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Réduction de la pauvreté : les philosophes et les croyants

Publié le 24 janvier 2014 par Copeau @Contrepoints
Billet d'humeur

Réduction de la pauvreté : les philosophes et les croyants

Publié Par Guillaume Nicoulaud, le 24 janvier 2014 dans Social

Jamais un tel mouvement d’enrichissement massif du commun des mortel n’avait été observé qu’au cours es trois dernières décennies.

Par Guillaume Nicoulaud.

J’ai publié ce graphique depuis mon compte Twitter :

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C’est une infographie réalisée par mes soins et basée sur les données de la Banque Mondiale qui montre la proportion d’individus, à l’échelle mondiale, qui vivaient avec plus ou moins de $36,27 par mois en 1981, en 1990, en 1999 et en 2010. Comme le précise la légende, ces données sont exprimées en dollars constants – des dollars de 2005 – c’est-à-dire en dollars corrigés de l’inflation ; dollars qui ont également été ajustés de la parité du pouvoir d’achat pour tenir compte du fait que le pouvoir d’achat d’un dollar à New York n’est pas le même que celui d’un dollar à Calcutta1.

Le seuil de $36,27 par mois n’a, bien-sûr, pas été choisi au hasard : comme le suggère la première barre en partant de la gauche, c’était le revenu mensuel médian en 1981 – c’est-à-dire qu’à l’époque, 50% de l’humanité vivait avec moins de $36,27 et 50% vivaient avec plus de $36,27.

Une décennie plus tard, la proportion d’individus vivant avec moins de $36,27 par mois avait baissé de 9,5% à 40,5% ; encore dix ans, et ce chiffre baissait encore de 8,8% et, en 2010, seuls 18,8% de nos semblables vivaient encore avec moins de $36,27 par mois. En d’autres termes, ce que ce graphique nous dit, c’est qu’en trois décennies, la proportion d’individus vivant avec moins de $36,27 par mois est passée de 50% à 18,8% – soit une chute de 31,2% – ce qui, au regard de ce que nous savons de l’histoire, est absolument unique : jamais un tel mouvement d’enrichissement massif du commun des mortel n’avait été observé.

L’image a circulé et, en fouillant un peu, j’ai eu l’occasion de lire un certain nombre de commentaires aussi fascinants qu’ils sont critiques. En trois groupes :
(i) « Il faut tenir compte de l’inflation » (No comment) ;
(ii) « $36,27 par mois, c’est une misère » ;
(iii) « La Banque mondiale n’est pas une source objective ».

N’est-ce pas extraordinaire ? Vous publiez un graphique qui tend à montrer que ces trois décennies ont été le théâtre du plus gigantesque enrichissement de l’espèce humaine jamais observé – ce qui, me semble-t-il, est une excellente nouvelle ; une information de nature à susciter un certain enthousiasme – et vous récoltez une bordée de commentaires aussi stupides les uns que les autres qui visent à remettre en cause ce que les chiffres nous enseignent.

Évidemment, ayant quelques expériences du débat public en France, je sais très bien ce que mes contradicteurs ont en tête. En substance : le monde étant réputé, au cours de ces trente années, avoir été dominé par la « doxa néolibérale », rien de bon ne peut en être sorti et donc, toute information visant à démontrer le contraire n’est pas seulement suspecte : elle nécessairement fausse.

La grande force de ces contradicteurs, c’est qu’ils n’ont pas besoin d’instruments de mesure, ils n’ont pas besoin de chiffres ni de la moindre forme de donnée objective : ils ont et, quoi qu’il arrive, auront toujours raison. C’est-à-dire qu’un simple sentiment ou une anecdote trouvée sur un obscur blog idéologiquement orienté auront toujours plus de valeur que n’importe quelle analyse objective des faits. Ils ont raison, c’est un fait établi et incontestable et, partant, le monde se divise en deux groupes : ceux qui corroborent leurs apriori – et qui ont donc raison avec eux – et ceux qui leur apportent un semblant de contractions qui sont – au choix – (i) des suppôts du grand capital, (ii) manipulés par ce derniers ou (iii) des imbéciles qui ne comprennent rien à rien.

Pourtant, si vous y réfléchissez un instant, mon graphique prête le flanc à de solides critiques. Typiquement, si l’on regroupe la population mondiale par déciles de revenu, il n’est absolument pas contradictoire avec le schéma suivant :

une explication

En 1981, nous avons bien 50% de la population mondiale qui vit avec moins de $36,27 et l’autre moitié qui vit avec plus et, en 2010, ces proportions sont bien passées à 20% et 80% respectivement. Ce que ce schéma suggère, c’est que (i) les 20% de la population qui vivent toujours avec moins de $36,27 (le groupe rouge) se sont considérablement appauvris entre temps, (ii) les 30% qui sont passé au-dessus de ce niveau de revenu (en violet) ne se sont enrichis que de manière très marginale, (iii) les 40% de la population qui vivaient bien au-dessus de notre seuil (en bleu) se sont considérablement appauvris sans pour autant passer en dessous des $36,27 et, enfin, (iv) les 10% les plus riches de 1981 (en vert) sont les seuls à s’être vraiment enrichis dans l’intervalle.

En l’espèce, ce n’est pas du tout l’histoire de ces trois décennies mais, au moins, ce serait une critique intelligente de mon graphique ; un angle d’attaque qui me forcerait à fouiller les données, approfondir mon analyse et – si j’ai raison – à apporter plus de preuves à l’appui de ma théorie.

Seulement voilà, et c’est justement là le nœud gordien de toute cette affaire, mes contradicteurs se fichent éperdument des démonstrations que je pourrais verser au dossier. Jusqu’ici aucun d’entre eux n’a eu l’intelligence – et sans doute même pas l’idée – de m’opposer un argument raisonné. Et pour cause, ces gens-là ne sont pas des philosophes, ce ne sont pas des scientifiques : ce sont des croyants et la foi, quand elle est solidement chevillée au cœur de celui qui croit, se passe de toute forme de démonstration.

L’excellent Thomas Sowell a résumé cet état d’esprit en trois phrases :
« le problème n’est pas que Johnny ne sait pas lire.
Le problème n’est même pas que Johnny ne sait pas penser.
Le problème, c’est que Johnny ne sait pas ce que penser signifie ; il confond avec ressentir. »


Sur le web.

  1. La mesure est certes imparfaite et souffre forcément d’un certain degrés d’imprécision mais elle a l’avantage d’être objective et, à défaut de mieux, d’exister.
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