[Critique] 12 YEARS A SLAVE
- 22 jan 2014
- Gilles Rolland
- CRITIQUES
- 0 commentaire
Titre original : 12 Years A Slave
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Steve McQueen
Distribution : Chiwetel Ejiofor, Michael Fassbender, Benedict Cumberbatch, Paul Dano, Garrett Dillahunt, Lupita Nyong’o, Paul Giamatti, Scoot McNairy, Brad Pitt, Adepero Oduye, Sarah Paulson, Michael K. Williams…
Genre : Drame/Adaptation/Histoire vraie
Date de sortie : 22 janvier 2014
Le Pitch :
Quelques années avant la Guerre de Sécession aux États-Unis, Solomon Northup, un jeune homme noir, libre, mène une vie paisible, entre sa famille et son travail de violoniste de gala.
Tout bascule lorsqu’il est enlevé par deux hommes et vendu comme esclave en Louisiane. S’ensuivra un long calvaire dans les champs de coton, entre humiliations, torture et travail harassant. Histoire vraie…
La Critique :
C’est après avoir traité la lutte des prisonniers de l’IRA afin d’obtenir un statut à part (avec Hunger) et l’addiction sexuelle (avec Shame), que le réalisateur Steve McQueen aborde l’esclavage à l’occasion de son troisième film. Ayant démontré dès ses débuts, un talent hors-norme à prendre très au sérieux, McQueen confirme à quel point il est à ce jour l’un des cinéastes en activité les plus importants. Intervenant en France, à peu près 1 an après Django Unchained, qui voyait Quentin Tarantino traiter du même sujet par le prisme du western et plus globalement du cinéma de genre, 12 Years A Slave s’attache à l’Histoire. De manière brutale, sans ambage, il retranscrit des faits. Des faits relatés par Solomon Northup, dans son livre, 12 Years A Slave. Un ouvrage rédigé suite à son calvaire dans l’enfer de l’esclavage, alors qu’il fut toute sa vie un homme libre et respecté par la société. Tombé dans l’oubli depuis belle lurette aux yeux du grand public, ce bouquin déclencha chez Steve McQueen un choc si important, qu’il se refusa semble-t-il à céder à de quelconques compromis. Une façon de faire qui ne surprend pas de la part d’un artiste entier, dont les deux précédents longs-métrages traduisaient déjà une intégrité absolument irréprochable et un jusqu’au-boutisme admirable.
On se doutait, de par son sujet, que 12 Years A Slave serait l’œuvre la plus ambitieuse de McQueen. Ambitieuse sur le fond , mais aussi sur la forme car impliquant un travail minutieux de recherche et de reconstitution. Ce qui n’était pas le cas de Hunger et de Shame qui s’apparentaient à des sortes de huis-clos (en prison pour le premier et dans la détresse d’un homme seul pour le second). Ce qui n’enlève rien à leur force évocatrice bien entendu.
Écrit par John Ridley, 12 years A Slave brille tout d’abord par la clarté et l’intelligence de sa structure scénaristique, à la fois simple et complexe. Commençant par quelques allers et retours, le film suit ensuite une progression plus linéaire, pour faire la place à la puissance des faits. C’est la vérité qui prime ici et si le script garde en permanence la nécessité de ne pas trop habiller l’histoire par des fioritures inutiles, il parvient à en sublimer la force évocatrice. Un soucis d’authenticité partagé par le réalisateur qui imprime son style à cette incroyable tragédie (incroyable, dans le mauvais sens du terme, ainsi que le dit le personnage de Brad Pitt dans le film). On a entendu ici ou là que 12 Years A Slave se pliait aux us et coutumes du classicisme à l’Américaine et devenait à l’arrivée le candidat parfait pour les Oscars et toutes les autres cérémonies hivernales du même acabit. Oui, certes, 12 Years A Slave apparaît plus classique dans sa forme que Hunger ou Shame, mais pour l’unique et bonne raison qu’il s’agit là d’un film en costumes qui prend place à un moment clé de l’Histoire des États-Unis. Quand on gratte un peu le vernis de ce classicisme nécessaire (c’est primordial), on s’aperçoit vite que tout ce qui fait l’essence du cinéma de McQueen est bien là.
De quoi se souvenir que c’est à un génie de la mise en scène que nous avons affaire ici. Un type capable de placer des plans séquences virtuoses, de « peindre » des tableaux d’une beauté renversantes et de basculer avec une froideur implacable dans l’horreur pure. À la fois ample et proche de ses personnages, au point de prendre le temps de capter dans les regards des émotions que même les mots auraient bien du mal à exprimer, la réalisation est tout bonnement pertinente.
