Hollande : quelle distance de la coupe aux lèvres ?
Publié Par Emploi2017, le 23 janvier 2014 dans Économie générale, Travail & emploiLe président et son gouvernement se focalisent sur les entreprises existantes. Mais le sort de la France se joue sur celles que l’on ne voit pas, celles qui n’existent pas encore.
Par Bernard Zimmern, d’Emploi2017.
Le 14 janvier 2014, François Hollande tient la troisième conférence de presse de son quinquennat et annonce ce qui semble être pour beaucoup de commentateurs un virage à 180° de sa politique économique. Deux déclarations sont particulièrement significatives : une réduction des charges supportées par les entreprises françaises de 32 milliards par an à atteindre en trois ans par transfert de cotisations familiales ; et le remplacement d’une politique keynésienne de la demande par une politique de l’offre, chère à l’École de Chicago et Milton Friedman, emblématique de ce que les socialistes ont toujours dénoncé comme l’ultra-libéralisme. Il faut se réjouir de voir le gouvernement vouloir créer de la richesse avant de la distribuer. Mais quelle distance y a-t-il de la coupe aux lèvres ?32 milliards de réduction atteints en trois ans (dont les commentaires sont que les 20 milliards du CICE en feraient partie et ne seraient donc pas à ajouter), cela paraît énorme pour un budget familial mais est-ce assez pour rendre l’industrie française compétitive ?
Les comptabilités nationales publiées par Eurostat permettent une appréciation. Si l’on regarde l’autofinancement comparé des entreprises non financières (de production, hors banques et assurances), c’est-à-dire ce qui est à la disposition des entreprises pour financer leurs investissements en ajoutant bénéfices nets après impôts, amortissements, et subventions, on arrive en 2011 à 136 milliards pour la France, 210 pour le Royaume-Uni, 261 pour l’Allemagne soit environ 200 à populations comparables. Ceci donne une bonne mesure du handicap français : environ 70 milliards manquants à l’autofinancement, qui financent l’investissement en conditionnant les emplois de demain.
30 milliards de réduction, c’est un premier pas mais à relativiser car il est en trois ans.
Surtout, sommes-nous dans une réforme qui corrige les raisons qui nous ont fait accumuler ce handicap, ou dans les jongleries budgétaires dont raffolent les spécialistes des finances publiques ?
Les explications de l’excès des charges de nos entreprises abondent : trop de fonctionnaires, dépenses budgétaires et sociales hors de contrôle, insuffisance des heures travaillées, etc.
Mais il nous semble que la plus importante a été simplement ignorée des stratèges gouvernementaux : nous n’avons plus assez d’emplois marchands car nous n’en créons plus assez depuis 30 ans. À populations totales comparables, nous n’avons que 19 millions d’emplois marchands contre 24 pour les Britanniques et 26 pour les Allemands (et que ceux qui voudraient expliquer cela par les emplois précaires s’abstiennent ; la réalité est à l’opposé). Aurions-nous 24 millions d’emplois marchands et un taux d’emploi de la population en âge de travailler de 70% à 72% comme les Britanniques ou les Allemands et pas 64%, nous aurions un PIB plus élevé de quelques 400 milliards, des prélèvements obligatoires augmentés de quelque 200 milliards, il n’y aurait plus de problème de déficit et il serait facile de rendre à nos entreprises les 75 milliards qui leur manquent pour être compétitives.Un examen attentif montre que les emplois marchands ont commencé à décrocher vers 1980. Depuis, nous nous évertuons à rendre nos chômeurs jeunes ou adultes employables, mais sans vraiment créer des emplois. Nous créons bien des entreprises mais sans ou avec un salarié, pour employer des chômeurs dans des petits boulots, mais plus assez dans les créations d’entreprises avec des projets à vision nationale ou internationale. Pour les entreprises naissant avec 2 salariés ou plus, les Allemands ont créé en 2011, 272.000 emplois, nous 72.000.
Toute l’opinion, les médias, les politiques, même les syndicats patronaux sont focalisés sur les entreprises existantes car ce sont elles que l’on voit, qui se plaignent, qui paient. Mais le sort de la France se joue sur celles que l’on ne voit pas, celles qui n’existent pas encore, celles qui devraient naître pour que la disparition des entreprises existantes ne soit pas un drame mais un processus normal de renouvellement « schumpétérien ». Ce sont les entreprises qui naissent qui peuvent faire croître l’emploi, pas celles qui existent dont il est prouvé dans tous les temps et dans tous les pays qu’elles perdent forcément des emplois quoiqu’on fasse, à cause de ce processus de renouvellement.
Mais pour que se créent ces entreprises à plusieurs salariés, signe d’une ambition entrepreneuriale plus grande que l’entreprise de quartier, il faut des fonds, plusieurs centaines de milliers d’euros au départ par entreprise, et des euros investis pas des entrepreneurs, seuls capables de flairer les bonnes directions, d’investir dans les « gazelles », ces entreprises à forte croissance où la performance française est désastreuse.
Mais cela implique d’inciter les riches, ceux qui ont de l’argent, surtout ceux qui l’ont acquis récemment par leurs succès dans des start-up, à investir. Ceci est encore très loin des radars de nos gouvernants, politiciens ou hauts fonctionnaires, dont la philosophie égalitariste, dirigiste et étatiste s’accommode très mal d’une vision entrepreneuriale. Ils vantent l’innovation mais l’innovation ne se commande pas ; c’est un phénomène du vivant, pas une mécanique de coucou suisse où il suffit d’appuyer sur les bons boutons pour que les entreprises se mettent à embaucher. Le vivant, lui, passe par l’émergence de nouveaux entrepreneurs, de nouvelles niches biologiques imprévisibles.
Il nous faudra donc encore attendre pour que cette majorité – ou celle qui l’a précédée, qui fut conseillée en fait par les mêmes – mette en place les mesures, notamment fiscales, qui entraînent une réelle renaissance de la création d’emplois et pas seulement des transferts de lignes budgétaires qui ravissent les spécialistes des finances publiques mais dont l’impact sur l’économie réelle ne dépasse guère la Une des quotidiens.
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