La guéguerre de l’Internationale keynésienne contre le « virage » de François Hollande
Publié Par Fabio Rafael Fiallo, le 24 janvier 2014 dans PolitiqueVolée de bois vert reçue par François Hollande par ses amis keynésiens qui ne digèrent pas son « virage » en faveur de la « politique de l’offre ».
Par Fabio Rafael Fiallo.
Un tir groupé en bonne et due forme. Voilà ce à quoi se sont livrés quelques pontifes de la relance keynésienne – c’est-à-dire de la relance par l’augmentation des dépenses publiques et, le cas échéant, par la planche à billets – pour fustiger la « politique de l’offre » que le président François Hollande prétend vouloir mettre en place. Une politique de l’offre qui, rappelons-le, viserait à redynamiser la compétitivité de l’économie française par le biais d’une baisse des charges prélevées aux entreprises et de réductions concomitantes dans les dépenses publiques.La virulence de l’attaque aura été proportionnelle aux espoirs que l’élection de François Hollande avait suscités chez les apôtres du keynésianisme.
Au début du quinquennat, les keynésiens voyaient en Hollande celui qui, tenant un discours anti-riches, allait faire voler en éclats la politique d’austérité que la chancelière Merkel demande aux pays les plus endettés de la zone euro, ceux de l’Europe du Sud, en contrepartie d’une aide financière de l’Allemagne.
Sitôt arrivé à l’Élysée, cependant, François Hollande commença à tourner le dos à ses postures de campagne. Après avoir promis qu’il renégocierait la règle d’or de la discipline budgétaire accordée par le tandem Merkel-Sarkozy, il se contenta d’y introduire un ajout inoffensif – histoire de sauver la face. Vint ensuite le fameux crédit impôt compétitivité octroyé aux entreprises, premier pas timide vers une politique de l’offre.
L’engouement des keynésiens pour Hollande ne s’effrita pas pour autant. La preuve : le Nobel d’économie Paul Krugman, keynésien hors-pair, prit la défense de la politique économique de la France lorsque l’agence de notation Standard and Poor’s décida en novembre 2013 de dégrader d’un cran la dette de l’État français.
Or, la profession de foi en une politique de l’offre, annoncée par Hollande lors de son message de Nouvel An et martelée pendant sa conférence de presse du 14 janvier, eut raison de la sympathie des avocats du keynésianisme.
Ainsi, dans les colonnes du Financial Times, l’analyste Wolfgang Münchau n’y va pas par quatre chemins et accuse François Hollande d’être en retard de 200 ans du fait d’avoir évoqué la fameuse phrase de l’économiste français du début du 19e siècle Jean-Baptiste Say : « l’offre crée sa propre demande »1.
Quant à Paul Krugman, celui-là même qui avait soutenu Hollande deux mois auparavant, il qualifie carrément d’« effondrement intellectuel » le virage entamé par le président français.
Dans le quotidien londonien The Guardian, le journaliste Dean Baker frappe plus fort encore et affirme, avec une suffisance sidérante, que le doute n’est plus permis quant à la supériorité des politiques keynésiennes, « contrairement, ajoute-t-il, aux platitudes provenant du 19e siècle soutenues par M. Hollande »2.
Et pourtant, n’en déplaise aux tenants du keynésianisme, certains faits mettent à mal leurs doctes certitudes.
Nombreux sont en effet les pays européens, et non seulement l’Allemagne, qui, ayant fait le pari de la rigueur budgétaire, exhibent aujourd’hui des taux de chômage nettement inférieurs à celui d’une France dont les dépenses publiques n’ont cessé de croître3
Par ailleurs, les politiques de restriction de la dépense publique n’auront empêché, ni l’Irlande d’avancer sur la voie du redressement économique, ni le Royaume Uni – qui a supprimé 400 mille postes dans l’Administration – d’afficher une performance supérieure à celle de la France : 1,4% de croissance en 2013, avec 1,9% prévu pour l’an prochain, avec une moyenne de 60.000 emplois par mois créés dans le secteur marchand4.
Après avoir adopté eux aussi des politiques de l’offre et de rigueur budgétaire, l’Espagne et le Portugal enregistrent des gains de compétitivité et commencent à générer des excédents dans leur balance commerciale. L’Espagne est sortie de la récession depuis le 3e trimestre de 2013 et le chômage rétrocède depuis le printemps de 20135.
Ne pas réduire la dépense publique, comme le prônent les keynésiens, mettrait la France dans un cul-de-sac. Soit on laisse filer le déficit public, et alors les marchés financiers ne tarderont pas à augmenter les taux d’intérêts exigés sur la dette de la France, ce qui mènerait à l’asphyxie financière de l’État français. Soit on introduit de nouvelles hausses d’impôts et de charges dans le but de contenir le déficit, ce qui entraînerait une nouvelle détérioration de la compétitivité de la France, avec des conséquences néfastes sur l’emploi.
L’Internationale keynésienne n’a cependant pas abattu toutes ses cartes. Car rien ne dit que François Hollande possède l’assise politique et la détermination nécessaires pour affronter les pressions syndicales et mener à bon port les réformes promises. Pour le moment, c’est un flou artistique qui entoure les détails et le calendrier d’exécution de ces réformes, avec, couronnant le tout, des propos discordants au sein de l’équipe gouvernante6.
Et si par insuffisance de mesures concrètes le fameux « virage » de Hollande tourne au fiasco (comme il est probable), l’Internationale keynésienne aura tout le loisir de faire porter l’échec, non pas sur les atermoiements et les tergiversations du gouvernement, mais sur la politique de l’offre qu’ils décrient.
- Wolfgang Münchau, « The real scandal is France’s stagnant economic thinking », Financial Times, 19-01-2014. ↩
- Dean Baker, « France’s Hollande is completely out of touch with modern economics », 20-01-2014 ↩
- Voir à ce sujet la chronique de Brice Couturier sur France Culture, « L’austérité, ça peut marcher », 27-11-2013. ↩
- George Osborne, « How Britain returned to growth », Wall Street Journal, 16-12-2013. ↩
- « Is Spain’s Experiment About to Succeed? », Wall Street Journal, 04-08-2013 ; et « Dip in number of unemployed in Spain adds to optimism », Financial Times, 23-01-2014. ↩
- « La baisse des impôts dès 2015 laisse perplexe », Le Monde, 22-01-2014. ↩