Drôle d’endroit pour des rencontres 2014Jour 1 : Des étoiles plein les yeux

Publié le 22 janvier 2014 par Boustoune

Journal de bord, jour 1 : mercredi 22 janvier 2014, pour “Des étoiles” de Dyana Gaye (2013).

Il est 9h30. Pile à l’heure pour la première séance de dix heures. La toute première de ce festival, d’ailleurs. Je suis chaleureusement accueillie par un personnel poli, aimable et je suis aussitôt présentée à Corinne Maulard, l’attachée de presse du festival. Sourires et serrement de mains, puis j’ai l’honneur de me voir remettre une enveloppe à mon nom. Marion Filloque pour le site web Angle(s) de vue. J’avoue que je suis pas peu fière de m’annoncer ainsi. C’est tellement incroyable, ce qu’il m’arrive. C’est la première fois que je viens dans un évènement avec ce statut si particulier. Soit rédactrice, petite observatrice, spectatrice de cinéma. J’en suis émue comme tout excitée.

Après avoir eu mon accréditation "presse" et mon billet pour le premier long-métrage de la matinée, me voilà déjà dans la salle aux sièges rouges, celle sur la gauche. Elle porte le nom de Jacques Demy. Comment ne pas avoir des parapluies et des chansons tourbillonnant dans la tête avec une telle appellation ?

Je m’installe alors, le dossier de presse du film de Dyana Gaye, Des étoiles, en mains ainsi que mon bloc-notes, lui qui m’accompagne absolument partout. Je n’aime pas trop en savoir sur un film avant de le voir, généralement, mais ma curiosité est trop grande – comme toujours. Et je parcours donc les pages du joli petit livret brillant que l’on m’a remis. Rien que l’affiche de ce long-métrage en dit beaucoup sur ce dernier. Rencontres humaines. Horizons différents. Chemins croisés.

Je me laisse porter par les pages, m’attardant notamment sur les propos recueillis par Arnaud Hée qui a sans doute interviewé la jeune réalisatrice quelques mois plus tôt. Les photogrammes du film se mêlent aux mots, les accompagnent et les soutiennent dans une merveilleuse et délicate harmonie. Ce simple document papier suffit déjà à me fasciner. Par les couleurs, les cadrages et les personnages – ou plutôt, les personnes captées dans des moments de réel, simples et vivants.

Tout se mêle dans ma tête, avant même que le film ne commence. Il me reste encore un quart d’heure à attendre. Patienter "avec" le film, mais d’une manière tout autre. En accédant aux dires d’une jeune cinéaste prometteuse – à en croire la biographie et la filmographie figurant dans le petit livre. Mes yeux s’arrêtent sur certaines phrases, et mon feutre orange les souligne, les encadre. Je suis, sans aucun doute, invitée à voir un film très personnel, "en résonance avec mon histoire", comme l’affirme Dyana Gaye. Immédiatement, cela retient mon attention parce qu’une réalisatrice qui parle d’elle, de son vécu, de ses émotions, c’est quelque chose qui me trouble. Et qui me touche forcément. Car, moi aussi, dès lors que j’écris un scénario ou tout genre d’écrit, c’est une part de moi que je dévoile, que je mets à nu et comme chacun le sait, tout oeuvre fait écho en nous ; ainsi, cette entrée en matière de Des étoiles ne me laisse pas indifférente.

La cinéaste déclare son souhait de filmer le "voyage, des trajectoires que l’on trace dans une existence". C’est beau. Cette formule m’invite à poursuivre ma lecture du dossier de presse, qui m’apprend que le destin de plusieurs personnages m’attend sur la grande toile blanche et que la différence, l’Autre et les multiples espaces vont se croiser sous mes yeux dans une poignée de minutes.

