Notes festivalières : "Premiers Plans", Angers

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

26° Festival « Premiers Plans » d’Angers

Du 17 au 26 janvier 2014

Chaque année depuis plus de vingt ans, la ville d’Angers accueille le Festival « Premiers Plans », consacré aux premiers films – courts et longs métrages – de réalisateurs européens. Le Festival a ainsi vu passer un nombre important de cinéastes alors débutants (citons Akin, Nuri Bilge Ceylan, Arnaud Desplechin, Xavier Beauvois, Cristi Puiu, Thomas Vinterberg). Les films de la compétition sont accompagnés de rétrospectives, de thématiques et de tables rondes : une programmation riche qui donne tout son intérêt à un festival que je fréquente moi-même depuis huit ans.

Cette année, Angers a célébré Robert Bresson, Lars Von Trier, Patrice Chéreau, Denis Podalydès, Bo Widerberg et Grégoire Solotareff, hommages auxquels s’ajoutent la programmation des films en compétition, une thématique consacrée à la métamorphose, et de nombreuses séances spéciales. Une programmation très dense qui a tendance, forcément, à frustrer le festivalier, dans l’incapacité de tout voir.

Mon séjour fut ainsi bien trop court (deux jours seulement, soit neuf séances) pour profiter de toutes ces programmations. L’organisation de la journée du festivalier ressemble bien souvent à un parcours du combattant, nécessitant des concessions pas toujours idéales. Ces quelques notes serviront surtout, je le souhaite, à vous faire découvrir certains auteurs et à vous donner l’envie de plonger, l’année prochaine peut-être, dans l’ambiance particulière générée par un festival, d’autant plus lorsqu’il se tient dans la très agréable ville d’Angers.

angerscine.blogspot.com

Courts métrages de compétition

    La Lampe au beurre de yak, de Hu Wei. France / Chine, 16 minutes.

Des familles tibétaines se font prendre en photo devant des fonds plus ou moins exotiques (de la Grande Muraille de Chine à une plage dotée de palmiers). Ce ne pourrait être qu’un concept vite vain, et pourtant… Voici l’un des courts métrages les plus réussis qu’il m’ait été donné de voir : la situation initiale est prétexte aux surgissements cocasses, aux interventions décalées (le maire débarquant en moto devant les mariés pour faire une annonce), et, au-delà, à une véritable critique de la Chine actuelle que confirme le dernier plan, où un mouvement de caméra (le seul du film) révèle enfin le véritable "fond" du cadre. Mais loin de se limiter à des problématiques strictement chinoises, La Lampe au beurre de yak interroge aussi nos rapports à la tradition et à la modernité, et au pouvoir potentiellement dangereux de la mise en scène : une vieille Tibétaine qui n’a jamais été prise en photo se prosterne devant la toile de fond représentant un temple dans lequel elle a toujours rêvé d’aller. L’image fait sourire, mais elle émeut et inquiète également. En 16 minutes parfaitement maîtrisées, Hu Wei parvient donc à condenser des thématiques aussi variées que l’actualité sociale et politique d’un pays, les petits bonheurs familiaux, les situations pittoresques, le conflit entre tradition et modernité, le rôle de l’image. Bref, une réussite impressionnante, née de l’esprit d’un ancien élève du Fresnoy, qui démontre, s’il en était besoin, la force du format court.

    Un Début, de Raphaël Santarelli. France, 15 minutes.

Un titre pareil invite à des jeux de mots trop faciles. Difficile, pourtant, de ne pas succomber à la tentation du calembour, tant Un Début part d’une très bonne idée (un garçon entame une histoire avec une fille, celle-ci a un accident, mais personne n’étant au courant de leur relation, le jeune homme n’est pas tenu au courant de son état) mais la délaisse complètement pour… ne pas proposer grand chose d’autre. Si la mise en scène nous désintéresse immédiatement (montage rapide, caméra à l’épaule, esthétique numérique et lumière froide : vue et revue, branchée, mais pas innovante pour un sou), on espérait plus de cette belle idée de scénario. Le film s’égare en effleurant plusieurs sujets lourds (la jeunesse, la banlieue, les cités, le conflit social, la naissance de l’amour, la mort) qui effraient visiblement trop le jeune réalisateur pour qu’il s’attelle à la tâche. Dommage.

