« Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta
personne que dans la personne d'autrui, jamais simplement comme un moyen mais toujours en même temps comme une fin. » (Kant, "Fondement de la métaphysique des mœurs",
1785).
À quelques exceptions près, à savoir lorsqu’une chaîne de télévision a fait un reportage sur un malade qui
avait été pendant plusieurs années dans le coma et qui, finalement, s’est réveillé en reprenant la totalité des ses capacités mentales. Cette personne a eu néanmoins des séquelles psychologiques,
en expliquant qu’il avait entendu un nombre très important de fois où les médecins, devant lui, avaient exprimé leur pessimisme et expliquaient qu’il ne pouvait que mourir à brève échéance.
Heureusement, on avait quand même continué à lui assurer des soins.
Eh oui, même lorsqu’on est prisonnier de son corps, piégé par l’incapacité à exprimer quoi que ce soit, on
peut encore vivre, avoir des sentiments, élaborer des pensées et même, avoir de l’espoir. Pas toujours, mais cela arrive.
L’émotion, ennemie mortelle de la raison
Comme dans chaque "cas" (mot que je n’apprécie pas du tout, mais "affaire" est encore pire), les doctrinaires
de l’euthanasie active n’ont pourtant pas hésité à saisir de l’émotion suscité par ce fait divers pour imposer leurs idées doctrinaires. Et maintenant, avec un meilleur espoir d’efficacité
puisqu’ils ont désormais acquis un allié de poids, le Président François Hollande lui-même.
On a sans arrêt reproché à son prédécesseur d’avoir utilisé
les faits divers pour faire avancer sa politique sécuritaire. Là, le gouvernement n’a pas hésité à en profiter pour instrumentaliser la malheureuse existence de Vincent Lambert. J’insiste bien
sur le mot "instrumentaliser" : il est clair qu’ici, peu se sont préoccupés, dans leurs réactions, du sort concret de Vincent Lambert. Ils ont surtout saisi l’occasion de rebondir et
d’insister, d’enfoncer des clous.
L’une des premières personnalités officielles à ainsi user d’une telle instrumentalisation fut la Ministre
des Affaires sociales Marisol Touraine en expliquant dès l’après-midi du 16 janvier 2014 : « Le statu quo n’est plus possible
aujourd’hui. » et elle a prévu le dépôt d’un projet de loi d’ici l’été prochain.
Une loi ne résoudrait rien mais ouvrirait une boîte de Pandore
Il faut bien comprendre que pour l’histoire de Vincent Lambert, autant que pour celle de Vincent Humbert il y
a plus de dix ans ou pour Chantal Sébire il y a plus de cinq ans, il n’y aura AUCUNE loi (je souligne le mot
"aucune") pouvant répondre aux souhaits de certains de leurs proches, à savoir abréger leur existence.
Pourquoi ? Parce qu’ils ne sont ou n’étaient pas en "fin de vie" à proprement parler. Au contraire,
comme l’a expliqué le juge administratif pour Vincent Lambert : « La poursuite du traitement n’est ni inutile ni disproportionnée et n’avait pas
pour objectif le seul maintien artificiel de la vie. ».
En clair, ce n’est pas parce qu’on est atteint d’un très grave handicap, qui nécessite l’immobilisation du
corps et peut-être l’impossibilité de s’exprimer, qu’il faut supprimer la vie. Rien n’indique qu’emprisonné dans son masque de chair, Vincent Lambert ne puisse trouver quelques envies de vivre
encore.
Son épouse, dont la tristesse est évidemment compréhensible, n’a pas raison lorsqu’elle martèle dans les
médias que le tribunal est allé contre la volonté de son mari. Vincent Lambert n’a exprimé aucun souhait depuis qu’il est dans ce terrible état. Aucun signe de lui n’a été vraiment clair parce
qu’il en est incapable. Faut-il pour autant décider à sa place ? A-t-il le droit de changer d’idée ? d’humeur ? d’espoir et de désespoir ?
Il restera sans doute au Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative, à écrire le dernier mot. Espérons qu’il ne le fasse pas avec la
même légèreté que dans une récente affaire ayant trait à l’interdiction de spectacles d’un prétendu humoriste.
De plus, s’est ajouté un véritable conflit familial qui oppose la mère à l’épouse : comment une loi pourrait-elle décider de départager l’une et
l’autre ? Le bénéfice du doute doit toujours se porter vers la solution la moins irréversible.