Le mouvement est, de toute évidence, l’un des thèmes principaux du film, tel un personnage à part entière et si j’en crois les lignes qui me sont proposées, je suis sur le point de faire la découverte d’un Turin, d’un New York et d’un Dakar. Je dis bien "un" car ce sont trois villes filmées par un regard singulier. Celui de Dyana Gaye, sensible et attentif. Mon imagination commence à s’éveiller, les photos du livret m’appellent et me donnent le sourire. L’Humain me tend les bras. Il est tout près. Avec ses multiples langues : le français, le wolof, l’italien et l’américain. Que de diversités ! Cela me charme, m’emporte, d’autant plus que pour Dyana Gaye, la musique est "d’abord un support d’écriture". Encore une fois, je suis touchée par les propos de la réalisatrice et j’entends déjà des percussions, des mélodies dans la tête. Je fabule. Mais je ne dois pas. Il faut que je me laisse porter par le film. Pour qu’il me surprenne.

Ah, la salle s’est un peu plus remplie. Cependant, nous sommes à peine une dizaine. Etrange pour une projection presse ; enfin, c’est le matin aussi. Mais je ne m’en plains pas. Entre un vieux couple de cinéphiles, des habitués du cinéma et un journaliste (ou du moins, il en donne l’air), je me sens à ma place. Dans un fauteuil rouge. J’aime être seule au cinéma. Vivre un film sans que l’on vienne me déranger avant, pendant et après la projection. J’ai ce besoin de digérer une expérience cinématographique en solitaire.

Le directeur des Alizés entre alors, se présentant chaleureusement à nous. Marc Van Maele. Très sympathique et qui, suite à une présentation enthousiaste, simple et qui n’en révèle pas trop, nous demande de lui accorder quelques minutes après la séance. Afin de lui faire part de nos ressentis quant au premier long-métrage de Dyana Gaye. Mince. Il me faudra accomplir un petit effort. Mais ce n’est pas plus mal. Réagir à chaud est intéressant, aussi.

Puis, Monsieur Van Maele nous souhaite une bonne séance.

Ça y est, ça va commencer.

Les lumières s’éteignent, nous plongeant dans l’obscurité. Silence.

Le film démarre. Oh, il manque le son, non ? J’ai vu juste. Quelqu’un sort et dix secondes plus tard, la bande son rejoint le flux des images. Désormais, place au Cinéma.

Une jeune femme, Sophie. Africaine, sans aucun doute. Et sa petite valise qui l’accompagne dans le moindre de ses déplacements, au sein d’une ville qui lui semble inconnue. Turin. Puis les rencontres se tissent, et d’autres personnages prennent vie sous mes yeux, grand ouverts et brillants. Viennent alors d’autres personnages ; Abdoulaye et son cousin. Puis Thierno et sa famille. Tout s’enchaîne. Les êtres, les mots, les langues.

Je voyage de l’Italie à New York en un clin d’oeil, tout en passant par le Sénégal. C’est incroyable comme je parviens à ressentir chaque séquence de la destinée des protagonistes. Les sourires se mêlent aux regards, le silence s’oppose aux rumeurs de la Ville. Oui, il y a certes plusieurs pays et plusieurs agglomérations, mais toutes semblent s’unir en une seule. Diversifiée et incroyablement… magique ? La caméra de Dyana Gaye épouse les rues, capte le mouvement des êtres et des transports. Accompagne le bouillonnement new-yorkais, sénégalais et italien.

Ce film est un véritable hymne de vie.

Des étoiles questionne néanmoins l’une de nos problématiques actuelles : l’immigration. Et tous les tracas qu’elle comporte. Entre Sophie qui attend un mari qui ne reviendra jamais, un jeune Thierno qui part à la découverte de sa famille suite au décès de son père, ainsi qu’un Abdoulaye perdu et sans repère, les existences se croisent. Par le mouvement. Une caméra épaule qui suit les personnages, dynamisant des histoires disparates. Et de longs panoramiques, lents et gracieux qui nous donnent à voir le monde urbain. Ou plutôt, des mondes urbains. Européen, africain et américain. Le monde est devant mes yeux. Il glisse, tourbillonne et prend forme par ces fragments de vie, ces échanges pleins de véracité et d’humanité.

Les regards en disent long – je pense à Thierno et sa belle cousine. Et le silence est bientôt remplacé par le sourire et les rires, chez Sophie. Elle reprend goût aux choses de la vie, tourne la page et cesse de croire en un espoir qui n’est plus. Malheureusement, le bonheur n’est pas accordé à tout le monde ; Abdoulaye enchaîne les galères du voyage. Galères qui l’emmènent encore plus loin dans le territoire américain.

