Six mois se sont écoulés depuis l’effarante constatation de la part de Cazeneuve, le ministre en charge de ce qu’on fait passer pour un Budget en France : les rentrées fiscales n’étaient pas à la hauteur attendue. La TVA, notamment, refusait alors de se plier aux injonctions de Bercy et de rentrer à gros bouillons comme il avait été prévu dans tous ses petits calculs. L’hypothèse retenue se résumait à un mot : fraude.
Et à l’époque, à part cette hypothèse, on nageait en plein brouillard. La Tribune s’en inquiétait dans un article titré « Le mystère s’épaissit autour de la chute des rentrées de TVA », qui constatait qu’une partie de cette baisse pouvait éventuellement être expliquée par une diminution de la consommation, mais bon, l’autre restait incompréhensible sauf, bien sûr, à considérer que les entreprises s’étaient massivement tournées vers la fraude, les coquines.
L’hypothèse que tous les sphincters français se referment sauvagement en prévision d’une passe très difficile fut écartée, au motif que la Courbe de Laffer, purement hypothétique et construite sur un post-it au détour d’une conversation probablement arrosée, n’est en rien une construction théorique solide et reste un truc imaginé sur le pouce. Exit donc, cette explication qui, pour rappel, veut qu’à mesure que les impôts augmentent, leur rendement diminue.
Le mois de juin s’achèvera donc sur ce constat d’incompréhension feutrée : zut, les rentrées ne sont pas à la hauteur, et on ne sait pas pourquoi, zut et zut.
Courant septembre, le montant du manque à gagner en TVA atteint benoîtement 32 milliards, chose que l’ensemble de la presse française se sera empressée de ne pas mettre en Une, occupée qu’elle est alors de savoir si les soutiens Facebook au bijoutier de Nice sont réels ou non. Et pendant que les pisse-copies comptent et recomptent les likes, la Commission européenne fait paraître un rapport qui note que le repli du rendement de la TVA est constaté sur l’ensemble de l’Europe, mais que la France se classe largement en tête de la perte constatée. Point intéressant, la Commission fournit, pour l’écart constaté, quelques explications possibles : la multiplication des faillites d’entreprise, la méchante optimisation fiscale (et la fuite des entreprises des enfers fiscaux vers les zones plus tranquilles), il y a aussi la fraude, sous diverses formes, et … des « erreurs statistiques, entre les prévisions de rentrée de TVA du ministère des Finances et la réalité », ce qui ne veut pas du tout dire qu’il y aurait un effet Laffer, hein, ouh là qu’est-ce qu’il ne faut surtout pas écrire, lire et laisser entendre !
Malgré tout, ici, je vais m’auto-citer, ce qui est assez prétentieux, mais ça me fait des gouzigous dans le ventre de constater qu’après six mois, tout se déroule comme prévu :
Psychologiquement, tout se met donc en place pour une issue dont plusieurs (moi compris) se sont déjà fait l’écho : les rentrées vont continuer de diminuer, les dépenses allant toujours bon train, le déficit va continuer de se creuser, et la brochette d’incapables et de jean-foutres au pouvoir étant toujours aussi coincés idéologiquement, la situation passera de précaire à désespérée.
Parce que voyez-vous, après le rapport commandé par la Commission qui fournissait quelques pistes sur l’évaporation des 32 milliards d’euros de TVA, les chiffres dévoilés jeudi 16 janvier au soir par Bercy sur le déficit budgétaire français ne laissent aucun doute : le dérapage continue, le déficit constaté est encore une fois plus lourd que prévu. Ayant atteint 74,9 milliards d’euros, il se situe donc 2,7 milliards plus haut que celui qui avait été envisagé en cours d’année.
Ceci veut dire plusieurs choses : d’une part, il semble évident que la maîtrise des dépenses dont on nous rebat les oreilles actuellement n’est absolument pas suffisante. En fait de maîtrise, il faudrait maintenant passer aux coupes sérieuses et profondes pour commencer à voir des résultats en terme de réduction effective des déficits. Pour le moment, encore une fois, l’année se termine avec un creusement énorme.
