Irak, Libye, Syrie et la longue ombre de l’interventionnisme américain.
Publié Par Reason, le 21 janvier 2014 dans Moyen OrientComme dans les années 2000 à 2010. Falloujah en Irak, est à nouveau au centre de la violence politique dans ce pays. Au cours du week-end, la ville est tombée aux mains d’Al-Qaïda.
Par Ed Krayewski depuis les États-Unis.
Article publié initialement par Reason Magazine.
Mais tandis que le retrait des troupes de combat américaines du pays en décembre 2011 a marqué la fin de la guerre américaine sur ce territoire, il n’a pas, et ne pouvait pas, marquer la fin de l’influence de la guerre sur les événements postérieurs en Irak. Au contraire, ce qui se passe en Irak suit la fin de cette guerre, pas seulement chronologiquement mais par voie de conséquence. C’est l’héritage de l’interventionnisme en matière de politique étrangère par les actes, et un modèle à partir duquel les contours de l’interventionnisme américain futur peuvent être dessinés.
La dernière insurrection à laquelle l’Irak a été confronté remonte à 2006. Puis, à sa suite, le pays fut au bord de la guerre civile. George W. Bush avait répondu au « coup » porté par les élections de mi-mandat aux USA cette année-là, les résultats étant en partie causés par la détérioration de la situation en Irak, en envoyant une vague supplémentaire de troupe comptant plus de 20.000 bottes déployées sur le terrain en 2007. Cette poussée, comme le concomitant « réveil d’Anbar » qui était une réaction des sunnites à la tactique d’Al-Qaïda dans le pays, a été suivie par une diminution de la violence à la fin de 2007 et en 2008 que les dirigeants militaires américains n’avaient pas tardé à mettre à leur crédit. Indépendamment de savoir dans quelle mesure l’action américaine avait influencé cette régression de la violence, cette accalmie créait l’espace de négociation entre les États-Unis et l’Irak pour aboutir à un accord sur le statut des forces qui verrait la fin des opérations de combat américaines en Irak. Le président Obama a essayé, et a échoué, à fixer un délai de retrait des troupes, voulant laisser une force résiduelle de 10 000 hommes, une position partagée par la plupart des républicains qui ont rivalisé et voulaient battre Obama durant les élections de 2012.
Pourtant, il n’y a aucune garantie que la présence de troupes après 2011 aurait endigué l’actuel déferlement de violence. En fait, juin 2011 a été le mois le plus sanglant en deux ans pour les troupes américaines en Irak, alors même que les décès de civils étaient alors encore sur le déclin. Ces événements soulignent le rôle complexe joué par les troupes américaines dans ce pays. Même si leurs activités ont contribué à un retour à la stabilité en Irak, leur présence concourt également à sa déstabilisation. Les forces d’occupation étrangères auront toujours cet effet, peu importe la pureté de leurs intentions.
Et que dire de ces intentions ? Le premier engagement de Bush fut d’impliquer les États-Unis dans l’invasion de l’Irak à cause de la présence présumée d’armes de destruction massive (introuvables), mettant l’Irak dans le groupe de la menace terroriste au même titre qu’Al Qaïda. Finalement, longtemps après qu’il ait déclaré la « mission accomplie », Bush transforma le casus belli et le but de la guerre en faveur de la propagation de la démocratie. Pourtant, les deux objectifs sont loin d’être complémentaires. Alors que Bush avait d’abord insisté sur le fait qu’il y avait un lien entre l’Irak de Saddam Hussein et l’Al-Qaïda d’Oussama ben Laden, un rapport du Pentagone de l’administration Bush elle-même écarta définitivement cette idée.
Mais 11 ans après l’invasion américaine, Al-Qaïda a une présence en Irak comme elle n’en avait jamais eu auparavant. Les États-Unis ont-ils vaincu Al-Qaïda en Irak ? De plus en plus, la réponse semble être négative. Mais l’invasion américaine de l’Irak a certainement facilité le gain de popularité de l’organisation terroriste en Irak, chose impensable à l’époque d’Hussein, malgré les affirmations erronées de l’administration Bush.
