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Un écrivain pas comme les autres : Marie-Sissi Labrèche

Publié le 20 janvier 2014 par Dubruel

M-S Labrèche est née à Montréal en 1969. Elle commence à écrire à 17 ans. Journaliste, elle publie ''Borderline'' à 24 ans et en 2002, un deuxième roman : ''La Brèche.''

Voici des extraits de Comment j’ai accouché de moi, une nouvelle qu’elle a publié en 2003 :

   Je vous écris de mon placard pour vous raconter comment j’ai accouché de moi. Cependant, avant de vous dire comment s’est déroulé l’enfantement de ma petite personne, il faut que je vous parle de mon enfance ou plutôt de mon adolescence vers la fin, quand une nouvelle vie s’est présentée à moi. J’avais dix-sept ans et demi, des cheveux longs blonds et des seins violents qui se perdaient déjà depuis longtemps dans des tas de lits étrangers ; je ne savais pas quoi faire de ma peau. C’est à cette époque que j’ai lu La grosse femme d’à côté est enceinte, l’univers de Michel Tremblay, mon univers, des bonnes femmes sans éducation…aux prises avec le mal d’être qu’elles ne peuvent exprimer, faute de mots pour mettre sur les émotions. C’était ce que j’avais vu, senti, côtoyé depuis ma naissance, ce que j’avais remarqué à cinq ans, moi, petite puce dans une cuisine sale, sous un éclairage jaune pipi d’une ampoule sans abat-jour, parmi les cafards qui faisaient des farandoles, pendant que ma grand-mère inquiète gueulait après moi et que ma mère parlait au présentateur de nouvelles dans le téléviseur. Ma petite maman qui un jour a gobé toutes ses pilules pour en finir avec la vie et celle des autres, et qui a été avalée par une ambulance qui a percé la nuit dans des cris de fin du monde…Ça marque une future écrivaine, ça tout comme la pauvreté omniprésente de mes années d’enfance, et mes notes scolaires qui dégringolaient chaque automne, chaque fois que ma mère revenait folle, schizophrénie, cyclothymie, des milliers de monstres dans sa tête…

Je n’avais rien à me mettre sous la dent jusqu’à ce que je tombe sur La grosse femme d’à côté est enceinte ; dès lors j’ai su qu’il y aurait de l’espoir sur les pages blanches pour moi, de l’espoir grâce à l’imaginaire de mes neurones qui surchauffent….

Mes lectures me servaient à remplacer les phrases horribles qu’on m’avait mises dans la tête : « C’est toi, Marie-Sissi, qui rend folle ta mère !  C’est de ta faute s’il faut interner ta mère à tout bout de champ ! Tu es une petite pas possible, une petite salope, une petite putain ! »

…J’ai failli mal tourner à cause de ces saletés et de mes manques affectifs aussi gros que des piscines creusées…

Mais un jour je me suis dit : « Ça suffit ! », j’ai donc entrepris une psychanalyse. Étrangement, la psychanalyse a eu pour effet de me faire faire des gammes d’écrivaine…

….C’est en me penchant sur L’avalée des avalées de Réjean Ducharme que j’ai compris que la musique des mots est plus importante que l’histoire, que mon rôle à moi n’était pas d’être romancière, mais écrivaine. Mon premier roman, Borderline, s’est donc écrit en neuf mois. Voilà comment j’ai enfanté de moi, j’ai ouvert mes jambes, sorti tout ce qu’il y avait dans mes tripes et je suis née, moi, Marie-Sissi, la petite écrivaine qui fait du rock littéraire….

Dans mon deuxième roman, La Brèche, je me suis inventé un papa.

….Aujourd’hui, je suis en train de donner naissance à ma mère dans mon prochain roman, La lune habite un quatre et demi.

N’est-il pas fabuleux le pouvoir de la littérature ?


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