L’austérité en Europe contre l’expansionnisme de la Fed aux États-Unis

Publié le 23 janvier 2014 par Copeau @Contrepoints
Analyse

L’austérité en Europe contre l’expansionnisme de la Fed aux États-Unis

Publié Par Vladimir Vodarevski, le 23 janvier 2014 dans Économie générale

La presse économique française essaie par tout moyen de faire entrer les faits dans la théorie keynésienne

Par Vladimir Vodarevski.

La lecture de la presse dite sérieuse peut se révéler consternante, ou amusante si on prend les choses avec humour. Ainsi en est-il d’une série d’articles consacrés aux États-Unis dans le numéro des Échos du vendredi 3 janvier 2014. Ces articles critiquent la soi-disant politique d’austérité européenne :

Les budgets des États restent marqués du sceau de l’austérité au moment où le Japon et les États-Unis relâchent un peu la pression. Les gouvernements de la zone euro continuent à miser davantage sur la réduction des déficits publics et les réformes structurelles que sur la politique monétaire, qui reste très sage même si les risques de déflation qui se profilent devraient pousser la Banque centrale européenne à baisser encore ses taux d’intérêt.

La BCE est critiquée donc tandis que la politique de la Fed est encensée. L’austérité est présentée comme la cause des maux de l’Europe. Ce qui devient amusant, c’est ce passage d’un article du même numéro des Échos :

Et, contrairement à beaucoup de pays d’Europe, il n’y aura pas de hausses d’impôt. Le pays [les États-Unis] n’en a pas réellement besoin : il a engagé l’assainissement de ses finances publiques de manière spectaculaire. Le déficit de l’État s’est résorbé de 38% l’an dernier ! Il ne représente plus que 4,1% du PIB. Les dépenses sont en baisse, grâce aux coupes dans les dépenses sociales – les allocations chômage notamment.

On notera donc que pour le quotidien Les Échos des coupes dans les dépenses sociales ne sont pas une politique d’austérité.

Il y a eu beaucoup d’ajustement de ce type aux États-Unis. Les Échos font mention du dynamisme de l’industrie automobile américaine, qui doit beaucoup aux licenciements et aux accords salariaux, ainsi que sur les pensions. Dans un éditorial du 7 janvier 2014, Jean-Marc Vittori évoque les ajustements salariaux. La baisse des salaires a provoqué une amélioration de la compétitivité aux États-Unis, faisant dire parfois qu’il ne serait plus rentable pour une firme US de produire en Chine. Mais Jean-Marc Vittori fait aussi l’éloge de la Fed, et explique le rebond des États-Unis par l’effet richesse. Les prix de l’immobilier se sont stabilisés, la bourse est en forme, ce qui incite les consommateurs à l’optimisme et donc à la dépense. Il souligne que l’effet richesse est plus puissant aux États-Unis que dans la zone euro. Il est vrai qu’en matière d’immobilier, si on suit l’explication de Jean-Marc Vittori, on se demande où est l’effet richesse car, même si on considère que les prix se sont stabilisés, ils ont beaucoup baissé depuis 2008. Un effet richesse quand la valeur du patrimoine a baissé, c’est curieux.

Quant à l’action de la Fed, son efficacité prête largement à discussion. En effet, la Fed injecte de l’argent dans l’économie, pour favoriser la croissance. Or, les banques qui reçoivent cet argent le placent, majoritairement, auprès de la Fed, comme le montre Guillaume Nicoulaud dans Contrepoints :

Sous l’effet, notamment, des rounds successifs de Quantitative Easings, la base monétaire du dollar a augmenté de $1,8 trillions mais, dans le même temps, les réserves des banques auprès de la Federal Reserve se sont accrues de $1,5 trillions dont 95% de réserves excédentaires, c’est-à-dire de réserves constituées par les banques de leur propre chef, sans aucune contrainte réglementaire. En d’autres termes, l’écrasante majorité (83%) de l’injection monétaire de la Fed ne circule pas dans l’économie et n’a, dès lors, aucune raison de provoquer la moindre forme d’inflation.

La BCE poursuit par ailleurs également une politique très interventionniste, même si elle ne passe pas par les même canaux que la Fed, les économies US et européennes étant différentes. Enfin, l’argument de la baisse des taux longs provoquée par la Fed et évoqué par Jean-Marc Vittori est également curieux, des pays comme la France ou l’Allemagne pouvant emprunter à des taux très bas, et n’ayant pas connu d’explosion des taux d’intérêt sur les dettes privées de bonne qualité.

Enfin, on peut ajouter l’impact sur les dépenses des collectivités locales de la crise aux USA. Par exemple, une ville comme Détroit est en faillite. D’autres villes sont en faillite aux États-Unis, ou connaissent des difficultés budgétaires. Ces faillites et difficultés budgétaires se traduisent par des diminutions de dépenses concernant des services publics tels que la police, ou les écoles.

En résumé, les États-Unis ont taillé dans les dépenses sociales, dans les salaires, et certaines villes dans les dépenses d’éducation et de police. En France, il n’y a eu aucune baisse des dépenses publiques, ni des salaires. En Allemagne non plus. L’Europe a largement soutenu l’Irlande, l’Espagne, le Portugal, la Grèce. Les efforts qu’ont fait ces pays s’apparentent à ceux des États-Unis. Quant à la BCE, elle a ouvert les vannes de la création monétaire, tout comme la Fed. Pourtant, la politique européenne en général, et française en particulier, est qualifiée d’austérité. Tandis que la politique US est qualifiée d’expansionniste. Cherchez l’erreur.

La vérité, c’est qu’on essaie par tout moyen de faire entrer les faits dans la théorie keynésienne. Selon cette dernière, c’est l’argent le moteur de l’économie. Plus on injecte de l’argent, plus on connaîtra de croissance. C’est aussi l’optimisme. En fait, injecter de l’argent augmenterait la demande, et donc l’optimisme des entreprises, qui alors embauchent, versent des salaires, ce qui entretient la demande. Ce qui explicite l’explication par l’effet richesse de la reprise aux États-Unis selon Jean-Marc Vittori. Même si l’effet richesse a été théorisé par le néoclassique Arthur Cecil Pigou, qui a constaté que quand les gens se sentaient riches ils dépensaient plus. Il n’en a cependant pas tiré de recommandation de politique économique en faveur d’un expansionnisme monétaire.

Alors même que la théorie keynésienne est en échec. Les faits montrent que les économies ont besoin de marges de manœuvre pour se relancer, ce qui correspond davantage à la théorie de Hayek que de Keynes.

Cette volonté de valoriser le keynésianisme illustre le biais idéologique des articles sur l’économie en France. En même temps, on peut s’interroger sur le sérieux des journaux, même si Les Échos comportent des articles de qualité. Critiquer l’austérité européenne en comparaison aux États-Unis tout en soulignant la baisse des dépenses sociales aux États-Unis, c’est à tout le moins remarquable.


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