Il y a deux mots détestables que l’on emploie à propos des effets sociaux de l’internet, le premier est virtuel, le second est social. Ils sont des contre-sens, des inintelligences, des faiblesses de langages. L’impropriété de leur usage est manifeste lorsqu’on évoque la notion de réseau et que l’on étudie les plateformes qui prétendent les gérer.
Commençons par le second. Le caractère social des réseaux. On a pas attendu facebook pour penser la société en termes de réseaux. Un Gabriel Tarde, Un Simmel et bien d’autres, bien avant l’invention de l’internet ont conçu cette idée que la société était constitués non seulement d’institution mais de l’entrelas des intérêts, des attirances, des répulsions, des échanges. Un réseau social n’a pas besoin de plateforme pour exister, évoluer, produire, nourrir, construire ou s’effondrer. Le réseau est social avant d’être numérisé. Ce que font ces plateforme c’est au mieux d’étendre le possible, la virtualité, des connexions, et par conséquent des dynamiques. Mais c’est une question qui mérite un examen soigneux, car les résultats empiriques ne concluent à des modifications drastiques. Nous savons que le support électronique moins qu’ouvrir à de nouvelles connexions tend plutôt à renforcer celles qui existent. Et même si certains travaux militent pour une déspatialisation des réseaux d’affinités, où confirme un leger accroissement de l’étendue du graphe social dans lequel la vie de chacun s’inscrit, on trouve assez peu d’éléments qui nous diraient que l’organisation sociale soient profondément modifiée par l’existence de ces possibilités. Au mieux ont concluerait que les individus les plus connectés étendent leur synapses quand l’ordinaire confirment celles qui sont établies.
Les réseaux sociaux tels que s’affirment les plateformes qui prétendent les créer, ne sont au bout du compte, que la matérialisation d’une virtualité. Et c’est ce second terme que nous voulons attaquer. Les réseaux électroniques ont peu de virtualité, ils sont surtout une matérialisation. Ils donnent un substrat physique et tangible à des liens potentiels. Et même pas, juste à des liens qui existent, pur et détaché de tout support, comme un lien d’amitié. La virtualité suppose qu’une chose sans être, puisse être possible. Un réseau virtuel, est un réseau qui rend possible ce qui sans lui ne le serait pas. Et ce n’est pas ce qui se passe, les liens établis se font le plus souvent sur le fondement d’une relation réelle, fussent-elle mal matérialisée.
Cependant, il faudrait être nuancé. Pour les quelques uns qui se situe au sommet du graphe social réel, les plateformes leurs permettent effectivement de rendre réelle des relations qui étaient purement virtuelle. Elles leurs permettent de réaliser un potentiel, non pas par l’activation d’une amitié où d’un intérêt, mais par la création d’un canal, l’ouverture d’une route, le bâtissement d’un pont. Pour les autres, la très grande majorité, cet effet joue à la marge.
Cette asymétrie requiert de penser un autre fait de la construction sociale. Celui de l’activisme. Comme dans la vie politique, la vie des ééseaux n’est pas horizontale, une très faible proportion d’individus s’occupent du bien public, et cherche à mobiliser des ensembles qui ressemblent à des masses. Moins d’un individu pour mille est élu dans les sphères politiques ou syndicales. Ce sont eux qui excitent les foules, et bâtissent les liens qui unissent les groupes, ils sont les architectes de l’ensemble social. Les autres suivent, approuvent ou infirment, suivent ou se débinent, mais se contentent dans leur activités sociales de poursuivrent l’ordinaire qui leur suffit.
Chaque marketeur sait cela. Une stimulation ne touche qu’un individu sur cent, et il faudra 100 individus touchés pour trouver un afficionado. Et parmi ces derniers moins d’un sur dix sera un militant, un acquis à la cause. Les communautés de marque les plus fortes ne touchent que quelques milliers de personnes, quand leurs marchés en représentent des millions.
N’espérons pas que les plateformes électroniques changent en profondeur le corps social, soyons cependant attentif à ce qu’elles peuvent remettre en cause la structure de leurs élites. En matérialisant le graphe implicite des relations sociales, elles ne réorganisent pas l’architecture verticale des sociétés, mais remodèlent certainement la structure de pouvoir de ceux qui la conduisent. La virtualité est une affaire de déjà riche, et le social est sans doute périphérique.
La matérialisation des relation permettra sans doute aux mieux dotés, d’agir sur une plus grande masse, elle permettra peut-être à ce que les liens construits par les institutions se délitent, évanouissant leur force symbolique dans un échange qui soit moins social, et beaucoup plus économique.