Ce film est avant tout rencontres. Connaissance de l’Autre, échanges humains et crus avec la différence. Le long-métrage s’apparente à un melting-pot, à une douce danse des êtres et des paysages. D’ailleurs, la bande originale donne de l’épaisseur aux situations, et certains morceaux sont tout simplement destinés aux personnages. Tels des thèmes personnels. Uniques. Les mélodies accompagnent chaque protagoniste, chaque lieu. Flottant avec et à travers les images. Dyana Gaye offre une structure circulaire, fragmentaire à son film. Ce sont des arabesques d’existence qui s’entremêlent, avec plusieurs rythmes soigneusement travaillés et qui troublent le spectateur certes plongé dans la fiction, mais qui s’interroge tout de même sur le réalisme des faits. Car les thèmes abordés sont à la fois simples et graves. Il y a tant d’émotions, dans ce film. La joie, qui virevolte au cours d’une danse italienne ou le chagrin, refoulé au coin d’une rue de la Grosse Pomme. Gronde aussi la colère, au sein d’une discussion entre deux soeurs dont la fille aînée s’en est allée du cocon familial, laissant derrière elle des parents inquiets, brisés. Et puis, il y a de l’amour aussi. L’amour. Que ce soit les sourires, les regards ou ces clichés de Sophie et du jeune Vadim, les sentiments fleurissent partout. Ils sont là, bien présents. Réels.

Le réalisme de cette fiction est d’ailleurs extrêmement poignant. Les images ne sont plus seulement des images. Elles sont plus que cela. Comme aurait pu l’écrire André Bazin, ce qui est filmé est la chose elle-même. Ainsi, l’enregistrement d’un repas improvisé dans la rue, d’une scène dans un salon de coiffure ou d’un enterrement africain nous font totalement oublier l’écran. Et nous vivons avec les personnages leur destinée. Notre propre chemin se mêle à celui d’Abdoulaye et des autres. Troublant. Emouvant, plus encore.

Des étoiles. Voilà ce que sont tous ces destins et ces êtres qui, par les aléas de l’existence humaine, scintillent dans le jour comme la nuit. Dansent et marchent au gré du mouvement d’un Regard unique, dans un immense ciel d’échanges, de vies et d’humanités.

Mais Dyana Gaye est aussi une étoile. Qui se détache du monde, comme ce film en fait, tout en étant liée au monde. Parce que Des étoiles, c’est un monde – des mondes. Et avant tout, c’est de la Vie.

Noir.

Et générique de fin.

Je suis en larmes. Perles salées roulant sur mes petites joues. Je suis incapable de prononcer le moindre mot, de revenir à la réalité de la salle de cinéma. Tout me paraît irréel, autour de moi – les spectateurs, l’écran désormais livide et les lumières éblouissantes. J’ai profondément été emportée par l’histoire que nous fait partager Dyana Gaye. Et quelle histoire !

C’est un excellent choix qu’a fait Marc Van Maele en ouvrant le festival avec ce film. Véritablement. Car à l’image de celui-ci, Drôle d’endroit pour des rencontres, ce long métrage est justement entrevues, croisements d’existences.

Bilan de ma première journée du festival ? Excellent. Avis à donner à Monsieur Van Maele quant à Des étoiles ? Beau. Je n’arrive pas à dire autre chose, de toute façon. En tous cas, je remercie grandement l’équipe du cinéma les Alizés pour m’avoir fait vivre une séance exceptionnelle et m’avoir accordé de son temps, malgré le planning serré qui l’attend. Et je dis surtout un immense merci à Antoine, le rédacteur en chef d’Angle[s] de vue. Si tu n’avais pas fait ma rencontre, justement, je n’aurais pas pu vivre une si belle séance de cinéma.

Merci.

Toutes les informations sur le film de Dyana Gaye :
http://www.hautetcourt.com/film/fiche/208/des-etoiles

Autre film projeté aujourd’hui dans le cadre de ce festival : Minuscule, la vallée des fourmis perdues