    Juke-Box, de Ilan Klipper. France, 22 minutes.

La grande surprise de ce premier court métrage de fiction, réalisé par un ex-documentariste, c’est son acteur : Daniel Bevilacqua, aka Christophe, le chanteur bien connu. Il incarne justement un chanteur alcoolique, prisonnier de son propre chaos : son appartement est un capharnaüm effrayant, et lui-même est une vraie loque dont on comprend à peine les lignes de texte. Il traîne son corps cadavérique au milieu de ses souvenirs, refuse de retourner à l’hôpital, joue quelques notes au piano. Le passé documentariste du réalisateur est bien visible, et même s’il a essayé de donner à son récit des "touches" de fiction (beau travail sur les décors et la lumière), difficile de ne pas voir dans le personnage autre chose que Christophe lui-même. Juke-Box est donc une première tentative fictionnelle qu’on peut saluer, mais qu’on soupçonne aussi de facilité, tant la fiction peine à surgir, justement. Il reste encore à Ilan Klipper à accepter que la fiction ne peut pas attendre que les choses se passent, mais doit savoir les provoquer, sans quoi le film demeure un bel objet sans sujet.

    Zakaria, de Leyla Bouzid. France, 27 minutes.

Dans un village du Sud de la France, Zakaria, Algérien, vit une vie tranquille avec sa femme et ses deux enfants. Suite à la mort de son père, il envisage d’emmener sa famille en Algérie, ce que la jeune fille de Zakaria, adolescente, refuse. Le pari est plutôt réussi pour ce film dont le sujet aurait pu le mener à sa perte. La réalisatrice réussit à doser habilement les deux thématiques fortes de son film : la relation parents/enfants (avec son lot d’héritage et de transmission) et la situation d’un immigré "intégré". La relation conflictuelle entre la fille et le père renvoie ce dernier à ses propres démons familiaux, et le film aborde l’épineux sujet de l’immigration sans tomber dans le cliché ou le pathos. La mise en scène peine toutefois à sortir du lot, malgré quelques beaux plans. Une esthétique à définir, donc, mais un regard certainement déjà aiguisé. 

Rétrospective Robert Bresson (13 films)

Lancelot du Lac, de Robert Bresson

Moi-même grande admiratrice du cinéma de Robert Bresson, j’attendais avec impatience cette rétrospective, pas aussi complète qu’elle n’en a l’air puisque manquent à l’appel Affaires publiques, son premier film (court métrage de 1934) dont il semblerait que les copies soient perdues, et Quatre Nuits d’un rêveur (1971), apparemment indisponible…

     Procès de Jeanne d’Arc, 1962, 62 minutes.

A partir des minutes du fameux procès, Bresson signe un film surprenant, austère mais beau, empli d’ascèse mais très bavard. Jeanne ressemble à une adolescente têtue, décidée à maintenir ses positions face à ses détracteurs. Un chien, la langue pendante, l’accompagne jusqu’au bûcher : Bresson aimait filmer les animaux (un âne dans Au hasard Balthazar, les chevaux dans Lancelot du Lac) comme les témoins et victimes de l’ignominie des hommes.

     Une Femme douce, 1969, 105 minutes.

Une femme se suicide. Son époux se remémore leur histoire, et tente de comprendre. Adapté de la nouvelle La Douce de Dostoïevski, le film interroge le mystère féminin sans prétendre le révéler. Egalement variation sur la dépression (qu’on retrouvera, sous une autre forme, dans Lancelot du Lac), Une Femme douce révèle l’actrice Dominique Sanda, alors âgée de 18 ans, magnifique en femme insondable et mystérieusement triste.

     Lancelot du Lac, 1974, 81 minutes.

Lancelot du Lac est très certainement le film de Bresson le plus surprenant que j’aie vu. Prenant l’attente du spectateur à contre-pied, Bresson porte à l’écran la partie la moins épique des contes de la Table ronde. Le récit commence à la fin de la recherche – vaine – du Graal. Les quelques chevaliers encore debout s’ennuient et passent le temps en fantasmant sur la reine Guenièvre. Ils finissent par perdre ce qui faisait leur force et leur héroïsme : leur unité. Loin de toute volonté spectaculaire, Bresson fait de son récit une totale anti-épopée, condamnant l’orgueil de ces chevaliers qui se font la guerre à défaut de se trouver une autre occupation. Rappelés finalement à leur condition de ferraille, ils mourront d’avoir voulu « posséder Dieu ».

