Les histoires de mes souvenirs d'enfance ne sont pas toutes légères et drôles.
Il est des sujets sensibles, voire douloureux qui à une certaine époque comme celle de mon enfance, semblaient inexistants ou tout simplement tabou par le fait de les divulguer.
Certaines conversations entre parents et enfants étaient interdites et la communication faisait défaut au sein de la famille.
Ces souvenirs désagréables, vécus à une certaine période, j'avais fini avec le temps, par les enfouir profondément dans ma mémoire, et les archiver définitivement.
Nos médias actuels parlent de tout, parfois trop, mais parfois dans un but préventif, et cela m'aurait bien été utile, lorsque j'étais enfant.
C'est ainsi que le tiroir de mes archives que je croyais cadenassé s'est ouvert pour me remémorer ces faits.
Longtemps j'ai hésité avant de les publier, mais je crois qu'il est toujours utile et salutaire de parler sans détour, tout en se réservant une certaine pudeur.
Il venait de débarquer récemment et régulièrement dans notre bistrot. Aucun de nos clients habitués ne le connaissait.
Je devais avoir neuf ou dix ans.
Maman le trouvait un peu étrange de par son comportement, mais comme il semblait avoir une belle situation sociale et de belles manières, cela l'avait probablement mise en confiance.
De plus elle le trouvait très gentil par l'attention qu'il portait sur moi et ma petite soeur.
Il ne venait jamais les mains vides et il avait toujours des friandises à nous remettre.
Il avait bien organisé sa mise en scène pendant un certain temps, ce qui lui permettait de s'attirer la confiance de mes parents et des clients afin de se fondre dans le décor habituel.
Comme maman était affairée au comptoir avec ses clients, et mon père dans la bourloire en train de diriger les tournois, avec deux équipes adverses totalement concentrées sur leur jeu, personne n'avait remarqué que cet étrange client, faisant partie des spectateurs, m'avait installée gentiment sur ses genoux, pour s'adonner en public et en toute discrétion à ses pulsions malsaines.
J'avais envie de crier, de m'échapper, mais j'avais honte et j'avais peur de me faire gronder, me sentant fautive de ce genre de chose que je n'aurais jamais imaginée. Je me sentais sale et humiliée, mais je restais muette.
Si j'en parlais à maman, me croirait-elle, probablement penserait-elle que cela était le fruit de mon imagination ? Un client si gentil et attentionné qui m'apportait régulièrement des friandises !!! Je passerai probablement pour une mauvaise fille ? Alors je me taisais et il réitéra ses actes, jusqu'au jour où il proposa à maman de m'emmener faire un tour en voiture.
Je ne sais si maman lut la peur dans mon regard ou sur mon visage, mais elle comprit ma détermination devant ce refus sous prétexte de devoirs à terminer et je m'échappais furtivement.
Maman n'en parla jamais, je pense qu'elle n'avait pas réalisé, ce qui s'était passé à son insu, elle avait probablement pensé que ce refus était du à ma nature introvertie et ma grande timidité.
Une chose est certaine j'avais probablement échappé au pire et épargné ma petite soeur qu'il
commençait à observer avec un certain intérêt.
On ne le revit plus jamais.
C'est à cette période que j'ai commencé à détester la bourloire, son jeu et ses participants.
Désormais, je me contentais de jouer dans le jardin aux grandes herbes folles et j'essayais d'oublier, puisque personne n'avait remarqué que j'évitais de passer par la bourloire.