Les recommandations des évêques de France
Coïncidence, le conseil permanent de la Conférence des évêques de France a rendu publique le 16 janvier 2014 une déclaration sur ce sujet délicat de
la fin de vie dont le titre intègre une partie de la devise de la République : « Pour un engagement de solidarité et de fraternité »
(document qu’on peut télécharger ici).
Dans ce texte très court (deux pages), les évêques de France rappellent l’un des dix commandements : « Personne ne peut provoquer délibérément la mort, fût-ce à la demande d’une personne gravement malade, sans transgresser un interdit fondamental. »,
et poursuivent avec du bon sens : « C’est le fondement de toute vie sociale respectueuse d’autrui, spécialement des plus vulnérables. Nombre de
nos contemporains, en raison d’une maladie, d’un handicap ou de leur âge, se sentent devenus une charge pour leurs proches et un poids pour la société. Ils souffrent de leur solitude, de
l’indifférence d’autrui, du regard porté sur eux dans une société axée sur les valeurs d’autonomie et d’efficacité. Ceux qui en viennent à douter de la valeur et du sens de leur vie ont besoin
d’accompagnement, de solidarité et de soutien dans l’épreuve. N’aurons-nous rien d’autre à leur proposer que de mettre fin à leur existence ? ».
En clair, les évêques français proposent que si une nouvelle loi devait voir le jour, elle devrait renforcer le respect des personnes en fin de vie,
ce qui signifie trois choses : « Cela passe par le refus de l’acharnement thérapeutique ; le refus de l’acte de tuer ; ainsi que par
le développement des soins palliatifs et le renforcement des solidarités familiales et sociales. ».
Qu’est-ce que la dignité d’un être humain ?
Si la loi permettait de tuer (employons le mot car c’est bien de cela qu’il s’agit) une personne ayant un handicap insurmontable et probablement
irréversible, cela signifie que des centaines de milliers de personnes ayant un handicap sont aujourd’hui en danger, en danger de mort.
Leurs proches, dont l’accompagnement est une véritable souffrance (il y a peu d’aide psychologique proposée dans ce cas-là), mais aussi la puissance
publique dont les déficits sont de plus en plus vertigineux, verraient d’un bon œil cette manière de régler les problèmes, certes, de façon un peu expéditive.
Encore une fois, il faut comprendre que c’est tout à fait possible et respectable, comme cela semble avoir
été le cas de Vincent Humbert il y a dix ans, que le patient, désespéré, malgré un entourage pourtant aimant, puisse souhaiter sa propre mort car il n’a pas la force, la capacité, le désir de
poursuivre sa vie dans cet état.
Mais cela me paraîtrait profondément dangereux de le permettre par une loi, qui propose des cas généraux,
sans éviter des dérives effroyables (j’en ai parlé suffisamment ici).
Principe de responsabilité
La "non législation" permet au moins deux choses, le maintien de l’outil judiciaire pour les "vrais"
homicides et la responsabilité pour les cas d’euthanasie, en clair : l’absence de rendre généralisée l’euthanasie (ce qui évite les tentations de laisser envahir les préoccupations
pécuniaires dans le champ de la santé) et l’obligation, en cas de "litige" de faire examiner un cas concret, individuel, particulier, par un juge.
Ce fut le cas pour la mère et le médecin de Vincent Humbert qui ont finalement bénéficié d’un non-lieu le 2
janvier 2006 rendu par le procureur de Boulogne-sur-mer. Et cela malgré l’absence de loi. Quand les actes ont été commis avec sincérité et désintéressement (au contraire d’une autre affaire où
une infirmière avait "achevé" des dizaines de patientes), ceux qui les ont commis ne sont jamais condamnés.
C’est pourquoi cette décision du 16 janvier 2014 redonne aux personnes atteintes d’un grave handicap leur
dignité, elle est le signal renouvelé que la société reste toujours dans une obligation de solidarité pour les accompagner au mieux. Sans considération sur les conséquences financières voire
psychologiques provoquées par leurs soins.
Paradoxalement, le juge administratif a donné tort aux médecins qui étaient partisans de l’euthanasie passive
de Vincent Lambert. Cela paraît rassurant que les médecins ne soient pas ceux qui, in fine, aient le dernier mot dans une décision définitive et irréversible. Les partisans de l’euthanasie ont
trop souvent critiqué les trop grands pouvoirs des médecins pour ne pas faire remarquer cet élément.
