Menu d’exception chez Taillevent
« Les Cinq de Curnonsky » par Patrick Faus
C’est une idée, puis une envie, qui se transforme en désir et prend forme petit à petit et au fur et à mesure des participants, chacun apportant sa pierre à cet édifice incroyable.
Au départ, les cinq plus grands vins du monde, classés en son temps par Curnonsky.
A l’époque, nous sommes en 1930, Curnonsky (de son vrai nom Maurice Edmond Sailland) est Dieu. Il est le critique gastronomique et culinaire le plus célèbre et le plus respecté de sa génération. Preuve en est que 80 ans plus tard, on parle de lui. De qui parlera t-on encore comme chroniqueur en 2114 ?
Journaliste au Journal et au Matin, il adorait parcourir la France profonde et publiera « La France Gastronomique » en 28 fascicules, « l’Atlas de la gastronomie française », et « Les Fines Gueules de France », entre autres. Curieux de cuisine chinoise, il ira en Chine goûter la version originale. L’homme était capable de faire un aller-retour à Castelnaudary et d’attendre les 14 heures nécessaires pour manger le vrai cassoulet. Angevin d’origine, il a su et voulu rester simple, vivant chichement dans son petit appartement de la place Henri Bergson (place Laborde de son temps), défendant la cuisine bourgeoise et provinciale en s’opposant au « luxe » d’Escoffier et aux noms ronflants des plats pour demander « que les choses aient le goût de ce qu’elles sont ». De l’esprit, une exigence littéraire dans ses écrits, de l’humour, débonnaire, ce bon vivant de 120 kilos et d’1,85 m s’amusait à définir les goûts culinaires des hommes politiques en fonction de leurs opinions. Il disparaît en 1956 en tombant de la fenêtre de son appartement.
Le pari de la maison Taillevent est donc de créer un menu historique, unique et exceptionnel, autour de ces cinq vins. Exercice difficile et délicat sur lequel travaillent Pierre Bérot, directeur du département vins de Taillevent, Jean-Marie Ancher, directeur, et Alain Solivérès, chef des cuisines. Les vins sont dans la cave du restaurant et c’est Pierre Bérot qui a choisi les millésimes proposés aujourd’hui.
De l’entrée au dessert :
Château-Grillet 2005, Neyret-Gachet. Situé dans les vignes de Condrieu, l’appellation est unique par son orientation plein sud qui lui donne un ensoleillement optimal. Pour Pierre Bérot, ce 2005 est « long, racé, et dense, en un mot magnifique. » Alain Solivérès propose un Homard bleu « à la Cardinal » (aux truffes, et nappé d’une sauce blanche au coulis de homard), gratiné, avec truffes noires, épinards, champignons et jambon de Paris.
Savennières, Coulée de Serrant 2004, Clos de la Coulée de Serrant. La minuscule appellation de sept hectares appartenant à Nicolas Joly, pape de la biodynamie, permet au chenin sa meilleure expression. Le chef prépare avec ce chef d’œuvre un Saint-Pierre enveloppé de feuilles d’algues, cuit en pâte de sel, pommes de terres boulangères, coques, moules de Bouchot, sauce au vin blanc et coquillages.
Montrachet Grand Cru Marquis de Laguiche 2002, Joseph Drouhin. Propriété de la famille Drouhin depuis les années 1940, les 2,5 hectares du Marquis de Laguiche donnent un chardonnay absolument unique, surtout en 2002, grand millésime en Bourgogne. Alain Solivérès a pensé à une Poularde de Bresse, farcie truffe et foie gras, fine pâte feuilletée autour, accompagnées de bouchées à la reine aux écrevisses, ailerons de poularde de Bresse, épinards, écrevisses cuites au bain-marie, et sauce suprême crémée au jus de truffes et champignons.
Château-Chalon 2005, Domaine Macle. Un grand domaine, un grand vigneron, un grand vin jaune. Pour l’accompagner, un vieux Comté de 36 mois de chez Bernard Antony.
Château d’Yquem 2003, Sauternes 1er Cru Supérieur. Un vin que l’on ne présente plus sauf pour ce millésime atypique par les chaleurs subies mais qui donnent des parfums incomparables et une fraîcheur sans égale. Sylvain Pétrel, chef pâtissier chez Taillevent, propose une Omelette norvégienne revisitée, avec une génoise, un sorbet mangue-passion, et une couche de meringue flambée.
Alain Solivérès, chef de Taillevent, raconte cette aventure hors du commun…
Quelle est la genèse de cette idée ?
Au départ c’est une idée de Thierry Gardinier (NDLR : propriétaire de Taillevent) et d’un ami journaliste. La difficulté était de créer un menu avec cinq vins blancs. Il fallait des plats qui racontent une histoire. Nous servons également ce repas comme à l’époque avec les torpilleurs en argent, le travail en salle et tout le cérémonial nécessaire. Cela se passe dans un salon particulier du restaurant au premier étage. Nous avons travaillé à partir de certains de ses livres et des encyclopédies pour savoir ce que les gourmets buvaient et avec quels plats. Nous avons toujours voulu mettre le vin en avant mais nous avons travaillé avec les techniques et les cuissons d’aujourd’hui. L’anecdote est que Curnonsky avait sa table chez Taillevent.
Quel est l’accord qui vous a posé le plus de problèmes ?
Franchement, aucun. Tout s’est très bien déroulé avec les équipes et il y a eu quelques détails à peaufiner après les premières dégustations. C’est tout.
Quel est votre accord préféré ?
La poularde de Bresse farcie et le Montrachet Grand Cru.
Vous avez lancé ce menu à fin octobre. Quel retour en avez-vous ? Car il s’agit apparemment du menu le plus cher d’Europe en ce moment…
Nous faisons le menu pour 10 personnes. Deux ont déjà eut lieu. Une société d’une part et une table d’amis d’autre part. Midi ou soir. De plus il faut que les personnes se connaissent et surtout, nous ne pouvons pas ouvrir et servir ces vins pour deux ou trois personnes. C’est passionnant pour un chef de se replonger dans une époque, les livres, les habitudes de travail, qui finalement n’est pas si loin que ça mais qui paraît très lointaine aujourd’hui où tout va très vite.
Comment avez-vous débuté dans cette profession ?
Mon père était charcutier en Algérie et en arrivant en France il a cessé ce travail mais j’aimais toujours les ambiances de cuisine de ma mère et de ma grand-mère qui était maltaise. Donc, une éducation culinaire très méditerranéenne.
Les maisons qui vous ont formé ?
L’Oustau de Baumanière époque du chef Raymond Thuilier, aux Baux-de-Provence. Le Chabichou à Courchevel. Le Negresco à Nice avec Jacques Maximin. Lucas Carton avec Alain Senderens. Surtout Bruno Cirino avec lequel j’ai travaillé quand il était à Biarritz. C’est lui qui a fait ce que je suis aujourd’hui. A Paris, les Elysées Vernet avec mes deux étoiles et je suis arrivé chez Taillevent en 2002.
15, rue Lamennais
75008 Paris
Tél : 01 44 95 15 01
www.taillevent.com
Fermé samedi, dimanche, jours fériés
Menu « Les 5 de Curnonsky » : 1 200 € par personne
Minimum 10 personnes
Réservation à l’avance