« On ne se méfie jamais assez de son passé. » ("Nouvel Ouest", mars
2000).
Seconde partie.
Olivier Guichard, qui a disparu il y a exactement dix ans, fut l’un des hommes politiques les plus fidèles du Général De
Gaulle. Ministre et élu au long cours, il a soutenu la candidature malheureuse de Jacques Chaban-Delmas
en 1974.
Le légitimisme en politique
Très étrangement, la situation des clivages internes à la majorité giscardo-gaulliste s’est par la suite
inversée : après la démission avec fracas de Jacques Chirac de Matignon en été 1976 qui allait mener pendant cinq années sa guerre de tranchées contre le pouvoir giscardien, Valéry Giscard
d’Estaing s’était rapproché des barons gaullistes pour endiguer la véhémence chiraquienne. C’est comme cela que Jacques Chaban-Delmas a été élu au perchoir en mars 1978 grâce aux voix UDF contre le sortant Edgar Faure soutenu par le RPR.
Entre 1976 et 1981, Olivier Guichard faisait donc figure, au même titre que Robert Boulin et Alain Peyrefitte, de
premier-ministrable, la personnalité RPR incontestable proche du giscardisme (par légitimisme) qui aurait pu réduire les prétentions de Jacques Chirac.
Le 28 août 1976, Michèle Cotta notait ainsi dans ses Cahiers : « Je dis que [ces barons] ne sont pas mécontents [du] départ de [Chirac de Matignon]. Olivier Guichard est-il le nouveau "coordinateur" ? [Yves] Guéna
sourit : "Coordinateur, c’est un mot chargé désormais de maléfices ; il aura un rôle politique, sans coordonner quoi que ce soit". ».
Olivier Guichard fut en effet nommé Ministre d’État, Ministre de la Justice dans le premier gouvernement de
Raymond Barre, du 27 août 1976 au 29 mars 1977, succédant à Jean Lecanuet. Sa présence très politique avait pour objectif d’assagir le RPR mais cette stratégie giscardienne n’a pas été
couronnée de succès.
Amertume postgiscardienne
Après le premier tour des élections municipales et la victoire de Jacques Chirac à Paris, Michèle Cotta
écrivait le 14 mars 1977 dans ses cahiers : « [Philippe Moret, conseiller politique de Guichard] croit savoir que Giscard prévoit un remaniement
ministériel après les élections municipales, toujours dans le but de "dégager" ce qu’il appelle les "mauvais" ministres. Dont, sans doute, Olivier Guichard à ses yeux fait partie. Raymond Barre,
lui, serait très hostile à ce remaniement. ». Et Michèle Cotta de conclure : « Le ton a changé : Chirac aurait-il gagné aussi
chez les barons ? ».
Le 30 mars 1977, Michèle Cotta faisait état d’une conversation « avec Olivier Guichard, notamment, qui venait de recevoir la lettre de Raymond Barre lui notifiant son éviction du futur gouvernement. Il est un peu écœuré,
tout en sachant qu’il n’est pas arrivé à faire ce pour quoi il était entré au gouvernement, c’est-à-dire contenir Chirac. Au reste, comment quelqu’un a-t-il pu penser que Guichard, avec sa
placidité et son bon sens, son expérience aussi, parviendrait-il à contenir ce cheval échappé ? Il n’a peut-être pas servi à cela, mais il a découvert à cette occasion, me dit-il, qu’il
était impossible de gouverner avec Giscard, "à la fois macro et micro-interventionniste", auquel il n’a jamais vraiment pu parler. ».
Le fidèle lieutenant giscardien Michel Poniatowski a confirmé auprès de Michèle Cotta le 20 mai 1981, juste
après l’échec présidentiel, ce type de constat : « Giscard a usé du monde sans prendre beaucoup de précaution : Lecanuet, Guichard, et même
Alexandre de Marenches. (…) Il en a usé sans témoigner de rien. Ce qui me choque, c’est le gâchis des hommes ! Il est vrai que c’est une mécanique horriblement compliquée. Il y a des aspects
très contradictoires, chez lui ! ».
Se confiant à Michèle Cotta le 20 décembre 1977, Olivier Guichard ruminait encore son éviction :
« Après tout, si les ministres politiques [lui, Ponia, Lecanuet] ont sauté, s’ils ont été vidés du deuxième gouvernement Barre, c’était pour que le
gouvernement soit autonome vis-à-vis des partis, et que ceux-ci conduisent eux-mêmes leurs électeurs en dehors du gouvernement. Alors, pourquoi Barre irait-il maintenant conduire la campagne des
législatives [de mars 1978] ? ».
En 1977, il laissa donc son portefeuille à Alain Peyrefitte et ne remit plus jamais les pieds dans la salle
du conseil des ministres. Il fut nommé ensuite au Conseil d’État en 1978.
Contenir Chirac
Pendant la fin du septennat giscardien, Olivier Guichard s’était opposé au comportement très arrogant de
Jacques Chirac. Au cours d’un dîner avec lui, le 11 avril 1978, Michèle Cotta précisait : « [Guichard] est accablé, littéralement, par la dérive
du RPR chiraquien. Au fond, il n’a jamais aimé Chirac, dont tout sépare. Pas seulement la conception du gaullisme, mais la conception de la politique elle-même. L’activisme de Chirac l’exaspère,
ses conseillers aussi, et surtout le ton personnel, revanchard, sur lequel se passe ce règlement de comptes, qu’il juge inutile, entre Chirac et Chaban. ».
