La technique d'«astroturf» consiste pour l’entreprise à «utiliser comme façades crédibles des tierces parties qui viennent sur la place publique défendre sa position». La notion d'astroturf reste cependant assez complexe à définir précisément, puisque qu'elle dépend essentiellement de la manière dont l'entreprise qui en bénéficie l'utilise, et des moyens opérés dans sa mise en œuvre. Astroturf vient du nom de l'entreprise Astro Turf qui vend du gazon synthétique servant à recouvrer les terrains sportif. La première fois que ce terme fut employé ce fut par le sénateur Lloyd Bentsen en 1985 qui l'aurait utilisé pour décrire une campagne d’influence qui n’avait de convenable que l’apparence.
Mais d'autres noms sont utilisés comme «fronts groups» ou «groupes de pression». Certains opposent ces groupes aux grassroots, lesquels sont des groupes de citoyens légitimes. Le terme de sockpuppeting est aussi utilisé pour spécifier cette activité sur l'Internet où une entreprise se fait passer pour un citoyen pour défendre son produit.
Les astroturfs du tabac aux États-Unis. Pourquoi ce procédé, les entreprises concernées par ces techniques, les méthodes utilisées, les polémiques, et le véritable impact.
Les industries du tabac aux États-Unis ont depuis les années 1950 et même avant, eu des problèmes de légitimité, ou du moins d'image vis-à-vis des effets néfastes de leurs produits. Ils ont toujours engagés des scientifiques et des agents de communication, pour se défendre. Mais face à des lois de plus en plus restrictives cela est devenu plus compliqué. Il devient désormais délicat de s'engager dans cette démarche, puisque le tabac est de moins en moins bien considéré. Plusieurs options se présentent alors, se servir du lobbying auprès des politiques, influencer les médias. Mais ces positions sont extrêmement mal perçues et ternissent encore plus l'image de ces groupes. En 1995 le Lobbying Disclosure Act oblige les lobbyistes à s'enregistrer auprès du congrès, à déclarer les actions menées, et à donner l'identité des personnes approchées. Il s'agit alors de trouver une possibilité d'influence plus discrète mais tout aussi efficace. La notion d'astroturf fait alors naturellement son apparition. Depuis les années 1980, il est courant que certaines entreprises fassent la promotion du tabac, ou que des groupes de citoyens se soient créées aussi dans ce sens, appelés par exemple groupes de défense des droits des fumeurs.
Les entreprises ou groupes concernés par ces techniques sont nombreuses: il y a des groupes spécifiés dans ce domaine, et des groupes qui ont un centre d'activité bien différent mais qui font la promotion du tabac. Dans les groupes spécifiés le plus connu est le Center For Consumer Freedom dirigé par Richard Berman fondé en 1996. Ce groupe ne défend pas que le tabac mais est spécialisé dans la défense des consommateurs the Center for Consumer Freedom is a nonprofit organization devoted to promoting personal responsibility and protecting consumer choices. We believe that the consumer is King. And Queen. Mais le groupe qui a clairement défendu la consommation de tabac est la National Smoker's Alliance (NSA) fondée en 1993 qui se décrivait comme une association de consommateurs défendant les droits des fumeurs et s'opposant aux lois anti-tabac.
Ce sont les deux principaux groupes qui ont fait parler d'eux à ce sujet, il y en a bien d'autres, comme Get Government Off Our Back.
Concernant les groupes non-spécialisés les plus influents sont les associations du secteur de l'hôtellerie. Les grandes industries du tabac ont effectués des accords avec elles. Les groupes de restauration font la promotion du tabac et en échange les industries en question promettent aux restaurateurs des clients, ceci en les aidant au conseil et à l'acquisition de ventilateurs et de procédés de ventilations évacuant la fumée. Ces sociétés sont notamment HoReCA – l’association internationale des hôtels, restaurants et cafés, IHA – l'association internationale de l'hôtellerie (rebaptisée plus tard International Hotel and Restaurant Association) Il s'agit bien d'astroturfs dans la mesure où ils ne représentent pas la défense du consommateur mais leurs propres intérêts.
Les astroturfs utilisent plusieurs méthodes. Elles influencent directement le citoyen à une certaine image du tabac. La communication est assez frontale, elle n'est pas faite pour être discrète. En revanche ce qui l'est, et ce qui est plus délicat, est le lien entre les industries du tabac et les astroturfs, comment le lien s'établit, et comment il est couvert. Une astroturf est astroturf dans la mesure où elle se prétend représentante des citoyens alors que ce n'est pas le cas, le principe de l'activité est la mise avant d'une certaine vision de la réalité, il faut savoir comment elle se propage. Et comment les industries du tabac parviennent à sortir de rien des astroturfs ou à convaincre des entreprises de le devenir.
