Foisonnement. C’est le mot qui me vient en refermant le très beau livre de Christophe Ono-Dit-Biot, Plonger, couronné par l’Académie française en 2013 en plus de remporter le prix Renaudot des lycéens.
Foisonnement de réminiscences – œuvres d’art, nature, voyage, culture, phénomènes sociaux, biologiques ou physiologiques. Ce qui n’a rien de surprenant quand on apprend que l’auteur a été longtemps reporter pour le journal Le Point dont il est depuis plusieurs années directeur adjoint à la rédaction et responsable des pages Culture.
Plonger s’ouvre sur la mort de Piaz, compagne du narrateur. Elle a été retrouvée sur une plage d’un pays arabe (non identifié). Dans ses affaires, il y avait le nom et l’adresse du narrateur. Pour son fils, prénommé Hector, en hommage à un héros de l’Iliade, l’homme entreprend le récit de leur rencontre et de l’amour qui a présidé à sa conception.
Lui, il est Français. Il travaille pour un magazine d’envergure et carbure à l’adrénaline du scoop, des heures de tombées, de la technologie. Elle, elle est Espagnole, Asturienne plus précisément. De plusieurs années sa cadette, elle est photographe et expose ses premières œuvres dans une petite galerie anonyme. Il aura le coup de foudre, fera tout pour la séduire et pour la garder. Tout, sauf voyager en dehors de l’Europe.
Ses expériences et mésaventure comme reporter ont amené le narrateur à se replier sur l’Europe dont il s’est juré ne plus sortir. Malgré l’insistance de Paz qui, elle, au contraire ne rêve que de voyage en dehors de l’Europe qui l’étouffe. Un enfant naîtra de leur union improbable. Qui n’empêchera pas Paz de tout quitter et de mourir en sol étranger. On le sait dès le début du livre. Comment, et pourquoi, on ne le saura qu’à la fin. Bien sûr.
Plonger nous immerge littéralement dans une vaste réflexion sur l’avenir du monde et sur l’ouverture au monde. Le couple reflète une dichotomie. Lui, c’est la vieille Europe, son passé, sa culture et sa relative sécurité. Elle c’est l’étrangère, le futur, l’ailleurs, la terre dans sa globalité.
Il est abondamment question d’œuvres d’art (sculpture, peinture, photographie, littérature) dont certaines sont merveilleusement décrites par l’auteur – L’Hermaphrodite endormie du Bernin, La Vénus d’Urbin du Titien, L’arche de Noé de Huang Yong Ping. On y parle aussi beaucoup de baleines, de voyage, de cuisine, de paysages, de religion. Foisonnement, vous dis-je. Et tout ça, avec une langue inventive, alerte et belle.
Sur l’avion, le narrateur observe le ciel : « Les nuages flottaient dans le ciel comme des particules de mousse à raser dans un lavabo. On ne voyait pas le rebord de faïence. » Dixit les lieux communs comme les boules de ouates ou l’édredon tiré sur la terre.
Décrivant un personnage antipathique : « Une endive à taille humaine, avec une bouche en fermeture éclair, adorant photographier la laideur contemporaine. »
Ailleurs : « Une plage déserte et large, léchée avec gourmandise par de longs rouleaux d’écume. » Du bonheur à chaque page.
Sans vous révéler la conclusion, Plonger sera la condition pour sortir du repli dont le narrateur est prisonnier et pour retrouver l’autre. Pour la retrouver elle. Pour peut-être se retrouver lui-même.
Ce roman, écrit de manière magistrale, est à la fois intime et d’une actualité brûlante.
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Christophe Ono-Dit-Biot, Plonger, Gallimard, 2013, 444 pages