21 janvier 2014
Quel plaisir de retrouver mon héros désabusé, torturé, fondamentalement allergique à toute forme d’autorité : Bernhard Gunther ! C'est ici sa huitième aventure.
Nous revoici à Berlin en septembre 1941. Bernie est de retour du front de l’Est, passablement déstabilisé par ce qu’il a vu et malgré lui vécu, pas loin d’être suicidaire. En tous cas moins nazi que jamais. Mais c’est un homme consciencieux, qui fait son travail d’enquêteur au département des homicides de la Kripo, sise Alexanderplatz. Sérieusement, à fond, tout en restant très attiré par les belles jeunes femmes. Il est appelé à Prague par le terrifiant Reinhard Heydrich, pour – il le découvrira bientôt – démasquer un espion au service de la résistance tchèque. En fait, le lendemain de son arrivée dans la résidence d’été du « Protecteur » de la Bohème-Moravie, un des quatre aides de camp du général est assassiné. Un meurtre derrière une lourde porte verrouillée, et une fenêtre close, personne n’a rien entendu.
Philip Kerr sait ce qu’il doit au « Mystère de la Chambre jaune » et plus encore au « Meurtre de Roger Akroyd ». Tous les protagonistes sont suspects, et ils sont fort nombreux : tous pourraient avoir un mobile pour se débarrasser du jeune capitaine, même les « choux-fleurs », ces hauts gradés de la SS aux uniformes largement brodés de glands et de feuilles …
L’atmosphère est tendue, on recherche partout les opposants tchèques (qui finiront par réaliser leur rêve, attenter à la vie de Heydrich), on suspecte des espions à la solde des britanniques partout. Heydrich sème la terreur, c’est le premier flic du Reich, détesté par Himmler et qui vient d’évincer Frank. Bernie Gunther ne se fait aucune illusion : il est dans un nid de vipères mortel et va démêler les fils de l’énigme de façon brillante mais au combien dangereuse. Mais c’est bien dans ses habitudes de se mettre ainsi dans des situations intenables. On ne se demande pas s’il va s’en sortir lorsqu’on connaît la suite de ses aventures, en particulier en Argentine dans les années 50, mais on s’interroge sur le « comment ». En réalité, et c’est la seule faiblesse du roman, l’auteur procède ici par ellipse …
En bref, un roman d’une logique implacable, où l’on découvre dans tous leurs détails sordides les turpitudes des compagnons d’Hitler, la misère de ces allemands ordinaires devenus des tortionnaires extraordinaires … Avec, comme toujours chez Kerr, une fantastique recherche historique qui vous fait douter de ce qui est ou n’est pas vérité. Qu’importe ?
Prague fatale, polar historique par Philip Kerr, traduit par Philippe Bonnet, aux éditions du Masque, 407 p. 22€.