« L’impossible : événements, ce qu’il faut lire ou voir dans les journaux tous les jours, c’est à proprement parler l’insoutenable. Il semble donc impossible de poursuivre et l’on poursuit cependant. Comment ?
Parce que la poésie pourrait être mêlée à la possibilité d’affronter l’insoutenable. Affronter est beaucoup dire.
Ce qui me rend aujourd’hui l’expression difficile est que je ne voudrais pas tricher – et il me semble que la plupart trichent, plus ou moins, avec leur expérience propre ; la mettent entre parenthèses, l’escamotent.
Dès lors devraient entrer dans la poésie certains mots qu’elle a toujours évités, redoutés, et toutefois sans aller vers le naturalisme qui, à sa façon, est aussi mensonge. Il y a une région entre Beckett et Saint-John Perse qui sont aux deux extrêmes, et tous les deux systématiques.
Mais c’est être perpétuellement à deux doigts de l’impossible. »
Philippe Jaccottet, L’encre serait de l’ombre, Notes, proses et poèmes choisis par l’auteur, 1946-2008, Paris, Gallimard, collection Poésie / Gallimard, 2011, p. 203.
[Choix de Matthieu Gosztola]