D’autre part, ceci veut dire que les rentrées fiscales n’arrivent toujours pas à calmer la soif du Léviathan. Très concrètement, cela veut donc dire que, les dépenses ne diminuant toujours pas assez vite, l’année qui vient se traduira encore par une hausse des prélèvements. On sait déjà que, leur rendement diminuant, ce sera peine perdue, mais attendez-vous tout de même à vous prendre encore une nouvelle salve de vexations fiscales.
Et parallèlement, cela confirme bien que les entreprises font tout ce qu’elles peuvent fiscalement pour éviter la faillite. Ceci se traduit donc mécaniquement par une augmentation du noir (et des paiements en liquide, plus faciles à débarrasser de leur TVA), certes, mais aussi par cette « optimisation fiscale » (éventuellement assortie d’un déplacement hors des frontières) volontairement gommée par la dissonance cognitive de Bercy. Au passage, cette optimisation fiscale est finalement de bonne guerre : l’État fait varier les assiettes et les taux, considérant que ses revenus ne doivent pas être une part constante de l’activité et les entreprises font pareil en faisant varier la part de ce que l’État prend sur leur activité, soit en diminuant leur activité, soit en l’expatriant, soit en en cachant une partie. Eh oui : si tout le monde restait tranquille au lieu de tripoter les taux et les lois, l’insécurité fiscale diminuerait largement et les entreprises serait nettement moins tentées de prendre le temps d’optimiser.
Enfin et surtout, cela veut dire qu’encore une fois, les prévisions se sont avérées fausses. On ne peut que s’étonner que les chiffres fournis par Bercy soient aussi régulièrement faux, et toujours dans ce sens là : statistiquement, on frôle le miracle perpétuel. Cette constance dans l’erreur a quelque chose d’admirable puisqu’elle permet d’affirmer que les prochains rapports qui seront fournis à la presse seront donc aussi faux que les précédents. Vous le voyez, le gros mauvais dérapage des finances publiques de 2014, encore plus loin, encore plus fort ?
Quoi qu’il en soit, on apprend tout de même que par un coup du sort assez extraordinaire (des miracles à la pelle, je vous dis), les recettes de TVA sont en revanche un peu meilleures que prévues (600 millions tout de même), recettes que le gouvernement met sur le compte d’un regain de consommation des Français. Bien sûr, ce regain n’est corroboré par aucune statistique solide ou impression d’ensemble (et, aux dires des commerçants, c’est plutôt le contraire), et les prévisions de croissance ont bien du mal à accréditer les thèses du gouvernement, mais baste, passons : la TVA rentre maintenant à grosses brouettées.
Immédiatement, tous les journalistes économiques que compte que le pays se sont empressés de confirmer la provenance de ces rentrées inopinées d’autant qu’elles se sont concentrées dans les 3 ou 4 derniers mois de l’année, alors qu’il y avait avant un manque à gagner conséquent… Ah tiens non, finalement, tout le monde s’en fiche : Bercy nous indique avoir dégoté 600 millions de TVA en surplus après les trois quarts d’une année catastrophique, et tout le monde estime que c’est correct et normal, n’en parlons plus.
Si, en prenant un peu de recul, cette soudaine amélioration des rentrées de TVA ne vous paraît pas très crédible, c’est sans importance : il faut bien comprendre que le but n’est en rien de convaincre le citoyen / contribuable français, mais de fournir une fumée statistique crédible et assez camouflante pour que le reste du monde, à commencer par l’Europe, continue à croire au mirage français, parce que si jamais les investisseurs institutionnels font mine d’hésiter à y croire, les finances publiques du pays partiront immédiatement pour une séance de montagnes russes mémorables.
Pour résumer, oui, il semble évident que les déficits ont dérapé. Mais, après élimination des causes peu crédibles, c’est simplement la faute à Pas De Chance. Les chiffres prévisionnels étaient encore une fois faux, mais c’est décidément la faute à Pas De Chance. Quant au rendement négatif à l’augmentation des impôts, cela n’a rien à voir avec la courbe de Laffer. C’est, évidemment, la faute à Pas De Chance.
Décidément, ce pays n’a pas de chance.
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