Journal de bord, jour 2 : jeudi 23 janvier 2014.
Bien, il est 22h. Et je viens de vivre une journée haute en couleurs. En images, surtout. Alors, du mieux que je le peux, je vais tenter de mettre en forme et en mots cette seconde journée vécue au festival du cinéma de Bron. Allez, Marion ! Lance-toi, tu as tant de choses à dire, à faire partager ! Place à ta passion, c’est parti.
Il est à présent 13h30. Ça y est, je suis partie pour le reste de ce jeudi 23 janvier dans l’univers merveilleux du cinéma. Il faut dire qu’avec la projection de la veille, je ne peux qu’être surexcitée par ce qui m’attend. Les Alizés est un cinéma tenu par des cinéphiles d’une gentillesse incroyable et surtout, qui ont l’oeil. Qui savent trouver des perles rares au sein de la production cinématographique française. Et je pèse bien mes mots. Car c’est totalement vrai, surtout avec la première séance à laquelle je suis conviée.
Vandal
Des jeunes lycéens prennent place à côté de moi, et c’est un plaisir pour moi de discuter avec eux avant la séance. Cela m’empêche de me questionner sur ce que nous allons voir. Il m’est effectivement préférable de partir vers l’Inconnu au cinéma, en me laissant prendre par un film. Mes voisins sont sympathiques et enthousiastes pour la projection, et cela me ravit car ils sont également très à l’écoute de ce que je leur dis. Et de quoi puis-je bien parler ? Sans étonnement, c’est bel et bien de cinéma qui anime ma prise de parole. Etonnant ? Je ne crois pas. Mais que demander de plus lorsque l’on se trouve dans l’un des temples du Cinéma et que le sujet principal de la discussion est le septième art ?
Corinne Maulard, l’attachée de presse avec qui j’ai pu discuter avant la séance de manière très simple et naturelle, se présente sur l’estrade pour nous adresser quelques mots concernant Vandal, premier long-métrage du réalisateur français. Elle ne nous dit rien du synopsis, et je ne peux que m’en satisfaire surtout lorsqu’elle précise qu’un débat avec Cisterne est prévu après la projection. Même si je le sais déjà, je bouillonne d’impatience. Partager un moment de cinéma, entre spectateurs et auteur, est absolument privilégié, unique et cela n’est pas sans me rappeler les merveilleuses séquences de Sogni d’oro, film réalisé par Nanni Moretti en 1981.
Les lumières s’éteignent lentement, et me voilà de nouveau plongée dans l’univers obscur et à la fois lumineux du cinématographe.
Le premier plan est très brutal, très brut. Vivant, mouvant. Un adolescent dans une voiture, hurlant et profitant de l’adrénaline qui émane de lui, tant la vitesse de son véhicule est élevée. Il se lâche, il oublie tout. Au diable les contraintes disciplinaires, le cadrage parental et scolaire.
Mais bien vite, dur retour à la réalité. Changement d’établissement et départ du cocon familial pour aller chez son oncle et sa tante vivant à Strasbourg. Shérif est à une charnière cruciale de son existence. C’est une nouvelle page qui s’ouvre devant lui. Garçon de quinze ans sans repère paternel et qui n’a pas le contact facile, Shérif est livré à lui-même et obligé de se confronter à son oncle Paul (brillamment incarné par Jean-Marc Barr), et à sa femme ainsi que son cousin, qui paraît être son parfait opposé. Allure de p’tit gars de la rue, Shérif semble totalement étranger à ce logis bien rangé et à Thomas, son cousin apparemment timide, caché derrière ses lunettes de vue.
Toutefois, le film m’apparaît très rapidement comme un questionnement sur l’échange avec autrui, Inconnu au premier abord mais qui, par une caméra souple et proche des personnages, tient à saisir les paroles murmurées et les regards fuyants, hésitants de Shérif face à son entourage. Le malaise est certes présent, cependant, c’est avant tout ce gamin qui retient notre attention. Lui et son regard expressif, qui en dit tellement plus que ses mots qui ne parviennent justement pas à sortir de sa bouche.
