée, au même titre que les médecins ou les experts-comptables. L’inscription est donc un pré-requis indispensable à l’exercice de la profession. L’architecte reçoit alors un numéro d’identification. Pour information, il s’agit, avec les géomètres, de la seule profession du bâtiment qui dispose d’un ordre : architectes d’intérieur, décorateurs, artisans, ou même ingénieurs n’en ont pas (encore) créé.
- L’obligation d’assurance : La responsabilité civile d’exploitation (la fameuse « décennale » entre autres) – pas si simple à obtenir pour les jeunes architectes diplômés!
A noter : Le recours à un architecte est obligatoire pour toutes les constructions.Quelques exceptions existent toutefois, parmi lesquelles les constructions, à destination de particuliers, de moins de 170m².
Comment peut-on exercer l’architecture sans diplôme?
Trente ans d’exercice sans diplôme sans être repéré, cela paraît incroyable. Et pourtant, c’est ce qu’aurait réussi à faire le faux architecte des Yvelynes!
Le plus fou, c’est qu’il ne s’est pas cantonné à des projets à destination de clients privés, où les contrôles de ce type ne sont souvent pas effectués par méconnaissance. Il serait intervenu sur des projets publics (France Info cite des écoles et une polyclinique). Je vous vois venir : alors on dépense l’argent public sans se soucier de la qualité des sous-traitants!
J’ai identifié plusieurs raisons qui font que le mis en cause a pu passer à travers les mailles du filet :
- Relations publiques et réputation : Le métier d’architecte est un métier de relations publiques, encore plus aujourd’hui qu’avant. Si un architecte est connu, a une bonne réputation, a été présenté à des élus de la République comme compétent, on ira pas jusqu’à vérifier son numéro d’ordre, pour des raisons de confiance. Lorsque vous allez chez un médecin, vérifiez-vous son autorisation d’exercer? A fortiori, si on vous l’a recommandé?
- Appels d’offres publics : Lors des concours d’architecture et des appels d’offres, préalables à la grande majorité des projets publics, les services d’urbanisme des collectivités reçoivent des pavés de documentation de la part des architectes et de leurs équipes.
Prenons l’exemple d’une mairie qui voudrait faire construire une crèche et qui cherche une équipe de maîtrise d’œuvre (architecte et bureaux d’études) : le service de passation des marchés de construction de la mairie fait passer un appel d’offres dans le journal officiel. Répond qui veut, en fonction du cahier des charges de la mairie. Le dossier de candidature à renvoyer à la mairie pour être sélectionné doit comporter des informations précises sur chacun des membres de la maîtrise d’œuvre (nom de l’entreprise, année de création, nombre d’employés, CV et diplômes des dirigeants et responsables d’affaires, etc…) mais aussi des références (c’est-à-dire des projets déjà réalisés par chacune des entreprises postulantes). Autant dire des milliers de pages à vérifier par la mairie! Ce n’est bien sûr pas possible de vérifier la multitude d’informations pour chacune des équipes postulantes (une dizaine en moyenne).
Dans ces conditions, on comprend que le caractère réel du diplôme d’architecte ne soit pas vérifié.
- Le numéro d’ordre : Certaines personnes parmi les clients d’architectes, ont connaissance du fait qu’il existe un ordre des architectes et que chacun d’eux a un numéro d’identification. Même si je ne dispose pas de données à ce sujet, je pense que malheureusement peu de personnes ont le réflexe de vérifier cette information, puisque dans le bâtiment l’habitude est davantage à la recommandation et au bouche-à-oreille! Ici, le présumé fautif a réglé le problème à sa manière, en usurpant le numéro d’ordre de son beau-frère!
- Connaissances et compétences : Ces aspects administratifs sont une chose, mais qu’en est-il des connaissances et des compétences? Si je passe sur les compétences en terme de création architecturale, beaux arts, sociologie, urbanisme, qui mériteraient un débat à elles seules, je voudrais parler des connaissances plus techniques : culture constructive, résistance des matériaux, résolution de problèmes techniques, sécurité incendie, etc… qu’en est-il? Il faut savoir qu’un architecte ne conçoit pas seul un bâtiment : c’est lui qui définit les grandes orientations, mais il est épaulé par d’autres bureaux d’études compétents pour gérer les aspects techniques. Et ensuite viennent s’ajouter les entreprises qui vont réaliser les travaux. Rassurez-vous donc, dans l’affaire qui nous occupe, si d’autres que moi se chargeront de qualifier les compétences architecturales du mis en cause, je peux déjà vous dire que le « faux architecte » – à moins d’être entouré de faux bureaux d’études et de faux artisans – a eu un pouvoir limité sur la sécurité du bâti. En outre, il aurait tout de même suivi, selon l’article, une grande partie des études d’architecture.
Pourquoi est-ce un problème?
L’homme mis en cause a exercé pendant près de trente ans le métier d’architecte : il a ainsi eu le temps de « sévir » sur un grand nombre de bâtiments. Si j’ai tempéré au paragraphe précédent le pouvoir de l’architecte, il n’en est pas moins vrai que l’architecte a un rôle central dans la conception et la réalisation d’un bâtiment. Il est au carrefour de toutes les décisions qui se prennent, et c’est bien lui qui arbitre et qui tranche tant en conception qu’en phase chantier. Et si les architectes ont tant poussé pour la création de leur titre (Loi du 3 janvier 1977 ), c’est bien parce qu’ils croyaient en cette nécessité. Les architectes sont en effet très attachés à leur titre. L’affaire qui nous intéresse n’est pas qu’un crime de « lèse-majesté », elle remet en question la possibilité d’exercer l’architecture sans compétence certifiée tant d’un point de vue technique qu’architectural.
Dans la réalité des choses, cet aspect est difficile à appréhender : combien de fois par jour se dit-on qu’un bâtiment est moche/mal conçu/vieillit mal… etc? Il n’en est pas moins que les architectes sont les garants de l’esthétisme et de la qualité du bâti. Et ça, c’est une non-architecte qui vous le dit : leur tâche est loin d’être facile.
D’un point de vue plus concret : le faux architecte a fait selon l’article « Une dizaine de victimes [...]: le conseil de l’ordre, les assureurs de l’architecte, et une mairie » entre 2009 et 2013 (pour le reste il y a prescription]. Je m’arrêterai finalement sur l’aspect de l’assurance. Lorsque vous vous assurez en tant que constructeur, vous devez faire la preuve de votre compétence, CV et diplômes à l’appui. L’assurance prend alors la responsabilité des dégâts que vous pourrez faire dans l’exercice de vos fonctions. Hors ici, l’architecte, même s’il a payé ses cotisations, est en défaut vis-à-vis de l’assurance responsabilité civile. S’il y a des dégâts, par exemple de nature décennale, l’assurance devra prendre en charge les travaux d’un professionnel potentiellement incompétent…
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