Pour reprendre les groupes cités plus haut, il y a Center For Consumer Freedom (CCF). Il se prétend association de consommateurs. Cette société est dirigée par Richard Berman, qui s'occupe aussi d'une société de relations publiques travaillant pour… l'industrie du tabac, ainsi que des chaînes d’hôtellerie. En liant les deux, il a donc organisé des campagnes avec CCF contre les projets de loi interdisant de fumer dans les restaurants, bars, et hôtels. Cette première donnée invite déjà à réfléchir sur la recherche de représentativité des citoyens dans cette action, où l'intérêt de Berman. Mais le plus intéressant est le fait qu'il ait reçu plusieurs fois de grosses sommes d'argent provenant de Philip Morris…
Les industries du tabac ont toujours entretenus de grands liens avec les entreprises d'hôtellerie. Les raisons peuvent être liées à la connivence des produits et services proposés, et donc à la logique d'alliance entre les deux. Surtout parce qu'ayant mauvaise presse le tabac a besoin de l'aide des compagnies de bars et hôtels, et celles-ci peuvent aussi avoir des gains intéressants en s'associant avec des sociétés qui vendent des produits fortement consommés par ses propres clients.
Un document de la British-American Tobacco Company décrit sa proposition:
By introducing filtration systems (at their or our own expense )smoking and non-smoking customers can more easily socialise in the better quality air – indeed such systems may help to increase the number of customers overall. The 'penalty' that the restaurant owner may have to bear could be exclusive trade marketing for our own brands.
Les pratiques d'astroturfing sont considérés par certains comme nécessaires, pour d'autres elle est néfaste aux pratiques commerciales et parfois contraire à la loi.
Concernant l'impact des astroturfs du tabac aux États-Unis: les astroturfs sont devenus les complémentaires des lobbies officiels. Ceux-ci émettent des messages clairs, ou influencent directement les politiques. Alors que les astroturfs pratiquent une influence plus axée sur les citoyens eux-mêmes. Quand les lobbies s’occupent de négocier les réglementations, les astroturfs se chargent de pousser les citoyens à consommer.
L'influence des astroturfs ne peut pas être mesurée avec précision de manière quantitative, puisque si les changements de lois sont clairement identifiables, l'impact de ces entreprises sur les consommateurs n'a pas toujours de conséquence nécessaire. Seuls les liens entre les astroturfs et les industries du tabac sont une preuve de leurs actions et montre l'importance de leur impact.
Que ce soit les lobbies ou les astroturfs, ils sont liés aux industries du tabac par des intérêts économiques. Ces industries, principalement Philip Morris, ont fait en sorte d'avoir toujours à disposition des groupes de pression afin d'assurer la continuité de leur chiffre d'affaire. Pourtant les astroturfs peuvent retire un bénéfice au-delà de ce seul secteur spécifique. Alors pourquoi sont-ils si prompts à s'y engager ? Il est possible que ces groupes bien que financés par les industries du tabac aient aussi des objectifs multiples, voire différents. Les astroturfs cherchent à garder la mainmise sur l'opinion publique en l'influençant, voire en la manipulant. Nous sommes d’avis que la montée de ces groupes peut nous donner des indications claires sur l’état de nos médias et de notre espace public (…) Il semble que les astroturfs soient de parfaits exemples du dérapage que permettent des transformations indésirables de notre espace public. L'auteur de ces considérations s'inquiète du fait que les astroturfs soient une insulte à la «démocratie » de l'espace public.
Mais au-delà du débat sur l'éthique des astroturfs, le fait qu'ils aient autant d'influence, signifie que leur intérêt est au-delà des produits qu'ils recommandent, ici le tabac. Les astroturfs sont bien nés de la libéralisation des échanges et des procédés de communication et d'influence, concomitants de l'émergence de la société de l'information. Ces groupes, industries du tabac et astroturfs du tabac sont liés non seulement par leur activité complémentaire, mais aussi par le fait qu'ils ont des stratégies de puissance qui dépassent leur simple secteur d'activité. Ainsi le domaine politique et l'influence se surajoutent au tabac. Le Tea Party par exemple est connu pour être né et financé par les industries du tabac. Ainsi certains ont tentés de représenter les liens politiques, économiques, et financiers qui unissent les industries du tabac et d'autres secteurs d'activité avec le Tea Party et d'autres secteurs décisionnels.
Dans cette configuration l'impact des astroturfs du tabac aux États-Unis est à la fois économique, mais aussi sociétal et politique. Dans le monde de l'information, les astroturfs du tabac sont une arme précieuse dans les stratégies qui se jouent aux États-Unis à différents niveaux opérationnels.
Paul DABEZIES