Mais la relation entre lui et son cousin donne un tout nouveau tournant au film. Avec les graffitis. L’une des thématiques principales du film, et qui me fascine grandement. Entraîné par Thomas et son groupe de potes, Shérif découvre la vie nocturne, les escapades des graffeurs et leur passion commune. Le graffiti comme signe d’existence. Signe illégal, certes, mais à l’origine de tellement de bons moments, de rencontres et surtout, il est l’expression de ces jeunes garçons en quête d’identité qui, tels des ombres dansant dans la nuit, exécutent de merveilleux ballets, accompagnés du bruit si reconnaissable des bombes à graff. Les ténèbres sont d’ailleurs très présents tout au long du film, et je n’ai cessé de me plonger, moi aussi, dans ces cachettes, ces repaires regorgeant de trésors, de rires et de moments de vie.
Les plans de Vandal sont d’ailleurs très soignés. Intimes et mouvants, ils accompagnent les diverses expériences de Shérif, artistiques et nocturnes ou bien humaines et baignées de lumière franche. Cisterne saisit des fragments d’un réel peu abordé au cinéma, un quotidien qui dote ses personnages d’une double personnalité, partagés entre le risque d’être arrêtés par la police et l’exaltation sans limite de la création d’un « je suis là » qui ne demande qu’à être reconnu.
Tant de choses se mêlent dans mon esprit, j’ai envie de tout dire, de tout écrire. Tout est encore si chaud, dans ma tête ! Je me souviens de chaque détail, des sourires entre Shérif et la jeune Elodie, des graffitis filmés avec un regard si profond et des autres personnages secondaires qui, même s’ils sont tous liés au héros d’une certaine manière, demeurent des êtres autonomes et qui, par leurs apparitions, nous ramènent à un réalisme saisissant, telle que la séquence où la mère de Shérif, interprétée par Marina Foïs, tente d’échanger avec son fils, se servant un verre d’eau dans une cuisine des plus banales.
C’est d’ailleurs cela qui m’a profondément touchée, pour ce film. Cette intensité de chaque étape vécue par l’adolescent, formant un cheminement vers un moi plus mûr, plus curieux et plus ouvert.
Néanmoins, il demeure le mystère du titre. Vandal. Mais qui est ce Vandal, redouté comme admiré par la bande de Thomas ? Un graffeur d’exception, solitaire et surtout, anonyme, recherché de tous. Un personnage à part entière et dont l’identité incertaine me trouble. M’intrigue.
La salle retrouve ses lumières, accompagnée des nombreux applaudissements du public. Et Hélier Cisterne est là. D’emblée, il apparaît comme très chaleureux, vif et sympathique, prêt à s’adresser à un auditoire souriant, satisfait de la projection. J’observe – comme toujours – autour de moi, et me rends compte que, oui, ce film a plu et cela se lit sur le visage de chacun.
La présence du cinéaste me ravit, et je suis en pleine ébullition, les larmes d’émotion menacent de tomber et des dizaines de questions, d’images et de mots se bousculent dans ma tête. Comment rester insensible face à un long-métrage de la sorte ? C’est impossible.
Je reprends mes esprits tant bien que mal, et me saisis aussitôt de mon bloc-notes. Parée à relever les propos d’un réalisateur passionné, curieux et profondément humain, ça ne fait pas de doute. Tout dans son attitude dévoile sa curiosité quant au monde : ses gestes, son attention envers les spectateurs et son flux continuel de paroles, riche et passionnant. L’humour de Cisterne ôte tout malaise chez les lycéens et les autres membres du public, et le débat commence alors. Ces débats comme je les aime, avec ces interrogations multiples, ces personnes de tous âges qui prennent plaisir à poser des questions au cinéaste. Sincèrement, je suis aux anges !
