Voici de nouveau un film qui s’inscrit parfaitement dans un ensemble d’espaces paysagers où je peux aisément me retrouver. Des paysages qui comptent autant que des acteurs ; qui sont au sens propre des personnages, beaucoup plus que de simples décors ou des ambiances chargés de mettre en valeur des vies simples.
Deux extrêmes
A une des extrémités, les plages du Languedoc et leurs restaurants à ciel ouvert. Un espace décrit, voire même caressé dans une espèce d’attente du plein été qui vient. Un weekend de Pentecôte propice à la détente dans des non-lieux qui ne sont ni beaux ni laids. Simplement fonctionnels, depuis que l’on a inventé la plage pour les touristes. On peut y manger des gambas grillées un peu trop grasses et y boire du whisky de tout venant sans complexes. Un monde de rêve, devenu invisible tant il est conçu depuis le départ pour le plus grand nombre. Un monde où on peut pourtant très facilement se fondre dans la masse si on veut passer inaperçu ou même disparaître dans la banalité si on cherche à se cacher. Mais il s’agit là aussi une société dont il est aussi très difficile de s’extraire si on veut au contraire s’en sortir. Le dimanche on se plonge dans la mer, on boit un petit vin rosé bien frais et c’est si bien !
A l’autre extrémité, après avoir traversé ces paysages d’une grande beauté qui n’ont pas échappé aux peintres, en passant le long du Canal du Midi, ou au cœur des Corbières, en longeant Carcassonne et en tutoyant le Lauragais, on atteint les superbes bastides du Toulousain. On côtoie de grands domaines viticoles et de grandes surfaces céréalières un peu poudreuses sous le soleil. On y côtoie surtout de grandes familles qui ont maintenu leurs traditions en vivant au plus près de leurs terres, en investissant dans ce qui est rare et spéculatif à long terme. On fait fructifier la terre et on exploite les gens depuis plusieurs décennies. Certains des enfants sont partis dans les banques londoniennes pour épouser le monde moderne. Mais on s’y retrouve régulièrement en tribus. Des piles d' écrevisses parfaitement cuisinées constituent le plat traditionnel d’un weekend festif de distinction qui se terminera par un consommé à l'approche de la fin du jour. On y vit pour quelques jours entre soi et le dimanche on plonge dans la piscine, en bonne compagnie, en se remémorant le temps de l’enfance et en évoquant les ancêtres disparus.
Rencontre improbable
Ce sont ces deux mondes que Nicole Garcia confronte par surprise en provoquant la rencontre entre deux personnages issus chacun d’un de ces paysages, ou pour mieux dire encore, constitués corporellement et mentalement par ces paysages. Un film duel et polarisé dont les extrêmes devraient forcément se repousser.
Une rencontre improbable qui pourrait ressembler à celle de Cendrillon et de son Prince. Mais n’est-ce pas en revisitant les belles histoires, celles que des conteurs se sont transmises de pays en pays, que l’on retrouve les mythes qui provoquent les rencontres amoureuses exceptionnelles, celles qui sont appelées à devenir éternelles et où les compagnes aimeront leurs compagnons mieux que n’ont su le faire leurs propres familles et en particulier leurs propres mères, dans le cours de leur jeunesse sacrifiée. De belles histoires où l’amour doit faire oublier les blessures de l’enfance au lieu de les répéter, de les perpétuer comme c’est trop souvent le cas dans les ghettos qui s’excluent du monde.
Mettre en relation les mondes
ELLE est belle et peu apprêtée et elle ne semble pas trop savoir pourquoi et comment elle a eu un fils. Elle n’en n’a pas la garde, mais même quand il est là, il l’encombre un peu, comme d’ailleurs il encombre son père dont les intérêts portent plutôt sur les voitures clinquantes et sur la compétition. Elle fait des saisons dans les restaurants de la côte et un weekend de fête, son fils n'est pas le bienvenu. Mais le père a lui aussi besoin d’un weekend pour frimer à Monaco et il a oublié qu’il devait aller chercher à l’école cet enfant dont il a la charge.
