Quatrième de couverture :Le monde a tellement changé que les jeunes doivent tout réinventer. Nos sociétés occidentales ont déjà vécu deux révolutions : le passage de l'oral à l'écrit, puis de l'écrit à l'imprimé. Comme chacune des précédentes, la troisième, tout aussi décisive, s'accompagne de mutations politiques, sociales et cognitives. Ce sont des périodes de crises. De l'essor des nouvelles technologies, un nouvel humain est né : Michel Serres le baptise «Petite Poucette» - clin d'oeil à la maestria avec laquelle les messages fusent de ses pouces. Petite Poucette va devoir réinventer une manière de vivre ensemble, des institutions, une manière d'être et de connaître... Débute une nouvelle ère qui verra la victoire de la multitude, anonyme, sur les élites dirigeantes, bien identifiées ; du savoir discuté sur les doctrines enseignées ; d'une société immatérielle librement connectée sur la société du spectacle à sens unique...
Ce livre propose à Petite Poucette une collaboration entre générations pour mettre en oeuvre cette utopie, seule réalité possible.
A l'origine de ce livre, un discours prononcé à l'Académie française en 2011, qui a été très largement diffusé, tout d'abord par la publication d'un extrait le lendemain dans «Le Monde», repris par un article dans «Le Figaro» puis d'un grand mouvement sur Internet...
Extrait Nouveautés
Ce nouvel écolier, cette jeune étudiante n'a jamais vu veau, vache, cochon ni couvée. En 1900, la majorité des humains, sur la planète, travaillait au labour et à la pâture ; en 2011 et comme les pays analogues, la France ne compte plus que un pour cent de paysans. Sans doute faut-il voir là une des plus fortes ruptures de l'histoire depuis le néolithique. Jadis référée aux pratiques géorgiques, nos cultures, soudain, changèrent. Reste que, sur la planète, nous mangeons encore de la terre. Celle ou celui que je vous présente ne vit plus en compagnie des animaux, n'habite plus la même terre, n'a plus le même rapport au monde. Elle ou il n'admire qu'une nature arcadienne, celle du loisir ou du tourisme.
Il habite la ville. Ses prédécesseurs immédiats, pour plus de la moitié, hantaient les champs. Mais, devenu sensible à l'environnement, il polluera moins, prudent et respectueux, que nous autres, adultes inconscients et narcisses. Il n'a plus la même vie physique, ni le même monde en nombre, la démographie ayant soudain, pendant la durée d'une seule vie humaine, bondi de deux vers sept milliards d'humains ; il habite un monde plein.
Ici, son espérance de vie va vers quatre-vingts ans. Le jour de leur mariage, ses arrière-grands-parents s'étaient juré fidélité pour une décennie à peine. Qu'il et elle envisagent de vivre ensemble, vont-ils jurer de même pour soixante-cinq ans ? Leurs parents héritèrent vers la trentaine, ils attendront la vieillesse pour recevoir ce legs. Ils ne connaissent plus les mêmes âges, ni le même mariage ni la même transmission de biens. Partant pour la guerre, fleur au fusil, leurs parents offraient à la patrie une espérance de vie brève; y courront-ils de même avec, devant eux, la promesse de six décennies ?
Depuis soixante ans, intervalle unique dans l'histoire occidentale, il ni elle n'ont jamais connu de guerre, ni bientôt leurs dirigeants ni leurs enseignants. Bénéficiant d'une médecine enfin efficace et, en pharmacie, d'antalgiques et d'anesthésiques, ils ont moins souffert, statistiquement parlant, que leurs prédécesseurs. Ont-ils eu faim ? Or, religieuse ou laïque, toute morale se résumait en des exercices destinés à supporter une douleur inévitable et quotidienne : maladie, famine, cruauté du monde. Ils n'ont plus le même corps ni la même conduite; aucun adulte ne sut leur inspirer une morale adaptée.
Alors que leurs parents furent conçus à l'aveuglette, leur naissance est programmée. Comme, pour le premier enfant, l'âge moyen de la mère a progressé de dix à quinze ans, les parents d'élèves ont changé de génération. Pour plus de la moitié, ces parents ont divorcé. Ont-ils laissé leurs enfants ? Il ni elle n'ont plus la même généalogie.