Dernier clip du rappeur montpelliérain AHMAD « Nouveau Sinatra » (Prod. Ahmad & Lartizan) mis (superbement) en image par Steve Lejeune.
Officiant depuis Montpellier, Ahmad est incontestablement un des gros espoirs de la scène hexagonale. Empruntant une voie originale, transcendant les stéréotypes du Rap mainstream et de la scène underground, ce MC également producteur balaye les réflexes sectaires des uns et des autres à grands coups de punchlines… (…) aussi percutantes que subtiles plaquées sur des instrus inspirants. A suivre de très près…
Pour info, Ahmad a réuni 4 de ses titres phares dans un EP récap il y a quelques jours « Ne Mourez Jamais Seul » Feat Sako & Dany Dan : https://ahmad1.bandcamp.com/album/ne-mourez-jamais-seul-2
Reprise de l’interview accordée à INTERNATIONAL HIP HOP
International Hiphop : Pas mal de gens, nos lecteurs y compris, t’ont découvert avec “Mon Polo”, un de nos coups de coeurs 2011. Mais avec une activité discographique qui remonte à 2003, tu es loin d’être un nouveau venu. Peux-tu revenir pour nous sur tes débuts ?
Ahmad : En fait, tout est parti du skateboard. J’étais à fond dedans avec des potes et on récupérait des tonnes de cassettes vidéo américaines qui regorgeaient de gros morceaux de Rap américain signés A Tribe Called Quest, Hieroglyphics et autres… On devait être vers 92 et j’étais à fond dans ces groupes aux sonorités ensoleillées et ça m’a donné envie de découvrir tout ce que ces gars et leurs potes (Souls Of Mischief, Casual…) proposaient sur leurs disques. J’enregistrais aussi les pistes audio des VHS sur des cassettes audio. C’est comme ça que depuis, j’ai du mal à écouter “93 ’till infinity” des Souls Of Mischief sans les bruits de changement de flip de Ray Barbee (rires)… On enregistrait également en boucle des sessions d’instrus sur cassettes et on reprenait dessus les lyrics des ricains en yahourt (rires)… Un jour, un de mes potes du collège a eu envie de monter un groupe de Rap et je lui ai filé un coup de main pour écrire quelques trucs. Mais en fait, avant comme maintenant, je n’ai jamais écrit de texte à proprement parler. Après, je ne fais pas comme Jay-Z, je ne me pointe pas en studio sans rien pour poser un morceau ! Je trouve des phases, je les note pour m’en souvenir. Au final, ça s’assemble et ça donne des morceaux… En fait comme je suis tombé dans le Rap par le biais du Rap américain, je me focalise sur les sonorités. Je ne suis pas passé par la case départ du Rap français à vocation sociale (rires) ! J’avais été à New York en équipe après qu’on ait gagné un concours de skate. Là-bas, j’ai découvert Nas, Le Bootcamp Clik… Les cassettes vidéo de skate plaçaient de plus en plus de son new-yorkais. Vers 1996-1997, je découvre le Rap français. Dans les X-Men, je retrouve ce que j’aimais chez Smiff-n-Wessun par exemple. J’aimais bien aussi Solaar, les albums produits par Jimmy Jay, La Cliqua, Les Sages Poètes De La Rue… Par contre, je n’accrochais pas avec IAM. Une de mes grosses claques Rap français ça a été le “Paris Sous Les Bombes” de NTM…
IHH : Et tu te lances quand dans le Rap ?
A : J’ai commencé à rapper des conneries. Je faisais de l’egotrip, je plagiais les X-Men, je traduisais approximativement des textes ricains… Pour le skate, je commençais à me faire vieux. à 23/24 ans, tu commences à être un has-been (rires) ! En 2000, à la fac de Montpellier où je suivais un cursus cinéma-arts du spectacle, j’ai rencontré DJ Kilam qui avait une MPC2000 et avec qui je me suis retrouvé dans les Men Of Steel. On a enregistré quelques trucs, dont un maxi avec SInik qui n’est jamais sorti… On étaient 6/7 et le coté groupe ne me branchait pas. On avait une touche musicale très rigide, une image rugueuse… Il ne fallait surtout pas être blancs et encore moins être commodes (rires)… Ca m’a vite gavé et j’ai fait un break. En 2003, je fais la connaissance de Non Grata, un producteur très branché Soul, un gros collectionneur. On décide de faire un album ensemble, ce sera “Le Sens De La Formule”. On l’écrit en 10 jours et on l’enregistre en autant de temps ! J’étais fan des flows cassés à la Oh No!, j’avais une vraie voix de gamin à l’époque (rires), mais les instrus de Non Grata étaient vraiment frais.
IHH : La connexion avec DJ Poska te permet de passer un nouveau palier, c’est bien ça ?
