Vivre avec son monde secret

Publié le 22 janvier 2014 par Raymond Viger

Colin McGregor  prison de Cowansville            Dossier Prison

Un lieu désertique et pauvre où s’entasse près d’un million de gens, coincés derrière des clôtures, où ils vivent dans la misère, sans emploi et souvent désespérés.

Un livre récent à propos d’eux donne la raison de leur survie: la seule manière de tenir le coup, peut-on y lire, est «de se construire un monde secret à l’intérieur», la manière habituelle d’expliquer comment les gens survivent aux situations difficiles de ce genre.

Du prisonnier à l’enfant abusé, en passant par l’étudiant du secondaire qui tente de demeurer éveillé dans une classe intolérablement ennuyeuse, quiconque se trouve coincé dans une situation dont il ne peut se déprendre se crée un «monde secret».

Vivre en société

Dans ce monde, il nous est possible de vivre. Sans lui, nous ne faisons qu’exister. Le monde secret que nous nous créons peut être bon ou mauvais, constructif ou destructif. Richard More, le philosophe d’Oxford, qui fut prisonnier durant la Deuxième Guerre mondiale, dit que ces mondes sont «faits de rien». Nous voyons les résultats de ces mondes secrets tout autour de nous.

L’art résulte en grande partie du monde secret d’une personne. Le sculpteur d’une œuvre que vous admirez lors d’une exposition, l’artiste qui peint un tableau merveilleux ne ressemblent peut-être pas à ce que vous imaginez lorsque vous regardez leurs productions. Ainsi, le peintre d’un skate aux couleurs vibrantes peut être un sexagénaire diabétique. Mais dans son monde secret, il est agile et capable d’une rotation à 720 degrés sur le bord d’une demi-lune.

La réalité de ce monde secret

Les psychologues gagnent bien leur vie à ramasser les dégâts après les crimes. Un voisin pourra répondre aux médias: «On n’aurait jamais cru qu’il puisse faire une chose pareille. Il avait l’air si tranquille.» Mais en examinant son monde secret, on pourrait trouver des indices. Ou peut-être pas.

On ne peut contrôler le monde secret des autres. Mais nous pouvons maîtriser le nôtre. L’espace entre mes deux oreilles m’appartient. Rempli de musique, de littérature, de pensées altruistes et du désir d’aider les autres, cet espace peut devenir un lieu de lumière. Des études montrent que plus on lit de la fiction, plus on devient sensible aux autres. Pourtant, il y a des limites. Je ne peux deviner ce que pense ce brave homme, au bout du corridor, lorsqu’il lave chaque parcelle de sa cellule tous les jours. Que lave-t-il? En prison, on ne peut jamais demander.

Un monde secret en prison

Deux genres de monde secret font souffrir les prisonniers plus que tout. Premièrement, celui de ceux qui vivent dans le passé. Ceux qui parlent du bateau qu’ils possèdent (acheté grâce aux revenus de la cocaïne) ou des gens célèbres qu’ils ont fréquentés, ou des endroits où ils allaient, comme s’ils pouvaient y retourner demain. L’amertume ronge leur âme.

Puis il existe un cachot pire que tous ceux fabriqués par l’homme: celui de ceux qui ont des enfants, qui vivent au présent. Des enfants qui grandissent sans père. Une cellule remplie de photos d’enfants souriants devient ainsi une salle de torture. Une mise à l’écart de l’amour. Gaza est pleine de familles rassemblées, à plusieurs générations dans le même appartement. Leurs mondes secrets leur offrent au moins cela.

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