« L’ultra-libéralisme » en amour
Publié Par Lucien Oulahbib, le 22 janvier 2014 dans Sujets de sociétéLes mêmes qui font leur fonds de commerce dans la critique acerbe du « marché » comparé à une « jungle sauvage » n’ont de cesse d’exiger de pouvoir « licencier » l’amour déchu.
Par Lucien S. Oulahbib.
Les mêmes qui font leur fonds de commerce dans la critique acerbe du « marché » comparé à une « jungle sauvage » n’ont de cesse d’exiger de pouvoir « licencier » l’amour déchu, et même sans indemnités lorsque l’on n’est pas marié ; d’où l’idée que le contrat n’est pas en fin de compte mauvais même là où il était interdit d’interdire. La loi, la loi, la loi, dans la production, la prévention, le principe de précaution, partout ; sauf en « amour ». La suspicion à tous les étages lorsqu’il s’agit de la liberté d’entreprendre et aussi de penser : ainsi les penseurs dits « libéraux » sont à l’Index à l’Université ou alors réduits à quelques poncifs. Carl Menger de l’école autrichienne est par exemple présenté comme un « essentialiste » parce qu’il prétend qu’aucune instance politique peut se vanter d’avoir créé le marché, Walras est moqué parce qu’il prétend penser dans les conditions d’une « concurrence pure et parfaite »… mais jamais sera expliqué pourquoi l’économie socialiste a échoué ou s’est recyclée dans la réhabilitation du marché comme en Chine. Jamais.
Vous entendrez plutôt un Frédéric Taddéi sur Europe 1 (et ses invités) indiquer que jamais l’amour fut aussi libre que dans la Russie soviétique entre 1917 et 1932 (avant que le méchant Staline ne sévisse bien sûr, cause de tous les maux) alors que dans la même période la chasse au dissident politique et économique s’organisait jusqu’à finir par l’extermination des « koulaks en tant que classe » à partir de 1928. Mieux vaut ainsi enseigner Sade relu par Foucault, Masoch et Deleuze, que Von Mises et Hayek catalogués pratiquement d’auteurs sulfureux à ne pas mettre entre toutes les mains sans moult précautions grâce aux préfixes « ultra » et aujourd’hui « néo » libéral.
En revanche, en « amour » – et ce à l’opposé de sa définition populaire qui a toujours été liée à l’idée de l’amour courtois, à savoir le fait que non seulement le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas mais aussi que la fidélité, la vérité, sont les conditions indispensables pour l’amour qui se distingue de la passade, de la passion physique – il s’avère que depuis l’émergence du second romantisme (qui a opposé vérité et passion tel un Rilke, puis Blanchot, Bataille, les maîtres de Foucault, Deleuze, Lyotard…), ensuite du communisme, enfin de l’existentialisme, l’amour a été de nouveau cassé en deux.
Il affiche de plus en plus désormais la vieille conception paganiste, barbare, que l’aristocratie véhiculait encore, celle de la vie amoureuse écartelée : l’une, officielle, pour la reproduction assurant la filiation, l’autre, officieuse, celle du harem et des courtisanes.
Or, dans cet amour courtois qui permettait de suppléer ou de faire fi du manque de pouvoir et de richesses, l’objet aimé devient tressé de toutes les valeurs, il ne peut donc être trompé sans toutes les discréditer. Il est possible, certes, de se tromper d’objet d’amour et de prendre pour un amour durable ce qui n’est qu’un béguin, quand bien même son foudroiement. Mais dans ce cas, il faut au moins avoir la franchise de le dire. L’amour aristocrate et bourgeois se caractérisait plutôt dans le fait de le cacher. Sans doute aussi parce qu’il n’était pas possible de divorcer du point de vue de l’Église. D’où le divorce comme revendication révolutionnaire. Et populaire. Même s’il était très difficile de refaire sa vie en milieu modeste. Cependant, dans l’ensemble, la fidélité est bien plus présente, pas seulement forcée, y compris sentimentalement, parmi le peuple que dans les classes dites éclairées qui s’imaginent plus évoluées lorsque l’on se sent libre comme l’air à « s’émanciper » de femme et d’enfants pour « renaître » à chaque nouvelle passion qui donne l’impression de courir et de rire avec les dieux, comme un cheval fou, sous les cascades cristallines.
Pourquoi parler de tout cela maintenant ? Parce qu’une femme est en train de souffrir d’avoir été trompée. « Qu’elle prenne du Prosac » conseilleront sans doute celles et ceux qui admettent cet ultra-libéralisme-là. Celui-ci est tel d’ailleurs que l’idée même de « couple » est sujet à caution, l’intérêt étant d’observer dans cette « éthique du nihilisme » qui est avec qui et non pas pourquoi. Le cadre esthétique du porno prévaut de plus en plus en réalité (comme l’avait bien vu Jean Baudrillard) : le couple est admis, mais seulement au moment de l’acte ; et encore, car pour les adeptes de l’échangisme généralisé (euphémisme pour l’idée de partouze), le « couple éphémère » est devenu la norme dans certains milieux y compris officiels ; il n’est pas rare dans certaines soirées que cela se saute dessus sans retenue et devant tout le monde ; le couple éphémère comme « installation » au sens de l’art contemporain, où l’on « s’installe » provisoirement dans tous les sens du terme, y compris dans un appartement chargé d’histoire, rue du Cirque, l’on se croirait dans un film de Claude Sautet. Mais dire quelque chose apparaît « ringard » voire « d’extrême-droite » bien sûr, ce qui est hilarant lorsque l’on a vu le film de Pasolini Salô ou les 120 jours de Sodome montrant les ébats de l’élite fasciste de l’époque.
Aujourd’hui le fascisme, c’est toujours l’autre, et la génération des années soixante n’a fait en réalité que renouer avec la conception paganiste de l’amour pseudo-romantique drainée par les élites aristocrates et bourgeoises en vogue dans « les eaux glacées de leurs intérêts égoïstes » pour parler comme Marx.
Il ne s’agit donc pas seulement de se gausser comme le fait Zemmour (sur RTL) en soulignant que Hollande au fond renoue avec cette tradition, il s’agit aussi de souligner qu’il pratique en privé ce qu’il condamne en public : la relation kleenex des « licenciements boursiers ». Le tout sans compassion. Sinon le « care » de la pilule, amère, antidépresseur remboursé (de moins en moins) par la sécu. Ainsi tout va pour le mieux, madame la Marquise.
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