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LE BISTROT "AU BON FRAISIER"

Publié le 01 novembre 2013 par Paniervolant


Je me suis toujours demandée pourquoi le café portait fièrement cette enseigne "Au Bon Fraisier".
J'avoue, en y réfléchissant et cherchant au fond du jardin avoir trouvé quelques plants de fraises, mais franchement pas assez dignes d'une telle enseigne.
J'y ai même découvert pendant la saison, deux grosses fraises hélas le coeur transpercé par le passage probable d'une limace gourmande...
Je pense néanmoins qu'à l'origine il devait y avoir de nombreux plants de ce délicieux fruit.
Je savais hélas que ce n'était pas mon père qui allait y remettre de l'ordre, par manque de temps.
De plus il n'avait pas la main verte et sa passion il la consacrait au jeu de bourles, puisqu'il détenait à cette époque une fameuse réputation de grand champion de la région.


J'aimais malgré tout ce grand jardin situé derriére le bistrot, et longé par la bourloire.
J'y passais de nombreux jours l'été parmi les herbes folles d'un jardin qui manque d'entretien, d'autant plus que notre père nous y avait installé une balançoire.


Le bistrot quant à lui assez vieillot était constitué d'authentiques tables et chaises bistrot en bois sombres avec un comptoir assorti, le dessus recouvert d'une plaque de zinc. Un grand miroir avec des étagères face au comptoir donnait un peu de clarté dans ce décor obscur puisque la lumiére du jour filtrait par les fenêtres de façade et s'y reflétait.

Une chose que je ne pouvait supporter et qui paraitrait choquante aujourd'hui, sont les crachoirs installés en bas du comptoir sur les cotés et au milieu, ce qui me répugnaient réellement.

Ma mère n'appréciait pas réellement le style vieillot du bistrot qu'elle allait bientôt remettre au gout du jour en le modernisant dans un style très prisé à l'époque, avec des chaises et tables en formica jaune et noir et comptoir assorti, le tout rehaussé par un papier peint à fond clair et à motifs de style dit "Picasso".

Nous avions à l'époque, la réputation du bistrot le plus moderne de la ville, ce qui renouvela un peu la clientèle.


Toute mon enfance allait se passer entre ce bistrot de clientèle de quartier que j'évitais par timidité, le jeu de bourle et ses tournois fréquents et les quelques aventures intrépides de mon frère. Comme d'habitude je n'avais pas réussi réellement à me trouver une amie, j'étais un peu trop sauvage et la solitude n'était pas pour me déplaire, puisque j'aimais lire, dessiner, broder ou réaliser des collections de vêtements pour mes poupées, signes précurseurs d'une certaine partie de ma future vie professionnelle.
C'était une façon pour moi de m'évader de ce quotidien qui ne ressemblait pas à ma vie de petite fille.
De plus nous logions dans une petite pièce obscure qui nous servait de séjour, située derrière le bar et constituée d'un canapé, d'une table à manger avec quelques chaises, d'un frigidaire et une télévision qui venait meubler notre solitude, puisque notre père nous quittait pour travailler de nuit, et notre mère tenait le bar jusqu'au départ des derniers clients.
Bien souvent nos repas se faisaient sans nos parents.
Une autre petite pièce très sombre la jouxtait, pas plus grande qu'un couloir et faisait office de cuisine et de cabinet de toilette.
Nous avions trois chambre à l'étage, dont une occupée par mon frère, la seconde moi et ma petite soeur, et la plus grande attribuée à mes parents.
Ma chambre me semblait sinistre, vide, froide et sans chauffage avec un mur fissuré face au lit.
De plus pour aller se coucher ou se lever, il fallait obligatoirement passer par le bistrot devant la clientèle, ce qui me déplaisait sérieusement par ce manque d'intimité, alors que nous allions embrasser nos parents avant de nous coucher ou dés le lever du matin.
Avec la Lainière de Roubaix en pleine effervescence à cette période, nombreux étaient les immigrés espagnols probablement clandestins pour la plupart, qui se rendaient avant ou après leur travail chez nous pour se détendre devant un verre. Ce qui avait le don de m'énerver c'est que chaque fois que je passais dans le bistrot pour aller me coucher, ou au lever, l'un d'entr'eux ne pouvait s'empêcher de me taquiner en m'attribuant le qualificatif de "FEA" après m'avoir dit bonjour ou bonsoir .
J'avais évidemment fini par deviner ce que signifiait "FEA" en espagnol, alors que j'aurais préférer l'entendre me dire "WAPA" Je le maudissais intérieurement et si je l'entendais, je l'évitais néanmoins du regard.

Malgré tous ces désagréments, ce bistrot me laisse des souvenirs mémorables, mais il n'en a pas moins volé notre enfance et notre vie de famille qui toute notre vie nous laissera un vide.
Ce vide allait être comblé par les milles et une péripéties de mon frère ainé......

LE BISTROT

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