Olivier Guichard s’était opposé à la constitution d’une liste RPR aux élections européennes du 7 juin 1979. À
ceux qui disaient que Jacques Chirac a présenté cette liste pour sauver le gaullisme, Olivier Guichard rétorquait : « Quand on fait moins de 16%
des voix, on ne sauve rien ! » (26 septembre 1979).
Un peu avant, le 4 avril 1979, devant Michèle Cotta, Olivier Guichard s’était montré toujours très agacé par
Jacques Chirac : « Je n’ai pris position contre [Chirac] qu’une fois : après l’appel de Cochin, le 6 décembre [1978]. Lorsque je suis
intervenu au comité central [du RPR] sur les problèmes européens, un peu avant, mes propos ont été applaudis par la plupart des parlementaires et accueillis par des hurlements de rage par le
service d’ordre. Alors, forcément, je me suis un peu lassé… (…) Je ne vois pas d’inconvénient à ce que Jacques Chirac poursuive son aventure politique personnelle. Mais voilà : la baptiser
comme étant gaulliste, je trouve cela scandaleux. Et, aujourd’hui, j’ai l’intention de continuer à dire ce que je pense. J’en suis même à envisager de quitter le RPR ! ».
Et Michèle Cotta poursuivit ainsi son récit quasiment prémonitoire : « Toujours aussi aigu, aussi fin analyste que son apparence est lourde, Guichard va plus loin : "Quand Chirac dit, comme il le fait en ce moment :
Giscard sera battu, il dit en réalité : je le ferai battre. Il finira par le faire, tout le monde le sait ! (…) Toute tragédie commence quand les héros, emportés par leurs passions,
deviennent aveugles et sourds." ».
En 1981, comme d’autres gaullistes légitimistes, très hostiles à la candidature de Jacques Chirac, il a
soutenu Valéry Giscard d’Estaing à l’élection présidentielle dès le premier tour.
Durant les vingt dernières années de sa vie politique, Olivier Guichard se consacra à son fief, la région des
Pays de la Loire et sa ville de La Baule où il a favorisé le tourisme de haut niveau. Le 27 juillet 1990, il épousa en secondes noces (il était veuf) la journaliste Daisy de Galard née de
Gourcuff (1929-2007) qui avait été nommée membre de la CNCL (Commission nationale de la communication et des libertés) en 1986 par Jacques Chaban-Delmas en même temps que Jacqueline Baudrier, et reconduite membre du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) en 1989 (jusqu’en 1995) par Alain Poher.
De Gaulle avant tout
Olivier Guichard prit sa retraite de maire en 1995, de parlementaire en 1997 et de président de conseil
régional en 1998. Il se consacra à la rédaction de deux livres sur le gaullisme publiés en 1999 ("Du particulier au général" et "Vingt ans en 40") avant de s’éteindre cinq années plus tard.
Plusieurs années avant, Olivier Guichard avait déjà rédigé un livre sur De Gaulle ("Mon Général", en 1980),
et Michèle Cotta dans ses Cahiers a détaillé le 24 avril 1980 ce qu’en disait l’auteur : « Il y a
travaillé trois ans en se retirant quelques heures par jour dans un endroit où personne n’a jamais eu l’idée de le chercher : dans son bureau de l’Assemblée Nationale. (…) Il faut dire
qu’ils [De Gaulle et Guichard] ont vécu tous les deux à peu près seuls rue de Solferino, en 1947, quand tout le monde commençait à leur tourner le dos. ».
Olivier Guichard avait décelé chez De Gaulle une "faille" en 1968. Ses ministres ne lui "obéissaient"
plus : « Il s’est senti privé de ses courroies de transmission. Il a voulu établir un contact personnel direct avec les Français, le 24 mai
[1968], et cela a été une catastrophe. Puis il a voulu en sortir par un référendum, et son idée a fait fiasco. Après les législatives, qu’il n’avait pas voulues et qui ont néanmoins été un
triomphe, il est revenu à son idée de référendum, et il s’est cassé la gueule. Personne n’a essayé de le retenir vraiment, et d’ailleurs, personne n’aurait pu le faire. ».
Et Michèle Cotta de conclure, sur Olivier Guichard lui-même : « Il parle à cette époque déjà ancienne avec une sorte de désolation. Peut-être pense-t-il à tout ce qu’il a fait aux côtés du Général, et surtout à ce qu’il
n’a pas fait : être son Premier Ministre. À un moment de la conversation où il commence à parler de sa carrière à lui, Olivier Guichard, il s’arrête, soupire et me confie dans un élan :
"Finalement, je tiens davantage au Général qu’à moi !". Je ne sais pas pourquoi, je ne doute pas de sa sincérité. ».
Grognard grognon
Grognard fidèle de la légende gaullienne, Olivier Guichard avait eu de quoi soupirer pendant tous ces années
après le départ de De Gaulle : Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand,
Jacques Chirac. Il aurait sans doute soupirer davantage s’il avait vécu encore un peu plus longtemps avec Nicolas Sarkozy et François Hollande…
Aussi sur le
blog.
Sylvain
Rakotoarison (20 janvier 2014)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Les héritiers du
gaullisme.
"Cahiers secrets de la Ve République" par Michèle Cotta (éd.
Fayard).
Charles De Gaulle.
Michel
Debré.
Georges Pompidou.
Alain
Poher.
Jacques Chaban-Delmas.
Pierre
Messmer.
Valéry Giscard d’Estaing.
Jacques
Chirac.
Raymond Barre.
Alain
Peyrefitte.
Jean Lecanuet.
Edgar
Faure.
Roger Galley.
Jean-Marcel
Jeanneney.
Jean Foyer.
Robert
Boulin.
François
Fillon.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/olivier-guichard-1920-2004-le-146594