Mes pages de notes furtives mais toutefois très complètes s’accumulent, et comme j’aimerais pouvoir tout retranscrire ! J’ai actuellement l’impression d’être encore dans cette salle de cinéma, avec tous les autres, apprenant que ce film au récit « éclaté » d’après Cisterne est à l’origine d’une volonté sincère de parler de l’adolescence, de mettre en scène des jeunes à la période charnière de leur existence. C’est également le souhait de s’interroger sur l’identité de ce fameux Vandal, cet artiste subversif et inconnu qui hante tout le film, obsédant les personnages à un tel point que Shérif, s’éprenant pour le graffiti, finit par emprunter l’identité si mystérieuse et si fascinante du graffeur. Vandal, ce n’est pas seulement un nom, c’est aussi un flambeau, un « cri » d’espoir qui ne cesse de s’embraser, voué à se perpétuer par le biais d’adolescents, pratiquant un art excitant qui leur donne une existence bien à eux.
Hélier Cisterne échange avec nous de manière très spontanée, très vive et je ne peux m’empêcher d’avoir des étoiles dans les yeux. Il s’exprime avec une aisance remarquable, nous transmettant sa vision du cinéma et du monde, en réalité. Il vit de rencontres et aime réaliser pour découvrir les choses, les êtres et c’est effectivement un discours extrêmement précis qu’il nous offre. Je n’arrive toujours pas à me remettre de Vandal, si fort et si riche, surtout que son auteur est à quelques mètres de moi. Je suis juste… Emue. Admiratrice d’un tel talent. Et assoiffée de connaissances, de découvertes. Le cinéma est juste devant moi, avec cet écran, ce réalisateur et ce public qui fait qu’un film existe.
Après une bonne heure de conversation, la conférence style ciné-club s’achève, et il me faut déjà regagner le couloir pour la prochaine séance. Mais bien sûr, comme dès que l’opportunité se présente à moi dans ce genre de manifestation, je me dirige vers Hélier Cisterne, qui prend le temps de répondre à chaque personne qui s’avance vers lui. Je suis la dernière. Et je ne m’en plains pas. Nous échangeons naturellement et comme cela est plaisant de converser avec quelqu’un qui me ressemble, qui s’intéresse à moi autant que je m’intéresse à lui ! Nous avons des similitudes quant à notre parcours, et je ne cesse de sourire, de parler de mes expériences tout en écoutant les siennes. C’est un pur échange humain, plein de passion et de sourires. Et… Oh, mon dieu ! Il me donne son adresse mail. Marion, reste calme. Mais ouah, j’ai désormais la possibilité de contacter le compagnon de Katell Quillévéré ! C’est incroyable.
J’ai à peine le temps de me remettre de mes émotions que, déjà, je me précipite dans la salle pour enchaîner avec deux courts-métrages, Géraldine je t’aime et Avant que de tout perdre. Tous deux ont en commun la thématique de la voiture, de l’habitacle rassurant où les personnages communiquent, vivent ensemble des instants profondément humains.
La trame est certes quelque peu prévisible, mais on se laisse prendre au jeu car les évènements sont délicatement mis en scène, notamment avec ce château d’eau comportant l’inscription « Géraldine je t’aime » (titre du court, d’ailleurs), pilier d’émotions et magnifié par une caméra légère, flottante et l’Ave Maria de Schubert que nous connaissons tous. Je me laisse donc bercer par les non-dits des deux personnages, de leurs sourires et par l’humour qui anime ce court-métrage, simple et émouvant à la fois.
Lorsque ce dernier se clôt, je m’empresse de griffonner quelques mots dans le noir avant que le second film démarre. Je n’ai pas le temps de souffler, en festival. Mais c’est ce que j’aime, je crois. Dévorer, bouffer des films jusqu’à éreintement, même si parfois, j’aimerais davantage digérer ce que je vois, ce que je vis.
Le génie de Legrand, c’est que jamais il ne montre cette violence – la violence conjugale. Elle est mise en scène avec une extrême finesse, avec les bleus sur la peau très pâle du personnage principal, les pleurs et cris de désespoir de ses enfants, des silences et des non-dits, ainsi que tous ces instants que la caméra du cinéaste parvient à saisir. Tout comme le travail inouï de la bande son, qui affole mon pauvre petit cœur. Sensible et battant à tout rompre. A mon tour, je suis hantée par la peur qu’éprouve cette maman en détresse, craignant de se retrouver nez-à-nez avec un mari qui l’a maintes fois brutalisée, traumatisant un petit garçon et une jeune fille, profondément solidaires envers leur génitrice désespérée, qui refuse de porter plainte.