McQueen est un conteur d’histoires unique. Il plonge ici les mains dans la crasse d’une époque dominée par la sauvagerie d’hommes puissants et sans pitié. Son film retranscrit le périple d’un homme libre qui, petit à petit, se voit privé de toute son humanité. Dans le rôle titre, Chiwetel Ejiofor incarne cette victime et personnifie à la fois l’image de tout un peuple opprimé avec le consentement d’un gouvernement alors en plein débat sur le bien fondé de l’esclavage. Un être humain cultivé qui se voit privé de sa liberté, puis de son humanité. On lui donne un nouveau nom, on étouffe sa voix et ses sentiments, pour au final tenter de faire de lui une sorte de machine incapable de se rebeller, sans repères ni attaches. Une créature tout juste bonne à servir les autres.
Avec tout le charisme et le dévouement qui le caractérisent, Chiwetel Ejiofor rend justice au combat de Solomon Northup. Il se plie sous les coups, mais ne rompt pas. La lumière, aussi fine soit-elle, ne cesse jamais de briller au bout de l’interminable tunnel dans lequel on le garde prisonnier.
Aux côtés des autres esclaves, cet homme autrefois libre est confronté à d’ignobles personnages, cachés derrière une religion qu’ils considèrent comme un parfait alibi à leurs exactions révoltantes.
Michael Fassbender, pour le troisième fois devant la caméra de Steve McQueen, incarne justement ce sentiment de toute puissance et d’impunité propre aux esclavagistes les plus cruels. Son personnage aussi a vraiment existé et encore aujourd’hui, son nom, Epps, est synonyme de cruauté dans la région où il régna en maitre.
Le truc qui fait la différence, c’est que conformément à sa démarche artistique, Michael Fassbender ne fait pas de Epps un simple salopard sans pitié. Au-delà d’une folie glaçante et d’une tendance à la violence à proprement parler hallucinante, l’acteur arrive on ne sait comment à nuancer son personnage. En captant toutes les subtilités du scénario, Fassbender accomplit un nouvel exploit et fait de ce tortionnaire sans pitié, une âme déchirée, complètement paumée, dont la détresse totale et parfois déchirante (c’est aussi ça qui est incroyable) est palpable dans des yeux qui ne sont pas dépourvus d’humanité. Du moins en permanence, ce qui rend le personnage d’autant plus perturbant.
Les scènes où apparaît Fassbender sont les plus difficiles. 12 Years A Slave est un film extrêmement dur. Sans avoir besoin d’en faire des tonnes et de sombrer dans le manichéisme et la complaisance, Steve McQueen livre une œuvre incroyablement sombre et marquante. Bouleversante aussi, tant le chemin de croix de cet homme bafoué et de ceux qui partagent son supplice, est exposé avec une intelligence et une sensibilité incroyables.
Traversé de performances d’acteurs tous irréprochables, dont Paul Dano, une nouvelle fois bien perché et détestable dans sa pathétique méchanceté gratuite et Benedict Cumberbatch, impérial d’ambiguïté, 12 Years A Slave est un monument qui fera date.
Avec courage et sincérité, Steve McQueen réalise un authentique chef-d’œuvre, aidé par tout un contingent d’artistes et de techniciens concernés (sublime lumière de Sean Bobbitt), dont Brad Pitt, impeccable devant la caméra, mais aussi et surtout producteur sans qui le projet n’aurait jamais vu le jour.
Il convient aussi de saluer la performance de Lupita Nyong’o dans un rôle difficile. Débutante, elle tourne ici son premier film et donne aussi, par son talent et son engagement, un visage à la souffrance d’un peuple martyrisé par la folie.
Au final, on ressort secoué de 12 Years A Slave. Le miroir que Steve McQueen nous tend n’a rien de déformant. Sans nous faire la leçon, il ne fait que raconter une histoire tragiquement vraie. Sans artifice il dépeint l’épisode terrible d’un homme né dans un monde où de nombreux êtres humains cèdent leur âme par facilité et appât du gain. À l’image de ce vendeur d’esclaves, incarné par Paul Giamatti, qui répond à une personne qui l’accuse de vouloir séparer une mère de ses enfants, que la taille de son cœur n’excède pas celle d’une pièce de monnaie. La vérité n’est peut-être pas toujours agréable, mais elle est nécessaire. 12 Years A Slave est un film admirable. Déchirant, bouleversant et nécessaire.
@ Gilles Rolland