La poésie est ce qui touche au concret, s'y engage, et, dans son vœu le plus constant, voudrait même s'y perdre, comme il apparaît clairement dans l'image, son mode d'expression spécifique.
La plupart de ceux qui se disent poètes ne font que pratiquer un genre littéraire bien distinct, (...) mais qui souvent n'est pour eux qu'une chance douteuse, où menace l'arbitraire, un hermétisme de confusion.
Au surplus, la poésie comme genre littéraire devient bientôt discours au sein même du poème (...) A mon avis, la poésie ne peut que se défaire dans le discours.
En bref, je me méfie de la poésie comme genre...
La poésie n'est pas un genre. Le poème n'est son lieu que par convention, où elle s'avoue et souvent bien imprudemment se déclare.
La poésie, pour moi, n'a pas de lieu prescriptible. Elle se lève et peut se lever partout où il y a un dire, en est l'imprévisible élan. D'autant plus poésie que moins elle se déclare et dit : c'est moi. Elle est l'âme de la prose, l'humus profond qui la sustente, lui donne son rythme, ses couleurs, ses images.
J'aime dans le concept son souci de clarté et d'ordre. Lui seul peut prévenir la poésie écrite d'être arbitraire, pure effusion incontrôlée. Mais le concept reste devant ce dont il est concept, dans une distance malheureuse et qui lui fait envier la belle fusion de l'approche poétique au sein du réel (...) Je sais l'apport du concept, mais ne peux me satisfaire de sa distance : à la limite, (il conviendrait de) traiter poétiquement les concepts.
La poésie met fin à la distance.
Que serait donc, idéalement, la parole poétique?
Celle qui ferait, dans la sobriété qui est le propre de la pensée nue, sa place au chant.
Peut-être même n'est-il pas de pensée accomplie sans un certain chant, celui des profondeurs, mental, parfois déjà affleurant dans le dire...
Roger Munier, extraits de Sauf-conduit, Lettres vives, 1999
[choix de Thierry Martin-Scherrer]