À ce point, l’histoire risque de nous devenir familière. L’Irak n’est pas le seul pays où Al-Qaïda a été en mesure de s’établir en raison du changement de régime induit par l’intervention américaine. Al-Qaïda n’avait pas la moindre influence en Libye sous Kadhafi. Ce n’est plus le cas. Alors que le New York Times a rapporté qu’il n’y a aucune preuve qu’Al-Qaïda soit mêlé à l’attaque du consulat américain de Benghazi en 2012, il a fait relier l’attaque à l’Ansar al-Charia, qui est considéré comme étant affilié à Al-Qaïda. Al-Qaïda, a témoigné le lieutenant-colonel Andrew Wood, qui a dirigé une force d’élite de sécurité américaine en Libye avant l’attaque de Benghazi, a maintenant une plus grande présence en Libye que les États-Unis. La même audience du Congrès a révélé qu’entre dix et vingt mille missiles sol-air sont toujours portés disparus après la fin de la guerre civile libyenne. L’opération soutenue par les Américains en Libye a également revigoré les combattants, y compris les insurgés d’Al-Qaïda, à travers toute la région, contribuant à l’instabilité qui a conduit à une intervention française au Mali l’an dernier.
Les partisans de la participation américaine à l’intervention en Libye ont prétendu avec témérité que l’incursion d’Obama n’avait rien de commun avec celle de Bush en Irak. À première vue, elles présentent en effet plusieurs différences notables notamment concernant le temps qu’elles ont duré, l’effectif militaire et autres ressources de l’armée qui ont été engagées dans les combats, et sur le genre d’opposition organisée interne aux gouvernements répressifs respectifs auxquels ils ont fait face. Pourtant, l’effet des deux interventions reste largement similaire. Toutes deux avaient pour dessein principal d’assurer un changement de régime, même si l’administration Obama s’est obstinée à prétendre qu’elle ne visait pas le colonel Kadhafi, jusqu’à ce que les drones américains contribuent à sa capture en compagnie des rebelles libyens. Il a ensuite été sodomisé et tué. Le changement de régime a été la politique officielle des États-Unis envers l’Irak depuis l’adoption de la Loi sur la libération de l’Irak en 1998, par conséquent Saddam Hussein a été pendu pour crimes de guerre en Irak en 2006. Ces deux changements ont créé une situation de fragilité sécuritaire exploitée par Al-Qaïda et les forces qui lui sont affiliées, à la fois dans les pays concernés et dans les régions environnantes. Il est difficile de nier, par exemple, qu’Al-Qaïda est en mesure d’exercer une influence notable sur la rébellion syrienne en grande partie grâce au sanctuaire qu’elle s’est aménagée en Irak.
Les leçons de l’Irak et de la folie interventionniste peuvent sembler évidentes même pour les législateurs de Washington qui ont soutenu la guerre, mais l’applicabilité de ces leçons à des interventions futures, et non pas seulement les interventions futures impliquant un grand nombre de troupes en Asie, reste évasive pour ces mêmes personnes. Le secrétaire d’État John Kerry, par exemple, a soutenu qu’une intervention des EU en Syrie ne ressemblerait en rien à celle poursuivie en Irak parce qu’il n’y aurait pas de troupes sur le terrain. Mais au-delà même des questions sur la façon dont la Russie, un allié du régime syrien, peut réagir à une intervention américaine, il n’y a que peu de doute que cette initiative n’ait pas de conséquences imprévues. Les partisans d’une intervention agressive en Syrie, comme John McCain, blâment le soutien américain insuffisant pour les rebelles visant à contrer l’influence croissante d’Al-Qaïda. Pourtant, il est clair que l’intervention américaine en Irak a aidé Al-Qaïda à maintenir sa présence parmi les rebelles syriens, tout comme les années d’intervention américaine en Somalie ont clairement permis de pousser le groupe local islamiste insurrectionnel Al Shabaab à s’affilier à Al-Qaïda. Malgré l’absence de plus de soutien des États-Unis, les rebelles syriens ont néanmoins commencé à se battre contre les islamistes d’Al-Qaïda en son sein.
McCain a également reproché à l’administration Obama la résurgence actuelle d’Al-Qaïda en Irak, pointant du doigt le retrait des États-Unis comme étant sa cause. L’incapacité de l’impénitent apologiste de la guerre en Irak à reconnaître le rôle que l’invasion américaine a joué dans les intérêts d’Al-Qaïda pour s’installer de plain-pied en Irak est un aveuglement dangereux ; quand les conséquences inattendues de l’interventionnisme sont ignorées et même attribuées par erreur à l’inconséquence de celui ci, cet état d’esprit aide à préparer le terrain pour de futures interventions et encore de futures conséquences insoupçonnées. John Kerry promet que le soutien américain en Irak dans sa lutte contre Al-Qaïda n’inclura pas de troupes de combat. Néanmoins le même constat peut être fait pour tous les combats auxquels les EU semblent vouloir intervenir. L’Amérique continuera de se convaincre de tuer des dragons à travers le monde aussi longtemps qu’elle n’aura pas la patience de voir les autres pays le faire eux-mêmes.
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Sur le web. Traduit de l’anglais par Barem pour Contrepoints.