Les chercheurs Hillel Aviezer, Yaacov Trope et Alexander Todorov se sont penchés sur le sujet : quels éléments du comportement non verbal permettent d’identifier clairement et surtout, avec justesse, la valence des émotions ressenties quand celles-ci sont très fortes ? Joie ou rage ? Euphorie ou douleur ?
La majorité des études sur l’identification des émotions à partir des expressions faciales n'ont pas testées la distinction des émotions positives et négatives lors de forts pics émotionnels. Hors, des études sur l’activité cérébrale et les émotions ont mis en avant deux choses intéressantes. D'abord les systèmes opioïdes et dopaminergiques modulent à la fois la douleur et le plaisir. Ensuite certaines régions du cerveau (insula, striatum, cortex orbitofrontal, noyau accumbens, et amygdale) sont activées à la fois par les émotions positives et par les émotions négatives.
Ils ont donc voulu tester si, dans le cadre de pics émotionnels intenses, les expressions faciales d’émotions à valence opposée pouvaient se confondre. Ce qui le cas, par exemple dans les expressions faciales caractéristique de l'orgasme, ou l'expression caractéristique de l'orgasme est très proche de l'expression de douleur.
Les chercheurs ont mis en œuvre plusieurs expérimentations. Ainsi, ils ont puisé dans les images de compétitions professionnelles de tennis, qui générèrent typiquement de fortes réactions émotionnelles, pour ensuite les soumettre à des sujets devant déterminer si les émotions exprimées par les joueurs étaient positives ou négatives. Ces expressions, de personnages perdants ou vainqueurs, étaient soumises de trois manières distinctes : corps et visage ensemble ; corps uniquement ou visage uniquement.
Ceci a permis de mettre en évidence que les sujets différenciaient mieux les émotions positives des émotions négatives lorsqu’ils avaient à disposition la photo du corps et du visage, ou du corps uniquement. Par contre, la vision unique de l’expression du visage n'a pas permis d’identifier correctement si l’émotion était positive ou négative.
Par ailleurs, les chercheurs ont également mis en évidence un phénomène particulier, un biais d’attribution plus exactement : les personnes ont déclaré qu’elles identifiaient la valence des émotions intenses proposées grâce au visage (80% d’entre elles), et quelques unes grâce à la combinaison du visage et du corps (20%), mais aucune grâce au corps seul.
Pour aller plus loin, les chercheurs ont combiné des photos avec des visages de perdants apposés sur des corps de vainqueurs :
Et dans ces circonstances également, la valence perçue (pour des mêmes visages) par les participants dépendait catégoriquement des corps avec lesquels ils étaient associés.
Afin de tester le caractère généralisable de ces résultats, l’équipe a ensuite sélectionné des images de personnes vivant des émotions intenses, en plus de celles de compétitions de tennis. Des situations positives intenses (la joie chez des personnes découvrant leur foyer remis à neuf et à leur goût, le plaisir chez des personnes éprouvant l’orgasme...). Des émotions négatives intenses (le chagrin chez des personnes assistant à enterrement, la douleur chez des personnes en train de se faire faire un piercing...). L’équipe a ici renouvelé l’expérience des photos combinées de visages et corps de valences différentes. Dans ce cas d’images composites, c’est aussi le corps qui a permis aux participants de déterminer si l’émotion était positive ou négative, et non le visage.
Nous avons l’illusion que ce sont les expressions du visage qui nous permettent le mieux de ressentir et d'identifier les émotions intenses des autres, et nous méconnaissons notre capacité à distinguer les émotions par les expressions et postures du corps. En plus d’avoir découvert ce biais, l’équipe de chercheurs a ici mis en évidence que lors d’émotions intenses, l’expression faciale ne permet pas d’identifier précisément la valence des émotions. C’est en fait l’expression du corps qui prime, pour déterminer si la personne en face de nous éprouve une émotion extrême positive ou négative.
Les chercheurs proposent deux pistes d’explication à ces observations : Une explication d’ordre musculaire de tel sorte qu'il est probable que l’intensité de l’émotion masque temporairement les différences dans les processus de contraction musculaire, qui permettent habituellement de faire la distinction entre le plaisir et la douleur, par exemple. Et cela parce que la musculature faciale ne serait pas adaptée pour véhiculer avec précision les affects extrêmement intenses. Tout comme des haut-parleurs à leur maximum, la qualité du signal se dégrade et arrive à saturation.
Une explication d’ordre affectif : l’intensité est telle que c’est l’information du caractère extrême de l’émotion qui prédomine l’expérience consciente. La personne a avant tout conscience qu’elle vit une émotion intense et la distinction subjective entre joie et peine, plaisir et douleur, peut durant un moment, s’effacer.
Cependant, les chercheurs insistent bien sur le fait que cette dégradation transitoire de la qualité du signal ne doit pas être considérée comme dysfonctionnelle, car l'ambiguïté est rapidement résolue par des informations contextuelles, comme l’expression du corps notamment. Mais aussi que le visage regagne, peu de temps après le pic d’intensité, ses propriétés à témoigner du caractère positif ou négatif de l’émotion vécue.
Publié par Gladys Raffin
Référence : Aviezer H, Trope Y, Todorov A. Body cues, not facial expressions, discriminate between intense positive and negative emotions. Science 2012, 338:1225-9.
Suivez-nous :