A : Je l’ai rencontré sur une tournée Noyau Dur. Je lui file mon album et il le kiffe bien. Il me pousse à retravailler mon flow, il me formate quasiment et je me retrouve plus dans le format 3 couplets / refrain. C’est comme ça que naît “Le môme qui voulut être roi” qui sera distribué n’importe comment par Mosaïc en 2007. C’est aussi l’album où je me mets vraiment à la production des instrus puisque je signe 70% des musiques et Non Grata le reste. La commercialisation du disque est très décevante, plus personne ne croyait vraiment au Rap Français et les bacs étaient encombrés de disques nuls. Mais je reçoit beaucoup de retours positifs pour ce deuxième album. C’est à cette période que je comprend qu’il faut que je cible davantage mon public avec ce que j’aimais faire. Avant je ne comprenais pas que le public qui kiffe l’Algerino ne m’aime pas. Je ne suis pas non plus dans la représentation sociale misérabiliste et en allant souvent à New York, j’ai aussi constaté que les quartiers populaires n’écoutent que très peu de choses. Et que dans les concerts de MOP ou Sean Price, il n’y a quasiment que des étudiants blancs.
IHH : C’est en partant de cette constatation que tu entames ta dernière mue en date avec “Justin Herman Plaza” ?
A : Oui, j’ai pigé que les auditeurs de Rohff ne sont pas pour moi ! “Justin Herman Plaza” m’a finalement permis de toucher beaucoup plus de monde. Pourtant cet album, ses deux clips et sa promo ne m’ont couté que 80 euros ! Je n’ai plus de pression et je me sens bien dans le renouveau actuel du Rap en France. Ca se passe partout, aussi bien à Montpellier qu’à Paris avec 1995 et l’Entourage. Certains les critiquent mais ils sont d’une remarquable productivité. Ils ont un bon état d’esprit, c’est un vent frais qui souffle. Finalement ça fait du bien qu’il n’y ait plus de fric dans le Rap. Ca a remis les pendules à l’heure.
IHH : En plus des textes, tu élabores également tes musiques. Comment prennent vie tes morceaux ? Le processus est-il très structuré, compliqué ?
A : Pour mes textes, je note des idées à droite à gauche en allant au taf ou en ville… Au final, ils se transforment beaucoup. En fait, plus que les mots, je fais davantage attention aux placements, aux gimmicks et aux silences. Pour les musiques, j’aime vraiment bien composer tout seul. Ca me permet de choisir une couleur, de poser le décor. Le texte devient le personnage et le morceau s’assemble simplement. Il m’arrive même de changer de sample à la fin du processus si je juge que le résultat est trop sombre. J’aime ce qui est épique et lumineux.
IHH : “Mon polo”, qui figurait parmi les clips de notre précédent numéro, annonce un gros EP qui sortira chez No-Y Lab, un label marseillais avec lequel tu as récemment signé…
A : Mon travail est mieux structuré mais je garde une bonne liberté. C’est un petit label mais il me fournit des moyens suffisants. Avec moi dans le label, il y a des artistes comme SAMM de Coloquinte, l’américain Chris Barz, ou encore BBoobz. Là, je viens de clipper un morceau avec Sako qui s’apelle “Hôtel Bilderberg”, et qui fait référence au fait d’être seul face à 7 milliards d’êtres humains. On a mis également en boîte le clip de “Mastermindz”, un morceau avec Dany Dan des Sages Po’. Ces deux clips ont été réalisés par Steve de Paradoxe Mécanique. Lartizan de LZO Records a également remixé le freestyle “Big Ben” que j’avais posé sur l’instru d’un morceau de Pusha-T. (Nota : si tous ces morceaux sont bien sortis et disponibles sur le net, Ahmad a changé de label pour rejoindre LZO Records, l’interview datant de peu avant).
IHH : Tu pratiques la photo, tes clips sont toujours léchés… L’image a manifestement une grande importance pour toi.
A : Oui, j’ai bossé avec Paradoxe Mécanique parce qu’ils aimaient ce que je faisais et qu’ils m’ont proposé de bonnes idées. Leurs clips donnent d’autres dimensions aux morceaux. J’aime particulièrement le délire avec le camping car dans “Hôtel Bilderberg” ou encore le clin d’oeil au film “The Big Lebowski”. Le but du jeu, c’est de dépasser les codes du genre sans les casser. Trop de mecs veulent faire du Coppola sans fric et d’autres n’ont aucun intérêt pour l’apparence de leurs clips. Ca donne des clips qui sont le reflet des gars et de leurs goûts stéréotypés. Ca fait pitié de voir des mecs oser sortir des clips avec des Nike requin aux pieds ou avec un balai dans le cul (rires). Moi, je me fous de ce que les autres pensent. Dans le Rap, beaucoup ont peur du regard des autres et notamment de leurs proches. Ils sont tétanisés de frayeur. On a même eu droit à du Rap conscient faussement humble avec des mecs qui veulent d’apprendre la vie sans une once de technique. Mais on ne peut pas davantage excuser un manque de technique quand le fond est totalement téléphoné… En fait, je préfère une histoire de string bien foutu qu’un déballage contre l’Etat mal construit !
Interview par Yann Cherruault.
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