Malgré ces découvertes qui m’ont enchantée, je demeure follement éprise de Pickpocket et Au hasard Balthazar, deux films dont la grâce ne peut laisser indifférent.

Rétrospective Bo Widerberg (7 films)

Considéré comme le plus grand cinéaste suédois avec Bergman, Bo Widerberg est l’auteur d’une filmographie bien différente de celle du réalisateur du Septième Sceau et des Fraises sauvages. Issu d’un milieu modeste, d’abord jeune écrivain très marqué à gauche, Bo Widerberg offrit à la Suède sa propre Nouvelle Vague, renouvelant le jeu des acteurs, préférant la lumière naturelle et les décor réels à l’artificialité des studios, illuminant ses films d’une fraîcheur revigorante pour un pays dont la cinématographie était un peu figée. Trois de ses films (Le Péché suédois, Elvira Madigan et Ådalen 31) ressortiront sur les écrans français le 29 janvier prochain.

     Un Flic sur le toit, 1976, 110 minutes.

Longtemps resté la plus grosse production du cinéma suédois, Un Flic sur le toit apparaît au premier abord comme un thriller relativement classique : un commissaire véreux est violemment assassiné, plusieurs flics, tous mal assortis, enquêtent. Le film ne serait pas gâté si je révélais l’identité du meurtrier, lui-même policier : le secret est vite éventé. Le film surprend cependant très rapidement. A partir de la commande, Bo Widerberg livre un film presque parodique, où les situations absurdes et incohérentes se succèdent jusqu’au ridicule (un quidam est engagé pour partir à la chasse au tueur, un policier trimbale le corps très encombrant de son commissaire à travers les fenêtres d’un building, un cadavre est pendu à un hélicoptère). Widerberg adapte pourtant un fameux polar suédois (L’abominable Homme de Säffle de Maj Sjöwahl et Per Wahlöö) mais moque volontairement le genre pour livrer un film plus original qu’il n’y paraît, curieusement anti-flic et joyeusement foutraque, avec, en prime, ce qui m’a bien semblé être une référence au Cuirassé Potemkine !

Thématique : la métamorphose

     Frankenstein, James Whale. 1931, 71 minutes.

Chef-d’oeuvre mythique de l’épouvante, le premier Frankenstein a certes un peu vieilli, mais ce charme suranné n’en gâte pas la qualité. On apprécie avec le même frisson, mi-amusé, mi-terrifié, les mimiques du savant fou, la démarche balourde de la créature, et cette tonalité si particulière, entre poésie et horreur, qui a fait par la suite les grands jours du cinéma d’épouvante.

Invasion of the Body Snatchers, de Don Siegel
© Action Cinémas / Théâtre du Temple

      Invasion of the Body Snatchers, Don Siegel. 1956, 80 minutes.

Je ne goûte guère l’expression, mais il faut bien reconnaître à Invasion of the Body Snatchers (élégamment traduit, à sa sortie, par L’Invasion des profanateurs de sépultures) le statut de film culte, tant cette série B des années 1950 a su faire date et créer un sous-genre du film d’épouvante. On ne compte plus les films où l’alien (au sens propre : l’autre, qu’il soit extraterrestre ou non) se mêle à l’homme en prenant possession de son corps et en l’imitant (le meilleur d’entre eux étant peut-être The Thing, de John Carpenter). On se délecte de ce film sans moyens qui parvient à semer le doute, répandre la paranoïa et représenter une chasse à l’homme avec une dizaine de figurants. Le secret de fabrication des doubles (je ne le dévoilerai pas ici, ce serait cruel) constitue un grand moment d’inventivité loufoque. Le film fait toujours débat : anti-communisme ou anti-maccarthysme, cela importe peu. Un film à voir absolument pour revivre, presque en direct, la naissance d’un genre qui devint par la suite florissant.

Alice Letoulat