Les plans me sont parfois insoutenables. Je me cache les yeux, je me retiens de hurler, de pleurer. Car la tension est trop forte, l’attente et le stress sont tellement intenses que je me recroqueville sur mon siège, subissant la moindre étape que traverse ce trio bouleversant. Il est vraiment troublant pour moi de regarder ce film, car je subis à la fois cette peine sans limite, incarnée par les collègues de Miriam ainsi que la peur extrême de ce personnage courageux qu’incarne Drucker. Mon souffle est aussi court que celui de ses enfants et lorsque son mari apparaît enfin à l’écran, effrayant et voulant voir sa femme. Denis Ménochet me semble plus traumatisant que jamais. Alors, à mon tour je me faufile dans ce parking, la respiration saccadée, guettant le départ de cette brute et c’est un soulagement immense lorsque les enfants de Miriam et elle-même parviennent à retrouver sa sœur sur le parking du centre commercial, partant finalement dans la voiture – seul moyen d’échapper à la tempête qui sévit dans le domicile « familial ».
Puis le noir. Complet. J’essaie de reprendre une respiration normale. Je pleure. Très fort. Je ne sais pas pourquoi. Trop de choses m’animent. Et je fuis la salle dès que la lumière refait son apparition. Je m’isole dans un coin, grignotant des gâteaux mais je renifle, mes lèvres tremblent et j’hésite sérieusement à me rendre à la séance suivante tellement je suis bouleversée. Je n’ai jamais autant stressé pour un film. Jamais. Je suis totalement retournée, et j’ai du mal à me ressaisir. Finalement, j’aperçois Corinne Maulard et je vais engager la conversation avec elle.
Nous parlons de cinéma. Encore ! Et c’est un pur bonheur. Elle me conseille de beaux films, et sa passion pour le septième art se sent à chaque phrase quelle prononce. Cela m’est extrêmement agréable d’échanger avec cette femme qui, comme son collègue Marc Van Maele, me tutoie et m’accorde une attention sincère. J’en suis profondément touchée. Et cela m’aide à me faire oublier mon immense trouble. Et bientôt, je retourne dans la salle obscure. Pour ma dernière séance de la journée.
2 automnes, 3 hivers de Sébastien Betbeder.
Ce film s’apparente à un essai, un « objet cinématographique » comme le définit Bastien Bouillon à la fin de la projection. D’ailleurs, lors de l’entretien avec le public, l’acteur affirme une sincérité touchante, louant les qualités remarquables de son collègue comédien, Vincent Macaigne, tout en s’exprimant avec de grands gestes spontanés. Sa vivacité me donne le sourire, et c’est pour moi un immense plaisir de noter ses propos, de découvrir les secrets de tournage – comme le fait que les fragments du long monologue de Benjamin ont été tournés en premier, avant même les prises de scènes de vie, durant quatre bonnes heures face à une caméra ! Je me régale des anecdotes que Bouillon nous fait partager et dès que l’entretien se clôt, j’applaudis chaleureusement.
Cette journée – ou plutôt, ces nombreuses heures passées dans les salles obscures – m’a fait vivre un panel d’émotions incroyables. Et de rencontres, aussi. D’ailleurs, c’est bel et bien la Rencontre qui est à l’image de ce festival. Je n’en doute pas une seule seconde. Un autre exemple, parmi les multiples que j’ai décrites depuis le premier volet de mon journal de bord ? Après la projection du film de Sébastien Betbeder, j’ai eu l’opportunité d’échanger avec l’intervieweuse de Bouillon qui, tout comme moi est encore étudiante, et dans la même faculté que moi, en plus ! Ah, que le hasard est beau ! Nous discutons alors jusqu’à l’arrêt de tram et faisons le trajet ensemble. Echangeant nos expériences, notre parcours jusqu’à ce que chacune de nous parte de son côté, coordonnées en poche.
Décidément, le cinéma me fait découvrir une multiplicité de personnalités. C’est magnifique. Mais c’est ça, le cinéma avant tout : le partage authentique. L’Humain.