Histoire banale. Et cet enfant, par conséquent, il ne sait pas où se poser, il s’encombre de lui-même, sauf à l’école où il peut jouer, se mesurer au basket avec les autres et tirer la langue devant les problèmes de géométrie pour lesquels il reçoit l'aide de l'instit. Mais la mère, bien sûr le regarde avec la tendresse du cœur et espère trouver un logement plus stable pour l’accueillir un jour prochain.
LUI, l’instit est plutôt muet en dehors de sa classe. Il reste souvent seul avec lui-même après une période d’errance marginale qu’il prolonge en faisant des remplacements dans des écoles communales. Il a encombré sa famille le jour où il a refusé d’être aussi brillant que ses frères, en quittant brusquement et sans explications une grande école où son avenir scientifique était tout tracé au point qu’il est devenu lui aussi un objet encombrant. On a installé son corps scandaleux loin du monde, dans un hôpital psychiatrique d’où il s’est échappé. Sa famille l’a tracé, de loin, de squats temporaires en écoles communales dispersés en France. Elle a tenté de le remplacer par la présence de cousins qui agrandissent la famille, tout en contrôlant de loin son errance. On a raconté une belle histoire sur sa réussite en Suède pour fermer la porte aux questions. Personne pourtant ne l’a vraiment oublié, mais sa mère attend toujours qu’il revienne dans un chemin plus droit et qu’il reprenne ses droits d’héritier, comme il se doit. Elle restera inflexible. Elle doit veiller à la survie de l’espèce dominante.
Deuxième histoire banale. Et ce fils-là qui ne se pose que pour de courtes périodes dans des écoles où il prend soin d’ouvrir son intelligence pour la transmettre aux jeunes et pour les conduire vers le monde et vers la connaissance, a compris que sa mère n’avait pour lui que de l’ambition sans tendresse. Il comprendra une fois de plus que c'est inéluctable.
Le Bonheur
Alors Nicole Garcia a de la tendresse pour tous. Pour ELLE et pour LUI, et pour le fils d’ELLE, ce tiers dont ils ont au fond tellement besoin pour réussir avec lui ce qu’ils n’ont pas connu, pour lui donner ce dont ils ont été privés.
Il semble qu’elle ait ainsi créé ses personnages pour pouvoir les aimer, les confronter dans leurs contradictions et chercher en trois jours une issue qui permette de résoudre les conflits. Mais finalement elle sait bien que les mondes extrêmes ne se rapprochent jamais et que seuls les êtres, parfois, peuvent le faire. Il faut que le Prince ait connu la détresse et que Cendrillon exprime un besoin d’amour dont elle ne se croyait pas capable pour qu’ils réapprennent tous deux à parler d’une seule voix sur un terrain où ils se protégeront sans s'opposer. Nicole Garcia aime les histoires d’amour fondées sur un équilibre précaire qui rapproche les êtres en les éloignant des démons qui les surveillent, ces démons de l’enfance qui les empêchent d’être heureux.
Et cette histoire qu’elle a écrite en pensant visiblement au bonheur du fils qu’elle a eu avec Jean Rochefort, le magnifique Pierre Rochefort, est une réussite de douceur forte où elle s’assied discrètement à côté des personnages qu’elle a convoqués et qu’elle voudrait tous sauver. Un peu comme dans « Le Bonheur » d’Agnès Varda, voici presque cinquante ans qui détruisait sans morale l’adage repris par les Rita Mitsouko, ces chanteurs que la mort a séparés il y a quelques années : « Les histoires d’amour finissent mal, en général ».
Les deux cinéastes se fichent de ces généralités-là pour notre plus grand bonheur, justement. Elles n’aiment que les êtres singuliers auxquels elles apprennent à nous parler sur l’écran de la complexité des choses simples.
Un beau dimanche de Nicole Garcia. Sortie en France le 5 février 2014. Avec entre autres Louise Bourgoin, Pierre Rochefort et Dominique Sanda.