Renforcer les soins palliatifs
C’est enfin la victoire des soins palliatifs. Je l’écris plus en forme d’espoir et d’attente. C’est ce que
les malades ou futurs malades (peut-être moi, les lecteurs, les gouvernants, etc.) attendent du gouvernement : renforcer massivement les moyens pour permettent à chacun, en cas de nécessité,
de bénéficier de soins palliatifs. De soins qui ne servent pas à soigner la maladie parce qu’elle est incurable, mais qui servent à améliorer le confort du patient, et avant toute chose, à
réduire voire supprimer, dans la mesure du possible, les souffrances physiques (voire psychologiques). La France accuse un retard monstrueux dans ce domaine.
Or, le vote d’une loi autorisant l’accélération de la fin de vie (par suicide assisté ou par euthanasie)
irait à l’encontre de l’utilité des soins palliatifs. On voit ici tout l’intérêt comptable d’un État cherchant à faire 50 milliards d’euros d’économie préférant aider à mourir, j’oserais dire à
terme, préférant précipiter à la mort des malades inutiles, incurables et très coûteux pour la société. Et jusqu’où ira-t-on ? jusqu’à quelles improductivités seront soumises les règles
éventuelles de l’euthanasie ?
Non à un retour de la peine de mort !
Contrairement à ce qu’affirment les partisans du "droit de mourir dans la dignité", être malade, atteint d’un
grave handicap, n’entame pas sa propre dignité d’être humain. C’est principalement cette leçon qui ressort de la dernière décision judiciaire concernant ce sujet très sensible de
l’euthanasie.
Je considère que la nation, au contraire, a un devoir de solidarité envers toutes les personnes diminuées et
que ceux qui, devenus malades, incapables de s’exprimer (dans le cas où un dialogue est possible, les malentendus seraient moins fréquents), n’en arrivent pas à craindre pour leur propre
existence. Le jour où le pays se déciderait à supprimer volontairement les personnes qui ne correspondraient pas à une norme donnée, l'eugénisme remplacerait à terme toute autre
considération.
Alors qu’on a aboli la
peine de mort le 10 octobre 1981, il ne faudrait pas qu’on la rétablisse en 2014, pas parce qu’on aurait été l’auteur d’un crime monstrueux, mais simplement qu’on se serait rendu coupable
d’une maladie incurable ou d’un handicap qui ferait peur à la société. Ce serait en effet le cas effroyable pour ceux qui n’aurait plus la capacité de s’exprimer par eux-mêmes. L’une des missions
de la République, c’est avant tout de protéger les plus vulnérables. Pas de les éliminer.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (20 janvier 2014)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le destin de l'ange.
La déclaration des évêques de France sur la fin de vie du 15 janvier 2014 (à télécharger).
François Hollande.
La mort pour tous.
Suicide assisté à cause de 18 citoyens ?
L’avis des 18 citoyens désignés par l’IFOP
sur la fin de vie publié le 16 décembre 2013 (à télécharger).
Le Comité d’éthique devient-il une succursale du PS ?
Le site officiel du Comité consultatif national
d’éthique.
Le CCNE
refuse l’euthanasie et le suicide assisté.
François Hollande et le retour à l'esprit de
Valence ?
L’avis du CCNE sur la fin de vie à télécharger (1er juillet 2013).
Sur le rapport Sicard (18 décembre 2012).
Rapport de Didier Sicard sur la fin de vie du 18 décembre
2012 (à télécharger).
Rapport de Régis Aubry sur la fin de vie du 14 février 2012 (à
télécharger).
Rapport de Jean Leonetti sur la fin de vie du 28 novembre 2008 (à
télécharger).
Loi Leonetti du 22 avril 2005 (à télécharger).
Embryons humains cherchent repreneurs et
expérimentateurs.
Euthanasie : les leçons de l’étranger.
Euthanasie, le
bilan d’un débat.
Ne pas voter Hollande pour des raisons morales.
Alain Minc et le
coût des soins des très vieux.
Lettre ouverte à Chantal Sébire.
Allocation de fin
de vie.
Le tableau est de Pablo Picasso : "La mort de Casamegas" (1901).
http://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/vincent-lambert-victoire-de-146654